Skip to main content

Full text of "Voyage aux régions équinoxiales du nouveau continent, fait en 1790, 1800, 1801, 1802, 1803 et ..."

See other formats


Google 



This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project 

to make the world's bocks discoverablc online. 

It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject 

to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books 

are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover. 

Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the 

publisher to a library and finally to you. 

Usage guidelines 

Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the 
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to 
prcvcnt abuse by commercial parties, including placing lechnical restrictions on automated querying. 
We also ask that you: 

+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for 
Personal, non-commercial purposes. 

+ Refrain fivm automated querying Do nol send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine 
translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the 
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help. 

+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project and helping them find 
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it. 

+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just 
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other 
countiies. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of 
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner 
anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite severe. 

About Google Book Search 

Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders 
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web 

at |http: //books. google .com/l 



Google 



A propos de ce livre 

Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec 

précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en 

ligne. 

Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression 

"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à 

expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont 

autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont 

trop souvent difficilement accessibles au public. 

Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir 

du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains. 

Consignes d'utilisation 

Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public et de les rendre 
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine. 
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les 
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des 
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées. 
Nous vous demandons également de: 

+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers. 
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un 
quelconque but commercial. 

+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez 
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer 
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des 
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile. 

+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet 
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en 
aucun cas. 

+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de 
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans 
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier 
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google 
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous 
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère. 

A propos du service Google Recherche de Livres 

En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite 
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet 
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer 
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adresse fhttp: //book s .google . coïrïl 





ioTje. Pli/!'iOi« 




VOYAGE 

k AUX RÉGIONS ÉQUINOXIALES 

DU 

NOUVEAU CONTINENT. 



n 



DE LlMPllIMERIE DE J, SMITH. 



VOYAGE 

AUX RÉGIONS ÉQUÏNOXIALES 

DU 

NOUVEAU CONTINENT, 

F.Açr w >799i iSoo, 1801, 180a, i8o3 et i8o4, 
Par AL'. DE HUMBOLDT et BONPLAHD, 

Par ALEXANDRE DE HUMBOLDT j 

1 

AVEC UN ATLAS GÉOGRAPHIQUE ET PHYSIQUE. 



TOME PREMIER. 



A lalàbrairie grecque-latme-allemande, rue des Fossés- 
Montmartre, u." i4. 



^ecuea 



^Jjefti|^ 



-4fïv 



INTRODUCTIOiN. 



XJovzk années se sont écoulées depnîs 
qiie je quittai l'Europe pour parcourir 
l'intérieur du nouveau coniineut. Livré, 
dès ma première jeimessi; , à i'i'tude de 
la nature ; sensible à la l)cauté agreste 
d'un sol héiissé de montagnes et couvert 
d'anliques forèls, j'ai trouvé dans ce 
voyage desjouissaTices cpii m'ont dédom- 
magé des privations aliacliées à une vie 
laborieuse et souvent agitée. Ces jouis- 
sances, que j'ai essayé de (aire p.nrliiger 
à mes lecteurs dans mes Considérations 
sur les Steppes et d;uis V£!ssni sur la 
Physionomie des f^ége'taïuc ', n'ont pas 
été le seul fruit d'une enireprise formée 
dans le dessein de contribuer aux progrès 

' Vojez mes Tableaux de la Nature, Paris 

2 TOl. ill-12. 



3 



2 INHTODUCTION. 

des sciences physiques. Je m'éloîs pré- 
paré depuis long-temps aux observations 
qui ctoient le but priiici|):il de mon 
voyage à la zone torridc; j'élois muni 
d'inslrumens d'un usage prompt et lacile, 
et exécutés par les artistes les ])liis dis- 
tingués^ je jouissois de la protection par- 
ticulière d'un gouvernement qui, loin de 
mettre des entraves à mes rccherclies, 
m'a honoré constamment de marques 
d'intérêt et de confiance; j'étols secondé 
par im ami courageux et instruit, et, ce 
qui est un rare bonheur pour le succès 
d'un travail commun , dont le zèle et 
l'égalité de caractère ne se sont jamais 
démentis, au milieu des fatigues et des 
dangers auxquels nous étions quelquefois 
exposés. 

Dans des circonstances si favorables , 
parcourant des régions qui, depuis des 
siècles, sont restées presque inconnues 
à la phijiart des nations de I'Eul'ojic , je 
pourrois dire à l'Espagne même, nous 



i.mk 



avons recueilli ^ M. Boephed ^ 
nombre considéfable de mm 
la pubiicafion sembloit oi&ir l yil y g, 
intérêt pour lliistoîre d« penpks i»t h 
connoîssance de b nature. 3Sik nocb^nk» 
ayant été dirigées vers d» olj|etft tn»- 
variés , nous n avons pu en prSsiwtiv ks 
résultais sons la forme ordinaire <f m 
journal : nous les avoi» consignés dams 
plusieurs ouvrages distincts , rédigés dans 
le même esprit , et liés entre enx par lai 
nature des phénomènes qni y sont dis- 
cutés. Ce genre de rédaction « qni fait 
découvrir plus facilement llmperfection 
des travauiî partiels , n'est pas avantageux 
pour lamour propre du voyageur ; mais 
il est préférable pour' tout ce qui a 
rapport aux sciences physiques et ma- 
thématiques, parce qtle les différentes 
branches de ces sciences sont rarement 
cultivées par la même classe de lecteurs. 
. Je m'étoîs proposé un double but dans 
le voyage dont je publie aujourd'hui la 

1* 



relation historique. Je desirois faire coa- 
noilrclcs paj-s que j'aï visites, et recueillir 
des fiïils propres à répandre dn jour sur 
une science qui est à peine ébauchée, 
et qiie l'on désigne assez vaguement jiar 
les noms de Physique du monde ^ de 
■ Théorie de la terre , ou de Géographie 
physique. De ces deux objets le dernier 
me parut le plus impovlant. J'airaois 
passionnément la botanique et quelques 
parties de la zoologie; je pouvois me 
flatter que nos reclicrclics ajouteroient 
de nouvelles espèces à celles qui sont déjà 
décrites : mais préférant toujours à la 
connoissance des faits isolés, quoique 
nouveaux , celle de f enchaînement des 
faits observés depuis long -temps, la 
découverte d'un genre inconnu me pa- 
roissoit bien moins intéressante qu'une 
observation sur les rapports géogra- 
phiques des végétaux , sur les migra- 
lions des plantes sociales^ sur la limite 
de hauteur à laquelle s'élèvent leurs 



INTRODUCTION." 5 

diflFérentes tribus vers la cime des Cor- 
dillères. 

Les sciences physiques se tiennent par 
ces mêmes liens qui unissent tons les 
phénomènes de la n;ilure. La classifica- 
tion des espères que l'on doit regarder 
comme la partie l'onda mentale de la bo- 
tanique , et dont l'étude est devenue plus 
attrayante et plus fiicile par l'introduc- 
tion des méthodes naturelles, est à la 
Géographie des végétaux ce que la miné- 
ralogie desciipiive est à l'indicalioti des 
roches qui constituent la croiite extérieure 
du globe. Pour saisir les lois qui suivent 
ces roches dans leur gisement, pour dé- 
terminer l'âge de leur formation succes- 
sive et leur idenllté dans les régions 
les plus éloignées , le géologue doit 
connoître avant tout les fossiles simples 
qui composent la masse des montagnes, 
et dont l'oryctognosie enseigne les carac- 
tères et la nomenclature. Il en est de 
même de cette partie de la physique 



6 IMTIiODUCTlOIï. 

du monde qui traite des rapports qu'ont 
les plantes soit entre elles, soit avec le 
sol qu'elles habitent , soit avec l'air qu'elles 
respirent et modifient. Les progrès de la 
géographie des végétaux dépendent en 
grande partie de ceux de la botanique 
descriptive, et ce seroit nuire à l'avan- 
cement des sciences que de vouloir s'élever 
à des idées générales, en négligeant la 
connoissance des faits particuliers. 

Ces considérations m'ont guidé dans 
le''éours de mes reeberclies; elles ont 
toTijôiirs été présentes à mon esj)rit à 
l'éjïoquc de mes études préparatoires. 
Lorsque je commençai à lire le grand 
nombie de voyages qui composent une 
partie si intéressante de la littérature 
moderne j je regreltai que les voyageurs 
les plus instruits dans des blanches isolées 
de riiisloire naturelle eussent rarement 
rémii des connoissances assez variées pour 
profiter de tous lesavantages qu'offroit 
leur position. 11 lue sembloit que l'im- 



INTRODUCTION. 7 

portance de résultats obtenus jusqu'à ce 
jour, ne répondoit pas entièrement aux 
immenses progrès que plusieurs sciences, 
et nommément la géologie , l'histoire des 
modifications de l'atmosphère, la phy- 
siologie des animaux et des plantes, 
avoient faits a la fin du dix -huitième 
siècle. Je voyois avec peine, et tous les 
savans ont partagé ce sentiment avec 
moi, que, tandis que le nombre des 
instrumens précis se mullipliolt de jour 
en jour, nous ignorions encore l'élevé 
lion de tant de montagnes et de pla- 
teaux , les oscillations périodiques de 
l'Océan aérien , la limite des neiges per- 
pétuelles sous le cercle polaire et sur 
les bords de la zone lorridc, l'intensité 
variable des forces magnétiques et tant 
d'autres phénomènes égalcpient impor- 
tans. 

Les expéditions marilimes, les voyages 
autour du monde ont justement illustré 
les noms des naturalistes et des asiro- 



1 



nomps que les goiivernemens ont appelés 
pour en [larliiger îes périls; mais tout en 
donnant des notions exactes sur la con- 
figui'alion exlérienre des terres, sur l'his- 
toire physique de l'Oréan et sur les 
productions des îles et des côtes, ces 
exjK'ditions paroissent moins propres à 
avancer la géologie et d'autres jiarties 
de la physique générale, que des voyages 
dans l'intérieur d'un continent. L'intérêt 
des sciences naturelles y est subordonné 
à celui delà géographie et de l'astronomie 
nautique. Pendant une navigation de 
plusieurs années, la terre ne se présente 
que rarement à l'observation du voya- 
geur; et, lorsqu'il la rencontre ajjrès. de 
longues attentes, il la trouve souvent 
dénuée de ses plus belles jiroductions. 
Quelquefois, au delà d'une côte stérile, 
il aperçoit un rideau de montagnes cou- 
vertes de verdure , mais que leur éloi- 
gnement soustrait à ses recherches; et ce 
spectacle ne fait qu'augmenter ses regi-cts. 



INTRODUCTION. 9 

Les voyages de terre offrent de grandes 
difficultés pour le transport des instru- 
mens et des collections ; mais ces diffi- 
cultés sont compensées par des avantages 
réels dont il seroit inutile de faire ici 
Ténuraération. Ce n'est point en par- 
courant les côtes que Ton peut recohnoitre 
la direction des chaînes de montagnes et 
leur constitution géologique, le climat 
propre à chaque zone et son influence 
sur les formes et les habitudes des êtres 
organisés. Plus les continens ont de lar-ii 
geur, et j)lus on trouve développée, à lai 
surface du sol , la richesse des produc- 
tions animales et végétales ; plus le noyau 
central des montagnes est éloigné des 
bords de TOcéan, et plus on observe, 
dans le sein de la terre, cette variété dt 
couches pierreuses, dont la successîoo 
pégulière nous révèle l'histoire de noti 
planète. De même que chaque être CO] 
sidéré isolément est empreint d'un tj 
particulier, on en reconnoît égalèflo 



im danslarraugeraenl cicsiiiatièrcs brutes 
réunies en roches, dans la tiislribution et 
les rapports mutuels des plantes et des 
animaux. C'est le grand prohlcme de la 
physique du monde, que de déterminer 
la forme de ces lypes j les lois de ces 
rapports , les liens éternels qui enchaînent 
les phénomènes de la vie et ceux de la 
nature inanimée. 

En énonçant les motifs qui m'ont en- 
gagé à entreprendre un voyage dans 
l'intérieur d'un continent, je ne fais 
qu'indiquer la direction générale de mes 
idées à un âge où l'on n'a point encore 
une juste mesure de ses forces. Les plans 
dema première jeunesse n'ont été exécutés 
que très-incomplétemcnt. Mon voyage n'a 
point eu toute l'étendue que je comptois 
lui donner en parlant pour l'Amérique 
méridionale; il n'a pas fourni non plus 
le nombre de résultats généraux que 
i'avois espéré pouvoir recueillir. La cour 
de Madrid m'avoit accordé, en 1799, 



I>TRODUCTIOX. I I 

la permission Je m'einbai-quer sur le 
galion J'Aciipiilco , et de visiter les îles 
Marianes et Philippines, après avoir par- 
ronru les colonies du nouveau conlincnt. 
J'avois formé alors le projet de revenir 
en Europe parle grand archipel d'Asie, 
le golfe Persiqne et la route de Bagdad. 
J'aurai occasion d'exposer dans la suite 
les raisons qui m'ont déterminé à hâter 
mon retour. Quant aux ouvrages que nous 
avons publiés, M. Bonplandct inui, nous 
nous Uattons que leur inipcrlectiun qui 

Inc nous est ])a8 inconnue, ne sera attri- 
buée ni à un manque de zèle pendant 
leconrs de nos rcchenhes, ni à un trop 
grand enqircssemmt dans la publication 
■ de nos travaux. Une volonté forte et 
I nne persévérance active ne suffisent p^s 
toujours pour surnionlei les obstacles. 

Après avoir rappelé le but général que 
je m'étois jiroposé dans mes courses, je 
vais jeter un roup-d'ceil rapide sur l'en- 
semble des collections et des oLservaiioiîs 






1 2 INTRODUCTION. 

que nous avons rapportées ^ et qui sont 
le double fruit de tout voyage scienti- 
fique. Comme pendant notre séjour en 
Amérique^ la guerre maritime rendoit 
très-incertaines les communications avec 
FEurope, nous nous étions vus forcés, 
pour diminuer la chance des pertes, de 
former trois collections différentes, dont 
la première fut expédiée pour l'Espagne 
et la France, et la seconde pour les 
Etats-Unis et l'Angleterre. La troisième, 
la plus considérable de toutes , resta 
presque constamment sous nos yeux : elle 
formoit vers la fin de nos courses qua- 
rante-deux caisses renfermant un herbiter 
de 6000 plantes équinoxiales, desgraines% 

^ Parmi les végétaux que nous avons introduits 
dans les dififérens jardins de l'Europe, je citerai ici y 
comme dignes de l'attention des Botanistes , les espèces 
suivantes : Lobelia fulgens , L. splendens > Caldasia 
lieterophjlla (Bonplandia gemiaiflora^ €av.)^ Mau- 
randia anlhirriniflora ^ Gjrocarpus americana , Jacq. , 
Caesialpinia cassioides , Salvia caesia , Gjperus nodosus^ 
Fagara leutiscifolia^ Heliotropium chenopodioîdes ^ 



INTRODUCTION. l3 

des coquilles, des insectes, et ce qui 
n'avoit point encore été porté en Europe, 
des suites géologiques du Chimborazo, 
de la Nouvelle - Grenade et des rives de 
l'Amazone. Après le voyage à l'Orénoque , 
DOus déposâmes une partie de ces objets 
à l'île de Cuba , pour les reprendre 
à notre retour dn Pérou et du Mexique. 
Le reste nous a suivis pendant l'espace de 
cinq ans, sur la chaîne des Andes, comme 
à travers de la jVouvelle-Espagne depuis les 
côtes de l'Océan Pacifique jusqu'à celles 

ConToIvuliis bogolensîs, C. arboresceus, Ipomœa lon- 
giflora , Solanum Humboldti , "Willil. , DiciionJra 
argeiilea, Pitcairnia furfiiracea , Cassia peintiil;i, 
C. mollisslma , C. prostrala, C. cuspidata , Kupliorbia 
Humboldli, Willd. , Rucltia fœtiila , Sisyrii.chlum 
teQuifolium , Sida coruuta , S. triaugularis, Pjjaseoliia 
heleropliyUns, Glycine precatoria,G. sagittatn, Dalca 
bicolor , Psoralea divaricata , Myrica mexicana , 
A. lriple&linifoIia,]ngamicropbylla, Acacia dîptera, 
A.âexuosa , A. patula, A hrachyacaiillia, Â. clliala, 
A. aciciilaris, A. peruviaiia, A. edulia et pliisietirs 
Tariétés de Georgines. ( Voyei ffilledeiiow Eiium. 
plant, korl. Berol, i8oij. ). 



I 



1 4 INTBODUCTIOS. 

de la mer des Antilies. Le tiansporl de 
ces objets et les soins minutieux qu'ils 
exigent, nous ont Ciuisé des embarras 
dont il est impossible de se faire une idée 
exiicte, même après avoir parcouru les 
parties les moins cultivées de TEnrope. 
Notre marrhc a été ralentie parla triple 
nécessité de traîner avec nous , pendant 
des voyages de cinq à six mois , douze, 
quinze , et quelquefois au-delà de vingt 
mulets de charge, d'échanger ces ani- 
maux tous les huit à dix jours, et de 
surveiller les Indiens qui servent à con- 
duire unes! nombreuse caravane. Sonvenr, 
pour ajouter à nos eollectious de nouvelles 
substances minérales ',nousuous sommes 

• Les substances njincrnlps el vôgotales que nous 
avons rapportées de nos courses, et dont plusieurs 
ttoient inconnues Jusqu'alors , ont éti; soumises à 
l'analyse cliimique par MM. Vauquclin, Klaprolli , 
Drscolils, Allen et Drapier, qui les ont ilfcrites dans 
des mémoires particuliers. Je rappellerai ici deux noo- 
Telles ei.pkes minérales: le Feuer-Opal ou Quarz 
resiiiiie nueUé du Mexique (Khproth , c/iem. Unlera. 



INTRODUCTMKf. 1 5 

VUS forcés d^en abandonner d^antrys 
que nous avions recueilliei^ depuis lon^ 
temps. Ces sacrifices n^étoient pas moins 

der Min, j 7*. IK, p, i5S. SanntK^midt Sesckr^ /W 
Mex, Bergref. S, 119. J^arst^m min, 7WW7/r», iN^S. 
p. 2S, SSJ y et Patgent muriaté conclioide àa VÎTim^ 
musclilîches Homen (K/apr, IF', 10, JTar»/,,/:, fîo, 
97. Magazin der Berl, Nalurf, /, i^SJ; la mlzie 
d'argent Paco deVasco ( Klapr. IV^ k); le cuivre irrà 
antimonîé, Graugillig-Erz , deTasco (Kî, /f, -4 ,• 
le fer météorique ^ Meteor-Eîseo y de Duruigo (KL IF, 
\o\ ) ; la chaux carbonatée ferriiere , stan^dier 
Braunspath ^ de Guanaxuato , dont les cristaux réunis 
en barres forment des triangles équiangles (KL IF^ 
^99) J 1^' Obsidiennes de la Montagne des Couteaux 
deBforan et la pierre perlée de Cinapecuaro (Descoiils, 
Annales de Chimie, LIII^ aSoJ; l'étain oxidé concré- 
tbnné^ Holz-Zinn, du Meiique (Descotils, Ann. LUI, 
a66^;la mine brune de plomb de Zimapan (DescotiL, 
Ann. LUI y 'j6SJ;\e sulfate de Strontiane de Popayan 
et la Wafelîte ; une pépite de Platine du Choco d'un 
poids de 1088'^ grains « et dont la pesantenr i^\}écl^- 
fiqoe est de lê,^^ ( Karsten , ^); la Moya de Pélileo , 
fabstanoe T^lcaniqne combustible renfermant fin 
tidspiith (Klapr. IF, 'A^) ; le Ooano des W% «hi 
Péroa 9 eonteftjot 4e Purs te if9smmnutmi(fm (KL IF , 
299; Fôurcroy et Famqiulin , Mém, de Clnfit ^ fF , 
XjJ; le Dapidié im Km» Xem», e<prcr 4^- tMi^trt^h^rt^ 



l6 INTRODUCTION. 

pénibles que les perles que nous fîmes 
accidenlellement. Lne fâcheuse expérience 
nous apprit assez tard qn a cause de 
la chaleur humide du climat et des 
chutes fréquentes des bêles de somme, 
nous ne pouvions conserver ni les peaux 
d'animaux préparées à la hâte, ni les 
poissons et les reptiles placés dans des 
flacons remplis d'alcool. J'ai cru devoir 
entrer dans cesdétails, très-peu inléressahs 
en eux-mêmes, pour prouver qu'il n'a psis 
dépendu de nous de rapporter en nature 
plusieurs objets de zoologie et d'anatomie 
comparée, que nous avons fait connoitre 
par des descriptions et des dessins. 

blanc que l'on trouve à une demi-toîse de profondeur 
dans un terrain humide (^^/^tz^ Journ,Phfs.,litJ, XP^II, 
']']); le Tabasheer des Bambousiers de l'Amérique , 
différent de celui d'Asie ( Fauquelin , Mém, dé 
Vlnst, VI ^ 382^; le Cortex Angosturae^ écorce du 
Bonplandia trifoliata^ de Caronyj le Cinchona conda- 
minea de Loxa et plusieurs autres espèces de Quinquina 
que nous ayons recueillies dans les forêts de la ^i ouvelle- 
Grenade (Kauquelin, Ann* LIX, iSjJ* 



INTRODUCTION. I '] 

Malgré ces entraves et les faits causés 
par le transport des collections , j'ai eu à 
me féliciter de la résolution que j'avois 
prise avant mon départ , de ne faire pas- 
ser successivement en Europe que les 
doubles des productions que nous avions 
recueillies. On ne sauroit assez le répéter ; 
lorsque lès mers sont couvertes de bâ- 
timens armés en course , un voyageur ne 
peut compter que sur les objets qu il 
garde avec lui. De tous les doubles que 
nous avons expédiés pour l'ancien conti- 
nent , pendant notre séjour en Amérique, 
un très -petit nombre seulement a été 
sauvé : la majeure partie est tombée entre 
les mains de personnes étrangères aux 
sciences} car lorsqu'un navire est con- 
danmé dans nn port doutre-mer^ le» 
cais^ renfermant des plantes sèobe» ou 
des roches, loin d'être transmis* aux 
savans à qui elles sent adressée», resUmt 
abandonnées à 1 oubli. Quelqti#i^-fjrie% d^ 
nos collections géologiques pri^e^ d/i/is la 

I. 2 



l8 INXIIODUCTIO^I. 

mer du Sud , ont eu cependuut un sort 
plus heureux. Nous devons leur conserva- 
tion à la généreuse activité du chevalier 
Banks , président de la Société Royale de 
Londres, qui, au milieu des agitations 
politiques de l'Europe , a travaillé sans 
relâche à resserrer les liens par lesquels 
se trouvent unis les savans de toutes les 
nations. 

Les mêmes causes qui ont entravé nos 
communications, ont aussi ojïposé, de- 
puis notre retour, beaucoup d'ul)slacles 
à la publication d'un ouvrage, qui, par 
sa nature , doit être accompagné d'un 
grand nombre de gravures et de cartes. 
Si ces difficultés se sont lait sentir quel- 
queioîs dans des entreprises laites aux 
frais et par la muniticence-des gouvcnie- 
mens, combien ne doivent-elles pas être 
plus grandes jiour de simples particu- 
liers! Il nons auroit été impossible de les 
vaincre, si le zèle des éditeurs u'avoit été 
secondé pai' l'extrénie bienveillance du 



IMTEODUGTION. IQ 

public. Plus des denx tiers de noire ou-" 
yrage sont déjà publiés. Les cartes de 
rOrénoque , du Cassiquiaré et de la ri- 
vière de la Madeleine^ fondées sur mes 
observations astronomiques , et plusieurs 
centaines de planches gravées au simple 
trait sont prêtes à paroître, et je ne quit- 
terai pas l'Europe pour entreprendre un 
voyage en Asie, avant d'avoir offert au 
public Fensemble des résultats de ma 
première expédition. 

Dans les mémoires destinés à appro- 
fondir les divers objets de nos recherches, 
BOUS avons tâché , M. Bonpland et moi , 
de considérer chaque phénomène sous 
différens aspects , et de classer nos obser- 
vations d'après les rapports qu'elles of- 
froient entre elles. Pour donner une juste 
idée de la marche que nous avons suivie , 
je vais présenter succiactement l'énumé- 
ration des matériaux que nous possédons 
pour faire connoître les volcans d'Anti- 
sana et de Pichincha y ainsi que celui de 

2+ 



2 O I>"T110buCTI0?{. 

JoruUo sorti de terre dans la nuit du 29 
septembre 1759, et élevé de 263 toises 
au-dessus des plaines environnantes du 
Mexique. La position de ces raonlagnes 
remarquables a été déterminée en longi- 
tude et en latitude par des observations 
astronomiques. Nous en avons nivelle les 
différentes parties à l'aide du baromètre j 
nous y avons déterminé l'inellnaison de 
l'aiguille aimantée et rinlensité des Corées 
magnétiques. Nos collections renferment 
les plantes qui couvrent la jienle de ces vol- 
cans , et les différentes roches superposées 
k'sunesaux antres qui en constituent l'en- 
veloppe extérieure. Des mesures suffisam- 
ment précises nous mettent en état d'in- 
diquer, pour chaque groupe de végétaux 
et pour cliiique roche volcanique , la hau- 
teur à laquelle on les trouve au-dessus du 
niveau de lOcéan. Nos journaux nous 
offrent des séries d'ol)servalions sur l'hu- 
midité, la température, la charge élec- 
trique et le degré de transparence de l'air 



INTRODUCTION. 2 1 

aux bords des cratères de Pîchîncha et de 
JoruUo. On y trouve aussi les plans to- 
pographîqnes et les profils géologiques de 
ces montagnes^ fondés en partie sur la 
mesure de bases verticales et sur des angles 
de hauteur. Chaque observation à été 
calculée d'après les tables et les méthodes 
que l'on regarde comme les plus exactes 
dans l'état actuel de nos. connoissances; 
et, pour pouvoir juger du degré de con- 
fiance que méritent les résultats , nous 
avons conservé tout le détail des opéra- 
tions partielles. 

Il auroit été possible de fondre ces di* 
vers matériaux dans un ouvrage destiné 
uniquement à la description des volcans 
du Pérou et de la Nouvelle-Espagne. En 
offrant le tableau physique d'une seule 
province , j'anrois pu traiter séparément 
ce qui a rapport à la géographie, à la 
minéralogie et à la botanique : mais com-« 
ment interrompre, soit la narration d un 
voyage ^ soit des considérations sur lea 



,i 



m^f^rsn . Va*r^t de U oatrixe oa les stsods 
phriioatim^ àt b pitraqne ^àsû^ie . par 
TùinriMTation iâti^nte des prodaerlions 
di] pay^ . j»3r la descrîpûoa de KKivelles 
f^pe"^ d^nim^ox et de plantes oa par le 
dcraîl aride des ot^rvitions aïtronomi- 
«n#!s? Fin adoptant an genre de rëdac- 
lion f\n\ aoroit réuni dâos on même cha- 
pitre lont ce qni a êtê obser\ê sur an 
irifrme point dn slohe . j'aurois composé 
nn oiuTBop d'une longueur excessive, et 
surtout dénué de retle clarté qui naît en 
^r.\T\f\c partie de la di<tribntion métho- 
diqii't des matières. Malgré les elTorls que 
j';ii faits jtoiir éviter dans cette relation 
de mon voyaî^'e les trucils que j'avois à 
rf:(lo«lt:r, je sens vivement que je n'ai 
jififi toujours réussi à séparer les observa- 
lions de di'itail fie ces résultats généraux 
([ui inléiTSsent tons les lioinmes éclairés, 
('es résultats embrassentà la fois le climat 
et son iiiflnence sur les êtres organisés, 
rnsprri du paysage , varié selon la nature 



l!VTnODUCTIO:V. 23 

du sol et de son enveloppe végétale, la 
direction des montagnes et des rivières qui 
séparent les races d'hommes comme les 
tribus de végétaux; enûu ces modifica- 
tions qu'éprouve l'état des peuples placés 
à différentes latitudes et dans des circons- 
tances plus ou moins favorables au déve- 
loppement de leurs facultés. Je ne crains 
pas d'avoir trop multiplié des objets si 
dignes d'attention : car un des beaux ca- 
ractères qui distinguent la civilisation 
actuelle de celle des temps plus reculés, 
c'est d'avoir agrandi la masse de nos con- 
ceptions, d'avoir fait mieux sentir les 
rapports entre le monde physique et le 
monde intellectuel , et d'avoir répandu 
un intérêt plus général, sur des objets 
qui n'occupoieut jadis qu'un petit nombre 
de savans, parce qu'on les considéroit 
isolés et d'après des vues plus étroites. 

11 est probable que l'ouvrage que je 
faisparoître aujourd'hui fixera l'attentioa 
d'un plus grand nombre de lecteurs que 



J 



le détail de mes observations purement 
scientifiques , ou que mes recherches sur la 
population , le commerce et les mines de 
la Noiivelle-Kspagne. Il me sera par consé- 
quent permis de rap[)elcr ici les travaux 
que nous avons antérieurement publiés, 
M. liunpland et moi. Lorsque plusieurs 
ouvrages sont étroitement liés entre eux, 
il est de quelque intérêt pour le lecteur 
de eonnoitre les sourcesauxquclles il peut 
puiser des renseignemens plus circons- 
tanciés. Dans lo voyage de M. Pallas , qui 
est si remarquable par l'exactitude et la 
profondeur des recherches , le même Atla8 
oilW; des cartes géographiques, des cos- 
tumes de difiérens jicuples, des restes 
d'antiquités , des figures de plantes et 
d'animaux. D'après le plan de notre ou- 
vrage il a fallu disttil)uer ces planches 
dans des parties distinctes; on les trou- 
vera réparties dans \vs deux Atlas géogra- 
phiques et ])hysiques qui accompagnent 
la Relation du A'^oyagc et l'Essai poli- 



INTRODCCTIOX. iS 

tique sur le royaume de la Nouvelle-Es- 
pagne , dans les Vues des Cordillères et 
monumens des peuples indigènes de l'A- 
mérique, dans les Plantes équinoxialcs j 
la Monographie des Melastomes, et le Re- 
cueil d'observations zoologiques. Comme 
je serai obligé de citer assez souvent ces 
différens ouvrages, je vais indiquer en 
note les abréviations dont je me suis 
servi pour en rappeler les titres. 

I. Recueil d'observations astrono- 
miques , d'opérations trigonométriques 
et de mesures barométriques ', faites 
pendant le cours d'un voyage aux 
régions équino^iales du nouveau con- 

' Oba, jiatr, en deux volumes 
dans l'Introduction pi: 
le choix des iostrumens les plu 
dans des Tojages loiotaius , le 
l'on peot atteindre dans les dtffêi 
Tations, le mouvement propre de 
étoiles de niémisplière austral, et 



iaai l'usage n'nt pas asseï répai 
giteun. 




tinent, en 1-99-1804- Cet ouvrage, 
auquel on a joint des recherches histori- 
ques sur la position de plusieurs points 
importans pour les navigateurs, rcnlerme 
i." les observations originales que j'ai 
faites depuis les 1 2" de latitude australe 
jusqu'aux 4i° de latitude boréale, comme 
passages du soleil et des étoiles par le 
méridien , distances de la lune au soleil 
et aux étoiles, occultations de satellites, 
éclipses de soleil et de lune , passages de 
Mercure sur le disque du soleil, azimuths, 
hauteurs circumméridienncs de la lune 
pour déterminer la longitude par le 
moyen des dilTércnces de déclinaisons, 
recherches sur l'intensité relative de la 
lumièredes étoiles australes, mesures géo- 
désiques, etc.j 2.° un mémoire sur 1rs 
réfractions astronomiques sous la zone 
torride , considérées comme effet du dé- 
croissement du calorique dans les couches 
superposées de l'air ; 3." le nivellement 
barométrique de la Cordillère des Andes, 



mmoDucTioTï, 27 

duMexique, de la province de Venezuela, 
du royaume de Quito et de la Nouvelle- 
Grenade , suivi d'oJiscrvations géologi- 
ques et renfermant l'indication de quatre 
cent cinquante-trois hauteurs calculées 
d'après la formule de M, La Place et le 
nouveau coiifEcient de M. Ramond ; 
4.° un tableau de pr^R de sept cents posi- 
tions géographiques du nouveau conti- 
nent, dont deux cent trente-cinq ont été 
déterminées par mes propres observa- 
tions , selon les trois coordonnées de 
longitude, de latitude et de hautein-. 

II. Plantes équinoxiales recueillies 
au Mexique , dans Vile de Cuba , 
dans les provinces de Caracas , de 
Cuniana et de Barcelone , aujc Andes 
de la Nouvelle- Grenade , de Quito et 
du féi'ouj et sur les bords du Rio 
Negro y de l'Orénoque et de la rivière 
des Amazones ^ M. Bonpland y a donné 

' PI. équin. , en dcus yoliimcs în-rolio , ornés de 
plus de i5o planches gravées au hiirîn et tïrtiîscii aoir. 



2b INTRODUCTION. 

les figures de près de quarante noiivcaiis 
genres'^ de phintes de la zone torridc j 
rapporïccs à leurs familles nalnrelles. Les 
descriptions méthodiques des espèces sont 
à la fois en franrois et en latin , et accom- 
pagnées d'observations sur les propriétés 
médicales des végétaux , sur leur usage 
dans les arts et sur le climat des contrées 
où ils se trouvent. 

III. Monographie des Melasîojiies , 
Rhexia et autres genres de cet ordi'e 
de plantes. Cet ouvrage est destiné à 
faire connoître plus de cent cinquante 
espèces deMclastomacéfS que nous avons 
recueillies pendant le cours de notre ex- 

' Nous ne cilei'ons ici que 1ns genres Cerosylon , 
Marathrum , Cuisupa , Saccellium , Clieirostcmon , 
Ulietinipliyllum, Machnonia , Limnoclinris , Bertlio- 
letîa , Eso&tem» , Vauquclinia , Giiardiolii , Turpinia , 
SalpiaiUliu9,Hermesia,Cladostjles,Lila;a,Culcîtiuiii, 
Espelelia, Bonplandia , Plat3carpuiu , Gjnerium, 
Eiidema , Tlicnarda , AndriHuacluo , Kunthia , Khap- 
loslyluiu , Mciiodora, Gayliissacia, Po.topterus, Leii- 
copliylluDij AngeloDia. 



ISTBODDCTION. 29 

pédition, et qui font un des plus beaux 
omemens de la végétation des tropiques. 
M. Bonpland y a joint les plantes de la 
même famille que, parmi tant d'autres 
richesses d'histoire naturelle, M. Richard 
a rapportées de son intéressant voyage 
aux Antilles et à la Guyane lianroise , et 
dont U a bien voulu nous communiquer 
les descriptions. 

IV. Essai sur la géographie des 
plantes , accompagne' tiiat tableau 
physique des régions équinoxiales , 
fondé sur des mesures ejcécutées de- 
puis le dixième degré de latitude bo- 
réale Jusqu'au dixième degré de lati- 
tude australe. ' J'ai essayé de réunir 

■ Géor. Végét. , un Tolume îii-4.*, avec tme grande 
planche coloriée. Cet ouïrage , imprimé pour la pre- 
mière fois en 1806, sera réimprimé avec des additions, 
et formera la cinquième partie de la collection com- 
plète, ayautpour ïilre l'/iystque génèruie. J'ai exposé 
les premières idées sur la géograpliin des plantes , sur 
leurs asaociaûona naturelle.^ et l'hialuire de leurii 
migrations dans m^Flora FriLcr^tiuia plantas .ihlcns 



n 



3o I,\TRODUCTiO>. 

dans un seul tableau l'ensemble des phé- 
nomènes physiques que présente la partie 
du nouveau continent comprise dans la 
zone torride, depuis !e niveau de la mer 
dn Sud jusqu'au sommet de la plus liaute 
cime des Andes; savoir: la végétation, 
les animaux , les rapports géologiques , 
la culture du sol , la température de l'air, 
les limites des neiges perpétuelles , la 
constitution chimique de l'atmosphère, 
sa tension électrique j sa pression baro- 
métrique, le décroissement de la gravi- 
tation, l'intensité de la couleur azurée 
du ciel , l'affoiblisseraent de la lumière 
pendant son j)assage par les couches su- 
perposées de l'air, les réfractions hori- 
zontales et la chaleur de l'eau bouillante 
à différentes hauteurs. Quatorze échelles 
disposées à côté d'un profil des Andes, 
indiquent les modifications que subissent 

ciyptiignmicas prœxertcm subterraneas , ciii acceibint 
aphorismi ex pkysiologia cAemica pla'itanuii. ( Bercl. 



Il 



INTRODUCTION. 3 1 

ces phénomènes par Tinfluence de Tëlé- 
vation du sol au-dessus du niveau de 
Focéan. Chaque groupe de végétaux est 
placé à la hauteur que la nature lui a 
assignée, et Ton peut suivre la prodi- 
gieuse variété de leurs formes depuis la 
région des palmiers et des fougères en 
arbres jusqu'à celles des Johannesia (Chu- 
quiraga , ,Juss. ) ^ des graminées et des 
plantes licheneuses. Ces régions forment 
les divisions naturelles de Tempire végé- 
tal; et, de même que les neiges perpé- 
tuelles se trouvent sous chaque climat à 
one hauteur déterminée, les espèces fé- 
brifuges de Quinquina (Cinchona) ont 
aussi des limites fixes que j'ai indiquées 
sur la Carte botanique qui accompagne 
cet Essai sur la Géographie des plantes* 

V. Recueil d'observations de zooloffe 
et d'anatomie comparée '. . J ai réoni 

' Obêeru. zooL en deux Tohniiei iD-4/, àmt % 
premier a para en entier^ aTecSoplandies, la pfapw 

coionées. 



32 INTRODUCTION. 

dam cet ouvrage l'histoire du Condor; 
des expériences sur l'action électrique des 
Gymnotes ' ; un mémoire sur le larynx 
des Crocodiles, des quadrumanes et des 
oiseaux des tropiques; la description de 
plusieurs nouvelles espèces de reptiles, 
de poissons , d'oiseaux , de singes et 
d'autres manimifères peu connus. Un sa- 
vant illustre dont la constante amitié 
m'a été si honorable et si utile depuis un 
grand nombre d'années, M. Cuvier, a 
enrichi ce recueil d'un mémoire très- 
étcndu sur l'Axolotl du lat: de Mexico 
et sur les Protées en général. Le même 
naturaliste a aussi reconnu deux nouvelles 
espèces de Mastodontes et un véritable 
éléphant, parmi les os ibssiles de qua- 
drupèdes que nous avons raj)portcs des 

' Ces expériences 3e lient à celles que j'ai publiées, 
aviiiit mua départ jiour l'Amérique, clans le second 
volume de mon Essai sur Virritatwn de la fibre inii\- 
cuiaii'e et nerveuse , et sur l'action chimique qui entre- 
tient la i-i< dss animaux et des plantes. 1796. 



INTRODUCTION. 33 

deux Amériques '. La description des 
insectes recueillis par M. Bonpland, est 
due à M. Latreille dont les travaux ont 
tant contribué de nos jours aux progrès 
de Fentomologie. Le second volume de 
cet ouvrage renfermera les figures des 
crânes mexicains, péruviens et atures 
que nous avons déposés au Muséum 
d'histoire naturelle de Paris, et sur lesquels 
M. Blumenbach a déjà publié quelques 
observations dans le Decas quinta cra- 
niorum dis^ersarum gentium. 

VL Essai politique sur le royaume 
de la Nous^elle-Espagne , a{^ec un Atlas 
physique et géographique^ fondé sur 
des observations astronomiques ^ des 
mesures trigonométriques et des nis^el- 
lemens barométriques ^. Cet ouvrage, 

* Ann. du Muséum d'hist. nat. , T. VIII , pag, 5? : 
etpag. 4i3et 4i3^PL ii>fig. i et5. 

* N'oup.-Esp. , en deux Yolomes in-4." et ua Atlas 
de 20 plaiiches in-folio. Cet ouyrage a aussi été publié 
en 5 Tol. ÎQ-S". , sans l'Atlas^ mais ayee une carte 
et une coupe. Ma Carte générale du royaume dé 

I. 3 



34 INTRODUCTION. 

fondé sur un grand nombre de mcmoircs 
officiels, offre en six divisions des consi- 
dérations sur l'elendue et l'aspect pliy- 
siquc du Mexique, sur la population, 
les mceurs des habitons, leur ancienne 

la homélie Espagne di ssée xur des chseiVQtionn 
aslronnmii/ues et aur I ensemble des maUriaux qui 
existaient a Mexico en i8o4 , a éié copiée par 
M. Ari owsmitli qui se l'est ajuiropriée eu la publiant 
sur nue plus gi imle échelle en iSo5 (avant que la 
tratluction tngloise de mon ouvrage eiit paru à 
Londres, chez Longmann , Hurst et Orme), souii 
le titre de Neiv Map of Mexico, compiled front original 
dociiTTienfs by j^rrovsmith. Il est facile de rccoiinoître 
celle carte par Leaucoup de fautes chalcograpliiqucs , 
par l'explication des signes qu'on a oublié de traduire 
ilii françois en anglois , et par le mot Océan que 
l'on trouve inscrit an milieu des montagnes, dans 
nn endroit où l'origimil porte : Le plateau de Tolaca 
est élevé de l'ioo tuines au-dessus du niveau, de 
l'océan. Le procédé de M. Arrowsmitli est d'autant 
plus blAniable , ([ue MM. Dalrymple , Rcnnell, d'Arcy 
de la Rocliette , et tant d'autres excellons géographes 
quepossèile l'Angleterre, ne lui en oni donné l'exemple 
ni dans leurs cartes , ui dans les analyses qui les 
ficcompngnent. Le s réclamations d'un voyageur doivent 
paroilrc justes , lorsque de Èim|>les copies de ses Ira- 
Taux se répandent sous des noms étrangers. 



nsTRODUCTIOX, 5j 

civilisation et la divisoa politicpe du 
pays. Il embrasse à la fois 1 agrîcalture ^ 
les richesses niiDérales , les manutkctnres^ 
le commerce, les finances, et la défense 
militaire de cette vaste contrée. £a trai- 
tant ces différens objets de féconomie 
politique , j'ai tâché de les envisager sous 
un point de vue général; j*ai mis en 
parallèle la Nouvelle-Espagne, non seu- 
lement avec les autres colonies espagnoles 
et la confédération des États-Unis de 
l'Amérique septentrionale, mais aussi avec 
les possessions des Anglois en Asie ; j ai 
comparé Fagriculture des pays situés sous 
la zone torride à celle des climats tem- 
pérés; j'ai examiné la quantité de denrées 
coloniales dont l'Europe a besoin dans 
Tétat actuel de sa civilisation. En traçant 
la description géognostique des district^ 
des mines les plus riches du Mexique, 
j'ai présenté le tableau du produit mi- 
néral , de la population , des importations 
€t des exportations de toute l'Amérique 

5* 



36 INTRODUCTION, 

espagnole; enfin, j'ai abordé phisieins 
questions qui , faute de données exactes, 
n'a\oient pu être Inntées jusqu'ici avec 
toute la profondeur qu'elles exigent , 
comme celles sur le fhix et !e reflux des 
richesses métalliques ', sur leur accumu- 

' Le voyage récent du Major Zehulon Montfrorrrer/ 
Pike d;ms les proTÏnces septentrionales du Metii^ue 
( Àccaunt iifthf Expéditions to the sources oftlie M t- 
tissipi and to the int^iior parts of NeM Spiin. /'fiHii- 
delpkia, i8io_J renferme des notions précieuses sur 
les rivi(.Tes La Piatte et Arkansaw, ainsi (jiie sur la 
haute chaîne de montagnes qui s'ét< nd au nord du 
Nouveau-Mexique vers les sources de ces deun rivières: 
mais les nombreuses données statistiques qui' M. Pike 
a rncueillies chez une natiim dont il ignoroit la langue , 
sont le plus souTent très-lti exactes. Selon cet auteur, 
la monnoie de Mexico fabrique annuellement 5n mil- 
lions de piastres en argent et i4 millions en or; 
tandis qu'il est prouvé, par les tableaus imprimés 
annuellement par erdrc de la Cour , et publiés dans 
mon Esnai politique , que l'année ou l'exploitation 
des mines mexicaines a été la plus active , le mon- 
noyage ne s'est élevé qu'à 25,'^ofi,o74 piastres en 
argent et à i,35i),8i4 piastres en or. M. Pike' a 
déployé un noble courage dans une entreprise impor- 
tante pour la connoissance de la Louisiane oceidcn- 



nm ODUCfiON * ^7 

ftion progressive en Europe et en Asie , 
î^surla quantité doret d'argent qae, 
Lepuis la découverte de l'Amérique jas- 
u'à nos jours, ruocien continent a reçue 
Bu nouveau. L'iiiirodiiction géographique 
placée à la tête de cet ouvnige renferme 
l'analyse des matériaux qui ont servi à 

t'diger l'Atlas mexicain. 
VII. f^ues des Cordillères et Mo- 
urnens des peuples indigènes du nou- 
sau continent *. Cet ouvrage est destiné 
la fois à faire connoître quelques-unes 

tâle; mais dépourra d'inatrumens, et sévèrement 
«nreillé pendaDlk route deSunta-FeàNatclittocbes, 
il n'a pu rien faire pour le perfection ne ment de la géo- 
graphie Aesproviruias inUniai. Les caites du Mexique 
qui M trouvent annexées à la relation de son voyage, 
HKit des réductions da ma grand&carte de laNouvelIe- 
Esjagne, dont one copie étoit cestéc en i8o4 à la 
Secrétairerie d'État de Washington. 

, un volume Ïn-Eùlio, avec 6g 

tanches , en partie coloriées et accompagnéeÉ de 

lïplicalifs. Cet ouvrage peut être oonsi- 

B l'Atlas piuoresqne de la Relation liîsto- 

Bnque iluVutage. On en a réimprimé le texte en a voL 

■Ib-B-", avec 19 planche». 



38 INTRODUCTION. 

lies grandes scènes que présente la nature 
dans les hautes chaînes des Andes, et à 
jeter du jour sur l'ancienne civilisation 
des Améiicains, par l'étude de leurs mo- 
niiniens d'architecture^ de leurs hiéro- 
glyphes, de leur culte religieux et de 
leurs rêveries astrologiques. J'y ai déciit 
la ronstriielion des tcocailisou pyramides 
inexic^iines, comparée à celle du temple 
de liéhis, les arabesques qui couvrent les 
ruines de Mllla, des Idoles en basalte 
ornées de la Calantlca des létes d'Isis, et 
un nombre considérable de peintures 
symboliques représentant la lisnime au 
serpent, qui est l'Kvc mexicaine, le 
déluge de Coxcox, et les premières mi- 
grations des peuples de race aztèque. J'ai 
lâché d'y démontrer les analogies frap- 
pantes qu'ollVcnt le calendiier des Tol- 
tèquesetlescatastérismes de leur zodiaque, 
avec les divisions du temps des peuple; 
lartnres et tibétains, de même que les I 
cms mexicaines sur les quatre régé- 



TXTRODTICTIOX. 3gf,l 

miralioos du globe, avec los pralayas,! 
^Kdcs Hindoux et les quatre âges d'Hésiode : } 
^^n'y ai consigne aussi, outre les pciniurcs | 
^* hiéroglyphiques que j'ai rapportées en f 
Europe , des l'ragmens de tous les ma- 
nuscrits aztèques qui se trouvent à Rome, 
à Veletri, à Vienne et à Dresde , et dont 
I le dernier rappelle, par des symboles 
^■linéaires, les konas des Cliinois. A côté 1 
^Vdc ces nioaumcns grossiers des peuples de i 
' rAmérique, se trouvent dans le mémo I 

t ouvrage les vues pittoresques du pays i 
bnoulueux, que ces peuples ont liabïté, 
somme celles de la cascade du Tequen- 
mama, du Clilniborazo, du volcan de 
Jorullo et du Cayambé dont la cime 
pyramidale , couverte de glaces iitemell 
est placée immédiatement £Oiu ]» | 
équatoriate. Dans toutes les zoom | 
figuration du sol, la pliysîoi 
v^éiaux et l'aspect d'une natiu 
ou sauvage îuflnenC sur les j 
arts et siu' le style qui distin, 



4o INTLODUCT10-\. 

productions 5 el cette influence est d'au- 
tant pins sensible, que l'homme est plus 
éloigné de la civiltsatloD. 

J'iiurois jni ajouter à cet ouvrage des 
reelierehes sin- le caractère des langncs , 
qni sont les nionununs les plus durables 
des peiijiles : j'ai recuellii sur celles de 
rAiiiérique beaucoup de matériaux , dont 
MM. Fréi-léiic Schligel et Vaterse sont 
servis, le jtrcmier dans ses Considéra- 
tions sur les Uindoujv , le second dans 
la conlJniialion du Mithridate d'Ade- 
lutig, dans le Magasin ethnographique 
et dans ses Recherches sur la population 
du nouveau continent. Ces matériaux 
se trouvent aiijourd'liiii entre les mains 
de mon ("rère. M, Guillaume de Huni- 
boldt, qui, ])endant ses voyages en 
Esj)agne et pendant un long séjour à 
Rome j a formé la plus riche collection 
de vocabulaires américains, qui aitiamais 
existé. Comme il a des connoissances 
étendues sur les langues anciennes et 




JJSTnODCCfM 

podenies, il a élé en état de ùân des 
rapprochemens très-curieux sur cet objet 
important pour l'ëtiide philosophique de 

histoire de l'homnie. Je me flatte qu'une 

farlie de son travail trouvera place dan« 
lette relation. 

' De ces dîft'crcns ouvrages dont je viens 
: faire ici r('numénition,-]e scrond et 

b troisième ont été rédigés ]>ar M. Bon- 
pland, d'après des obser%'aiioDS qu'il a 
consignées sur les lieux luérae dans uit 
journal botanique. Ce journal couttenc 
plus de quatre mille descriptions métho- 
diques de planlts équinoxiales, dont un 
neuvième seulement ont été faites par 
moi : elles paroftronl dans un ouvrage 
particulier, sous le litre de Novagenera 
et species plantantm. On n'y trouvera 
ps seulemcnl les nouvelles espèces que 
nous avons recueillies , et dont le nombre, 
d'après les recherches d'un dea premiers 
botanistes du siècle, M. Willdenow, 
l>aroît s'élever à qualunig ou quinze 



/)2 IMUODUCTIOX. 

cents ^, mais aussi les oljscrvatioiis inlc- 
Fessantes que M. Bonpland a faites sur des 
végétaux imparfaitement décrits jusqu'à 
ce jour. Cet ouvrage, dont les figures 
seront gravées au simple trait , sera exé- 
cuté d'après la méthode suivie dans le 
Spécimen plantauim Novœ Ilollandiœ 
de M. Labillardière, qui oITic un modèle 
de sagacité dans les reclierelies , et de 
clarté dans la rédaction. 

Les obscrvalions astronomiques, géo- 
désiques et barométriques que j'ai faites 
de 1799 à 1804, ont été calculées d'une 
manière iiniiorme , en employant des ob- 
servations correspondantes et d'après les 
tables les jilns précises, par M. Oltmanns, 
professeur d'Asti'onomic et membre de 

' TJne partie consklcr.nble Je ces espùccs se Irouve 
déjà indiquée dans la seconde division de la (juairitme 
partie du Species plantarum, de Linnôe , 4.* édilioQ. 
Des Erj-ngiuin que nous avons rapporlccs de notre 
voyage, onze espèces nouvelles ont é(é gravées dans 
la lictle MoHogriipljic de ce grure , piibUce [Wr M. de 



ivrRODucno5. 4 ^ 

rAcadémie Je Berlin. Ce saTant laboTÎnnL 
a bien voulu se charger de la publient ka 
de mon Journal astronomique^ quH a 
enrichi des résultats de ses recherches scr 
la géographie de rÂménqne, sur ks 
observations des voyageurs espagnols, 
François et anglois , et sur le choix des 
méthodes employées par K:$ astronomes. 
Pavois calculé j pendant le cours de mon 
voyage, les deux tiers de mes propres 
observations, dont les résultais ont été 
consignés en partie , avant mon retour y 
dans la Connaissance des temps, et 
dans les Éphémérides de M* de Zach. 
Les différences peu considérables qui se 
trouvent entre ces résultats et ceux 
auxquels s'est arrêté M. Oltmanns , pro- 
viennent de ce que ce dernier a soumis 
à un culcul plus rigoureux rensembic de 
mes observations , et qu'il s'est servi des 
tables lunaires de Bùrg et d'observation<i 
correspondantes de Grecnwicli, \hw\U 
que je n'avois employé que la G/ririoiv 



44 INTRODirCTION. ' 

sance des temps calculée d'après les tables 
de Masson* 

Les observations que j'ai faites sur Tia- 
cliuaison deFaiguille aimantée, l'intensité 
des forces magnétiques et les petites va-* 
TÎations horaires de la déclinaison , paroî- 
tront dans un mémoire parliculier, qui 
sera joint à mon Essai sur la Pasi- 
graphie géologique. Ce dernier ouvrage 
que j'ai commencé à rédiger à Mexico 
en i8o3 , offrira des coupes qui indiquent 
la superposition des roches dont nous 
avons observé le type, M. Léopold de 
Buch et. moi 5 dans les deux continens, 
entre les 12° de lalilude australe et les 
71^ de latitude boréale. En profitant des 
lumières de ce grand géologue qui a 
parcouru TEurope^depuisNaples jusqu'au 
Cap-Nord en Laponie, et avec lequel j'ai * 
eu le bonheur de faire mes premières 
études à l'école de Freiberg, j'ai pu 
étendre Iç plan d'un ouvrage destiné à 
pépandre quelque jour sur la construction ' 



INTRODUCTION. 4^ 

du globe et sur l'ancienneté relative des 
formations. 

Après avoir distribué dans des ouvrages 
particuliers tont te qui appartient à l'As- 
tronomie, à la lîotaniquc, à lii Zoologie, 
à la description pollliqut; de la Nouvelle- 
Espagne et à l'Histoire de l'ancienne 
civilisation de quelques peuples du nou- 
veau continent, il restoit encore un grand 
nombre de résultats généraux et de des- 
criptions locales que j'aurois pu réunir 
dans des mémoires particuliers. Pendant 
le cours de mon voyage, j'en avois préparé 
plusieurs sur les rares d'hommes de r Amé- 
rique méridionale, sur les missions de 
rOrénoque, sur les obstacles que le climat 
et la force de la végétation opposent aux 
progrès de la société dans la zone torride, 
sur le caractère du paysage dans la Cor- 
dillère des Andes couip;u'é à celui des 
Alpes de la Suisse, sur les rapports que 
l'on observe entre les roches des deux 
hémisphères, sur la constitution physique 



n 



riîsolulion de ne pas écrire ce que l'on 
est convenu d'appeler la relation histo- 
rique d'un voyage, mais de publier le 
l'ruit de mes recherches dans des ouvrages 
purement descriplils. J'avois rangé les 
laits, non dans l'ordre dans lequel ils 
s'étoient présentés successivenienl, mais 
d'après les rapports qu'ils ont entre eux. 
Au milieu d'une nature imposante, vive- 
ment occupé des phénomènes qu'elle offre 
à chaque pas, le voyageur est peu tenté 
de consigner dans ses journaux ce qui a 
rapport à lui-même et aux détails minu- 
tieux de la vie. 

J'ai composé un itinéraire très-succinct 
pendant le cours de ma navigation sur les 
fleuves de l'Amérique méridionale ou 
dans de longs voyages par terre 5 j'ai aussi 
décrit assez régidièrenient , et presque 
louionrs sur les lieux mêmes, les excur- 
sions vers la cime d'un volcan ou de 



INTRODUCTION. 4 7 

quelque autre montagne remarquable par 
son élévation : mais la rédaction de mon 
journal a été interrompue chaque fois 
que j'ai séjourné dans une ville, ou que 
d'autres occupations ne me permettoient 
pas de continuer un travail qui alors 
n'étoit pour moi que d'un intérêt secon- 
daire. En m'y livrant, je n'avois d'autre 
but que de conserver quelques-unes de 
ces idées éparses qui se présentent à un 
physicien , dont presque toute la vie se 
passe en plein air, de réunir provisoire- 
ment une multitude de faits que je n'avois 
pas le temps de classer , et de décrire les 
premières impressions agréables ou pé- 
nibles que je recevois de la nature et 
des hommes. J'étois bien éloigné alors 
de croire que ces pages écrites avec pré- 
cipitation feroient un jour la base d'un 
ouvrage étendu que j'offrirois au public; 
car il me sembloit que mon ouvrage, 
tout en fournissant quelques données 
utiles aux sciences, offroit cependant bien 



peu de ces incidens ûout le récit fait le 
charme priotipjl d'un ilinérairo. 

Lcâ ùilliciiilés que j ai éprouvées depuîs 
mon retour , dans la réd>.ciion d'un 
nombre considérable de mémoires des- 
tiné-- a (dire cunnoitre certaines classes 
de phénomènes, m'ont lait vaincre insen- 
siblement mon extrême répugnance à 
écrire la relation de mon vovagc. En. 
m'imposant celte tâche, je me suis laissé 
guider par les conseils dun gi'and nombre 
de personnes estimables qui m'honorent 
d'un intérêt particulier. J ai niéuie cru 
m'apcrcevoir que l'on accorde une pré- 
férence si marquée à ce genre de compo- 
sition que des savans , après avoir présenté 
isolément leurs recherches sur les pro- 
ductions , les mœurs et l'état politique 
des pays qu'ils ont parcourus, ne semblent 
avoir aucunement satisfait à leurs enga- 
gemens envers le pubbc, s'ils n'ont pas 
écrit leur itinéraire. 

Une relation historique embrasse deux 



omoDiicnoii. 49 

objets trè9-4istincts : les évéûetnens plus 

ou moins importans qui ont rapport au 

but du voyageur, et les observations qu^il 

a fatte^endant ses courses. Aussi lunité 

de composition qui distingue les bons 

ouvrages d avec ceux dont le plan esc 

mal conçu, ne peut y ^re strictement 

conservée , qu'autant qu'on dëerit d'une 

manière animée ce que Ton a vu de ses 

propres yeux , et que Tattention principale 

a été fixée ^ moins Sur des observationi 

de sciences que sur les mesuré des peuplai 

et les grands phénomènes de la nature* 

Or le tableau le plus fidèle des mœurs 

est celui qui fait connoitre le mieux les 

rapports qu*ont les hommes entre eux. 

Le caractère d'une nature sanvage ou 

cultivée se peint, soit dans les olmt^cles 

qui s'opposent an voyageur, soit dans 

les sensations qu'il éprouve. CW lui que 

l'on désire voir sans cesse en cofifa/i av#^ 

les objets qui Fentourent, et v/n r^yjt 

nous intéresse d autant plus qu'une Uiufj: 

^ 4 



5o INTRODUCTION. 

locale est répandue sur la description du 
paysage et des îiabitans. Telle est la 
source de l'intérêt que présente l'histoire 
de ces premiers navigateurs, qui, moins 
guidés parleur science que par une noble 
intrépidité, luttèrent contre les élémens, 
en cherchant un nouveau monde dans 
des mers inconnues. Tel est le charme 
irrésistible qui nous attache au sort de 
cet homme entreprenant ^ qui , fort de 
son enthousiasme et de sa volonté , 
pénètre seul dans le centre de l'Afrique 
pour y découvrir, au milieu de la bar- 
barie des peuples, les traces d'une an- 
cienne civilisation. 

A mesure que les voyages ont été faits 
par des personnes plus instruites, ou diri- 
gés vers des recherches d'histoire naturelle 
descriptive , de géographie ou d'économie 
politique, les itinéraires ont perdu en 
partie cette unité de composition et cette 



INTRODUCTIOSI. 5 1 

naïveté (}ui distinguoient ceux des siède» 
antërieurs. Il n est presque plus pMsible 
de lier tant de matériaux divers à la 
narration des événemens, et la partie 
qu on peut nommer dramatique est reisk 
plaeée par des morceaux purement des^ 
criptife. Le grand nombre de lei^teor% 
qui préfèrent un délassement agréable a 
une instruction salide n'a pas jg^gne a t^ 
édiange , et je crains qn'cn ne soit tMV 
peu tenté de suivre dans leon ^uMr si» 
ceux qui traînent avaceox on a{^f eil tifjtê' 
sidérable dTinstromeDS et de ecJkrjtiMMu 
Pour que mon cMivrage fut pi«s vafié 
dans les formes . j'ai inttrronfpfi ^Muverit 
la partie historique par de Mttpk^ d^v 
criptioii& Xexpûse d al^id ie^ pOsiM^ 
mcaesdans Tendre oâ ils k Mikt yii^^cfiXf:^^ 
et )e ks coKÎdtie e&œhe daiia ï^ojkMJÀjléit 
dekiiisiàppoitsiiidîvid£heâs/>^ iftai^^ije 
a àe suivie avec saooei» dait^ k v<nv2t^i: <ie 
M. de SaiMBore , livre précieux qui ^ plu^ 
ou anoonaiâre. a ccMïtrilméa/^ vai^^j^m^xit 



5a INTBODUCTIO_\. 

des sciences, et qui , an milieu de discus- 
sions souvent aritîes sur la inéléorologie, 
renferme plusicuis tableaux pleins de 
cliarme , comme ceux de la vie des mon- 
tagnards, lies dangers de la chasse aux 
chamois , ou des sensations qn'on éprouve 
sur ie sommet des hautes Alpes. 

H est des détails de la vie commune 
qu'il peut èlre utile de Consigner dans nn 
itinéraire, parce qu'ils servent à régler la 
condui te de ceux qui pa reourent les 
mêmes contrées après nous. J'en ai con- 
servé un petit nombre: mais j'ai supprimé 
la plupart de ces incidens personnels qui 
n'offrent pas un véritable intérêt de situa- 
tion , et sur lesquels la perfection du 
style peut seule répandre de l'agrément. 

Quant au pays qui a fait l'objet de 
mes recherches , je ne me dissimule pas 
les grands avantages qu'ont sur les voya- 
geurs qui ont parcouru l'Amérique, ceux 
qui décrivent la Grèce, l'Egyjile, les 
bords de l'Euphrate et les îles de l'Océan 



INTRODUCTION^ 53 

Pacifique. Dans Fancien monde , ce sont 
les peuples et les nuances de leur civilisa-*- 
siou qui donnent au tableau son caractère 
principal ; dans le nouveau j rhomroe et 
Èés productions disparoissent , pour ainsi 
dire, au milieu d'une nature sauvage et 
gigantesque. Le genre humain n^ offre 
que quelques débris de hordes indigènes 
peu avancées dans la culture, ou cette 
uniformité de mœurs et d'institutions 
qui ont été transplantées sur des rives 
étrangères par des colons européens. Or 
ce qui tient a Thistoire de notre espèce , 
aux formes variées des gouvememeos , 
aux monumens des arts , à ces sites qui 
rappellent de grands souvenirs, nous 
touche bien plus vivement que la des- 
cription de ces vastes solitudes qui ne 
paroissent destinées qu'au développement 
de la vie végétale et à Tempire des 
animaux. Les sauvages de TAmérique 
qui ont été l'objet de tant de rêveries 
systématiques^ et sur lesquels, de nos 



B,\ INTRODUCTION. 

jours, M. de Volncy a publié des observa- 
tions pleines de sagacité et de justesse, 
inspirent moins d'intérêt, depuis que des 
voyageurs célèbres nous ont fait eonuoître 
ces habitans des îles de la mer du Sud 
dont le caractère offre im mélange frap- 
pant de douceur et de jierversité. L'état 
dé demi-civilisation dans lequel on trouve 
ces insulaires, donne un charme parti- 
culier à la description de leurs mœurs ; 
tantôt c'est un roi qui , accompagné d'unt: 
suite nombreuse, vient offrir lui-même 
les fruits de son verger, tantôt c'est une 
fête funèbre qui se prépare au milieu 
d'une forêt. Ces tableaux ont sans doute 
plus d'attraits que ceux que présente la 
morne gravité des liabitans du Missoury 
ou du Maranon. 

Si l'Amérique n'occupe jias une place 
distinguée dans l'histoire du genre hu- 
main et des anciennes révolutions qui 
l'ont agité , elle offre un ehanip d'autant 
aux travaux du pbysieien» 



Nulle part ailleurs la Nature ne l'appelle 
plus vivement à s'élever à des idées gé- 
nérales sur !a cause des phénomènes et 
sur leur enchaînement mutuel. Je ne ci- 
terai pas celte force de la végétation , 
cette fraîcheur éternelle de la vie orga- 
nique, ces climats disposés par étages sur 
la pente des Cordillères, et ces fleuves 
immenses qu'un écrivain célèbre ■ nous a 
peints avec une admirable ûdélité. Les 
avant'iges qu'offre le nouveau monde pour 
l'étude de la géologie et de la physique 
générale sont reconnus depuis long-temps. 
Heureux le voyageur qui peut se flatter 
d'avoir profité de sa position, et d'avoir 
ajouté quelques vérités nouvelles à la 
masse de celles que nous avons acquises ! 

Il est presque inutile que je rappelle 
ici ce que j'ai déjà indiqué dans la Géo- 
graphie des plantes et dans le discours 
préliminaire place à la tète des Plantes 

' M. de Cliateaubriand, 



1 



56 INTRODUCTION. 

équinoxiales ^ qu'unis par les liens de 
l'aniiiié Id plus intime tant pendant le 
cours de noire voyage que pendant les 
annéi-'s qui l'ont suivi, nous publions en 
commun, M. lîonpland et moi, tous les 
ouvr<iges qui sont le fruit de nos travaux. 
J'ai tàclié d'exposer les fuils tels que nous 
les avons observés ensemble; mais cette 
relation ayant été rédigée d'après les notes 
que j'ai écrllLS sur les lieux, les inexac- 
titudes qui iieuvcnt se trouver dans mon 
récit ne doivent être attribuées qu'à moi 
seul. 

Les observations que nous avons faites 
pendant le cours de notre voyage, ont 
été distribuées en six sections ; la pre- 
mière embrasse la Relation liîstorique; 
la seconde , la Zoologie et l'Anatomie 
comparée; la troisième, TEssai politique 
sur le royaume de la Nouvelle-Espagne ; 
la quatrième, l'Astronomie ; la cinquième, 
]a Physique et la Géologie , et la sixième, 
la Description des plantes nouvelles 



«7 
iccooDics dans les deux Aménqpn». Lk 

éditoors oot déployé ua nie loiutUepcwr 
rendre tn ouvrages pfan dig^Ms de fui- 
dulgencse dm poUic Je ne saurais passer 
soussiksioe ]efinonUs|iiceplacééIa tétede 
réditiao io^^. de cet Ilinersiire, M< Gé- 
rard, aveclequd ) « le bonheur d'être lié 
depuis quinze ans, s'est plu a dérober pour 
moi quelques momens à ses travaux : je 
sens tout le ipiix de oe témoignage public 
de son estime et de son amitié. 

J*ai die avec soin dans cet ouvrage les 
personnes qui ont bien voulu me com^ 
muniquer leurs observations : c^est dans 
rintroduction m^e que je dois consigner 
l'expression de ma reconnoissance pour 
MM# Gay-^Loissac et Arago, mes confrères 
àr^nstitut, qui oot attaché leur nom à 
des travaux importaus, et qui sont doués 
de cette élévation de cametère à laquelle 
devroit toujours conduire uu amour ar- 
dent pour les siences. Ayant 1 avautago 
de vivre avec eux dans l'union la plus 



58 INTKODUCTiOîr. 

droite, j'ai pu les consulter joumëlle^ 
ment avec fruit sur des objets de chimie, 
de physique et de plusieurs branches des 
mathématiques appliquées. J'ai déjà eu 
occasion de citer , dans le Recueil de mes 
observations astronomiques, ce que je dois 
à l amitié de M. Arago qui , après avoir 
terminé la mesure de la méridienne d'Es- 
pagne 5 a été exposé à des dangers si mul- 
tipliés 5 et qui réunit les talens de l'astro- 
nome 5 du géomètre et du physicien. C'est 
avec M. Gay-Lussac que J'ai discuté plus 
particulièrement 5 au moment de mon 
retour 5 les difFérens phénomènes de mé- 
téorologie et de géologie physique que 
j'ai recueillis dans mes voyages. Depuis 
huit ans nous avons presque constamment 
habité sous le même toit eii France , en 
Allemagne ou en Italie : nous avons ob- 
servé ensemble une dés plus grandes éi*up - 
tions du Vésuve; quelques travaux sur 
l'analyse chimique de l'atmosphère et sur 
les variations du magnétisme terrestre 



INTRODUCTION. 5^9 

nous ont été communs. Ces circonstances 
m'ont mis dans le cas de profiter souvent 
des vues profondes et ingénieuses de ce 
chimiste , et de rectifier mes idées sur des 
objets que je traite dans la Relation his- 
torique de mon voyage. 

Depuis que j'aî quitté l'Amérique, une 
de ces grandes révolutions qui agitent de 
temps en temps l'espèce humaine, a éclaté 
dans les colonies espagnoles; elle semble 
préparer de nouvelles destinées à une po- 
pulation de quatorze millions d'iiabitans, 
en se propageant de Thémisphère austral 
à l'hémisphère boréal, depuis les rives de 
la Plata et du Chili jusque dans le nord 
du Mexique. Des haines profondes, sus- 
citées par la législation coloniale et en- 
tretenues par une politique défiante, ont 
fait couler le sang dans ces pays qui jouis- 
soient , depuis trois siècles , je ne dirai pas 
du bonheur, mais d'une paix non inter- 
rompue. Déjà ont péri, à Quito, victimes 
de leur dcvouement pour la patrie, les 



6o INTRODUCTIOiy. 

citoyens les plus veriueux et les plus 
t'clalrt's. En décrivant des régions dont 
le souvenir m'est devenu si clier, je ren- 
contre à chaque instant des lieux qui me 
rappellent la perte de quelques amis. 

Lorsqu'on réfléchit sur les grandes 
agitations politiques du nouveau monde, 
on observe que les Espagnols Américains 
ne se trouvent jias dans une position aussi 
favorable que les habitans des Etats-Unis, 
préparés à l'indépendance par la longue 
jouissance d'une liberté constitutionnelle 
peu limitée. Les dissensions intérieures 
sont surtout à redouter dans des régions 
où la civihsation n'a pas jeté des racines 
très-profondes, et oiij par l'influence du 
climat, les forets regagnent bientôt leur 
empire sur les terres défrichées , mais 
abandonnées à elles-nuhnes. Il est à 
craindre aus^ï que, pendant une longue 
suite d'années, aucun voyngenr étranger 
ne puisse parcourir IViisemble des pro- 
vinces que j'ai visitées. Cette circoiis- 




ranoDccnooL 6i 

tance ajoute peut-élrr à rinteiÀ d*«a 
ouvrage qui présente Fctat de la 
partie des colonies espagnoles an 
menoement du dix - ncn^icme sicdci Je 
me flatte méme^ en me lirrant a ds 
idées plus douces y qull 
d attention, lorsque ks 
calmées, et que, sons Ilnfluence tfon 
nouvel ordre sodal, ces pavs anraot £kit 
des progrès rapides tos la proftpêritê 
publique. Si alors qnd<pies pages de mon 
livre survivent à Foubli , Fliabitant des 
rives de TOrénoqiK et de F Atabapo verra 
avec ravissement que des villes popnlenses 
et commerçantes, que des cliamps labourés 
par des mains libres occupent ces mêmes 
lieux où, à Fépoqne de mon voyage, 
on ne trouvoit que des forets impéné- 
trables ou des terrains inondés. 



VOYAGE 

AUX RÉGIONS É0UINOXIALES 

DU 

NOUVEAU CONTINENT. 



LIVRE PREMIER. 



CHAPITRE PREMIER. 

Préparatifs. — Instrumens. — Départ d'Es- 
pagne, — Relâche aux îles Canaries. 

IjOBSQtj'uw gouvernement ordonne une de 
ces expédûions maritimes qui contribuent à 
la connoissance exacte du j^iobe et à l'avaii- 
cemenl des sciences physiques, rien ne s'op- 
pose à l'exécution de ses desseins. L'époque 
du départ et la direction du voyage peuvent 
être fixées , dès que l'équipement des vaisseaux 
est terminé et que l'on a choisi les astronomes 
et les naturalistes destinés à parcourir des mers 
incoaaues. Les îles et les cotes, dont ces 



1 



64 LIVRE I. 

voyageurs se préparent à examiner les pro- 
ductiuns, ne sont point soumises à l'influence 
delà polilique européenne. S'il arrive que des 
guerres prolongées entravent la liberté de 
l'Océan , des passeports sont accordés niutuel- 
leinent p^r les puissances beDigérantes ; les 
haines particulières se luisent quand il s'aj^t 
du progrès des Inniières, qui est la cause 
commune de tous leSpoples. 

Il n'en est pas de même lorsqu'un simple 
particulier entreprend à ses frais un voyage 
dans l'intérieur d'im continent sur lequel 
l'Europe a étendu son système de coloni- 
sation. Le voyageur a beau méditer un plan 
qui lui paroîl convenable , et pour l'objet de 
ses reehcrclies, et pour l'état politique 'les 
contrées qu'il veut parcourir ; il a beau réunir 
tous les moyens qui , loin de sa patrie , peuvent 
lui assurer pour long-temps une existence 
indépendante : souvent des obstacles imprévus 
s'opposent à ses desseins au moment même 
qu il croit pouvoir les mettre en exécution. 
Peu de particuliers ont eu à combattre des 
dllHcullés pins nombreuses que celles qui 
se sont présentées à moi avant mon départ 
pour l'Amérique espagnole; j'aurois préféré 



CHAPITRE T. n * 

ïkea point faire le récit, et coaunencer eciie 
rdationparlevoyageàlacijiieilaPic leTibié' 
riSe, siiues premiers projets manqaés a avoient 
inflaé sensiblement sot la direction qiie |'â 
donnée à mes courses depuis mon retonr 4e 
rOréuoqoe. J'exposerai donc aree rapidité 
ces événemens ipû n'offirent aacim iatêrét 
pour les sciences, mais que je d^^sire pr<>« 
senter dans lenr Trai jour. Comme li c:iriAîute 
publique se porte songeât pfais we là per- 
sonne des ▼ojageurs qne sar lenr^ ->»i^îrafr-î . 
on a défiguré d'me manière etnRtçr^ "^ 
<pii a rappel aux premiers piaai#pe eA'-^&UA 
tracés. 

épnmTé, do ma première ^tmuciK : 



^ Je dob faire ofaiervcr. a <i»t2e 'V^-ta^wo. tiu^ #e v <« 
jasais e« cuvaniMUMCie ^asm ^nrrn^ *n !»t i^Aotu^. 
qui a {lani cIukT^ÎIbct a Haini^mrT ¥inm ^ '.f/> 
biiarre de Tova^ ^atuma èau jÊ0inttÊt « t;»rut .* Uti^ - 
riqueméridinttfe. far A, 4&e Huniuucct ">»?:*( ^^«t ^>i ^ 
faite en bkmi hmi; a éaé n»di|K^ i vt te* i^/v 
d'apiift des boôo» ykiiùjtfA iOLV- m:^ rvu'i^w.- »^ 
d'après des bk3MÔ«s jk^i ^ut '«. ai^, « ^ ^tmi*'.'*, 
daiae de ITsstitarl. Le 'xj!nivlî«vtn.if »i^« I j;»^ ' < 
tntkm dn pvUSe, « cm y^ja-v^nr a^tu»:? « ut "» v </^* 
dans q n riiy i ^s fovlâe» di» M»r«<stit t^vtf.iu^iK m. '.ï. • 
plus attrajasX de Vvi i:^ anni^ur fa ju^^uv^. 



66 LIVRE I. 

le désir ardent d'un voyage dans des régions 
loiiilaiiies et peu visitées par les Européens. Ce 
désir caractérise une époque de notre exis- 
tence où la vie nous paroît comme un horizon 
sans bornes , oii rien n'a plus d'attraits pour • 
nous que les fortes agitations de lame et 
l'image des dangers physiques. Elevé dans 
un pays qui n'entretient aucune communi- 
cation directe avec les colonies des deux 
Indes , habitant ensuite des montagnes éloi- 
gnées des eût s^ et célèbres par de nom- 
breuses exploitations de mines , je senïis se 
développer progressivement en moi une vive 
passion pour la mer et pour de longues 
navigalions. Les objets que nous ne connois- 
sons qne par les récits animés des voyageurs, 
ont nn clianne particulier : notre invagination 
se plaît à tout ce qui est vague et indéfini; 
les jouissances dont nous nous voyons privés 
paroissent préférables à celles que nous 
éprouvons journellement dans le cercle étroit 
de la vie sédentaire. Le goût des herbori- 
sations, l'étude de la géologie, une course 
rapide faite en Hollande, en Angleterre et 
enFrance ,avec un homme célèbre, M. George 
Forster, qui avoit eu le bonheur d'accom- 



GHAPITRB I. 67 

pagner le capitaine Cook dans sa seconde 
navigation auloar du globe^ contribuèrent 
à doBnet une direction déterminée aait plans 
de Toyages que j'avoia formés à Vêige de dix- 
hait ans* Ce n'étoit plus le désir de l'agitation 
et de la yie errante , c'étoit celui de voir dû 
près une nature sauvage , majestueuse , et va- 
riée dans ses productions } c'étoit Tespoif 
de recueillir quelques faits utiles aux progrès 
des sdences qni appeloient sans cesse mes 
vœux vers ces belles régions sitnées sous la 
2one torride* Ma position individuelle ne ma 
permettant pas d'exécuter alors des projets 
qui occupoient si vivement mon esprit ^ j'eus 
le loisir de me préparer pendant six ans aux 
observations que )e devois £iire dans la 
aouveau continent ^ de parcourir différentes 
parties de l'Europe , et d'étudier cette haute 
dialne des Alpes , dont j'ai pu dans la suite 
comparer la structure a celle des Andes de 
Qnito et du Pérou. Comme je travaiilois 
successivement avec des instrumens de diffé- 
rentes constructions , je fixois mon choix sur 
ceux qui me paroissoient à la fois les plus 
précis et les moins sujets à se briser dans le 
transport; j'eus occasion de répéter des 

5* 



68 l.ivKE r. 

mesures qui avoient élé faites U'iiprès les 
méthodes les plus rigoureuses, et j'appris à 
connoitre par moi-même la limite des erreurs 
auxquelles je pouvois être exposé. 

J'avois traversé une partie de l'Italie en 
179,5, mais je n'avois pu visiter les terrains 
volcaniques de Naples et de la Sicile. Je 
regrettois de quitter l'Europe avant d'avoir 
TU le Vésuve , Stroiiiboli et l'Etna; je sentols 
que, pour bien juger d'un grand nombre de 
phénomènes géologiques , surtout de la nature 
des roches de formation trapéenne, il falloit 
avoir examine de prés les phénomènes 
qu'offrent les volcans qui sont encore en 
activité. Je me déterminai donc à retourner 
en ItaUe au mois de novembre 1797. Je fis 
un long séjour à Vienne, oii de superbes 
collections de plantes exotiques et l'amitié de 
MM.deJacquinetdeM.JosephVanderScholt 
me furent si utiles pour mes études prépa- 
ratoires; je parcourus, avec M. Léopold de 
Buch qui , depuis , a puMié un excellent 
ouvrage sur la Lapunie, plusieurs cantons 
du pays de Salzbourg et de la Styrie, deux 
contrées également intéressantes pour le 
géologue et pour le peintre paysagiste : mais, 



CHAPITRE I. 6g 

au moment de passer les Alpes du Tyrol^ les 
guerres qui agituieiit alors l'Italie entière 
jne Ibrcèrent de reDoncer au projet d'aller 
à Naples. 

Peu de temps avant , un homme qui étoît 
passionné pour les lieaux aris, et qui, pour 
en observer les monumens , ^voit visité les 
côtes de rili^rie et de la Grèce, m'avoit 
proposé de l'accompagner dans un voyage de 
la Haute-Egjpte. Celte excursion ne devoit 
■ durer que huit mois : munis d'instrumens 
astronomiques et accompagnés d'habiles des- 
sinateurs , nous devions remonter le Nil jusqu'à 
Assooan , en examinant en détail la partie du 
Saïd comprise en Ire Ten ty ris et les Cataractes. 
Quoique mes vues n'eussent pas été fixées 
jusque là sur une région située hors des tro- 
piques , je ne pouvois résister à la tentation 
de visiter des contrées si célèbres dans les 
. fastes de la ci\ilisalion humaine. J'acceptai 
les propositions qui m'éloient faites , mais 
sous la condition expresse que , de retour 
,à Alexandrie, je resterois libre de continuer 
seul mon voyage par la Syrie et la Palestine. 
Je donnai dés-lors à mes études une direction 
t\\ii étoit conforme à ce nouveau pro),ct,et 



J 



yt) LIVBE I. 

dont j'ai profité dans l;i suite , en examinuiit 
les rapports qu'offrent les monumens barbares 
des Mexicains avec ceux des peuples de 
l'ancien monde. Je me croyois liès-près du 
moment où je m'einbarqiierois pour l'Êu-^ypte, 
quand les événenicns politiques me firent 
abandonner un plan qui me promettoit tant 
de jouissances. La situation de l'Orient éloît 
telle , qu'on simple particulier ne ponvoit 
espérer de suivre des travaux qui , même dans 
des temps plus paisibles , exposent souvent lu 
voyageur à la méfiance desjifouvernemens. 

On préparoit alors en France une expé- 
dition de d(*couverles dans la mer du Sud , 
dont le commandement dcvoit être confié au 
capitaine Baudin. Le premier plan qu'on avoit 
tracé étoit grand , bardi , et digne d'êlre exé- 
cuté par un cbf'f plus éclairé- L'expédition 
devoit visiter les possessions espagnoles de 
l'Amérique méridionale , depuis Tombouchure 
du lîio de la Plata jusqu'au royaume de 
Quito, et à f'istbme de Panama. Après avoir 
parcouru l'Archipel du Grand - Océan et 
reconnu les côtes de la Nouvelle-Hollande, 
depuis la terre de Dienien jusqu'à celle de 
NujtSj les deux corvettes dévoient relâcher 



CHAl'ITBE I. 71 

a Madagascar et revenir par le cap Je Boone- 
Espérance, J'éloîs arrivé à Paris au iiiomeot 
où l'on commencoit les préparatifs de ce 
TOjage. J'avois peu de confiance dans le 
caractère personnel du cypilaine Baudin , qui 
avoit doniié des motifs de niécontenteiueot à 
la cour de Vienne, lorsqu'U étoit chargé de 
conduire au Brésil un de mes ainis, le jeune 
botaniste M. Van dcr Schott : mais comme 
je ne pouvois espérer de faire, par mes propres 
moyens, un vojage aussi étendu, et de voir 
une si belle parue du globe, je résolus de 
courir les chances de celle expédition. J'oblîas 
la permission de m'embarquer, avec les ins- 
trumensque j'avois réunis, sur une des cor- 
vettes destinées pour la mer du Sud , et je me 
réservai la liberté de me séparer du capitaiue 
Saudin lursque je le jugerois convenable. 
M. Michaux, qui déjà avoit visité la Perse 
el une partie de rAniérique septentrionale, 
et M. Bonpiand, avec lequel je contractai les 
liens qui nous ont unis depuis, étoieut des- 
tinés à suivre celle expédition comme natu- 
ralistes. 

Je m'étois bercé pendant plusieurs mois 
de l'idée de partager des travaux dirigés vers 



^a LIVRE I. 

lui but si grand et si honorable, lorsque la 
guerre qui se ralluma eii Allemagne et eu 
Italie délerinina le Gouvernement François à 
retirer les fonds qu'il avoit accordés pour 
ce voyage de découvertes, et à l'ajourner à 
nu temps 'indéfini. Cruellement trompé dans 
mes espérances, voyant se détruire en un seul 
joui- les ])lans que j'avois formés pour plu- 
sieurs années de ma lie , je clierchai, comme 
au hasard , le raojen le plus prompt de 
quitLer l'Europe, et de me jeter dans une 
entreprise quipiit me consoler de la peine que 
j'éprouvois. 

Je fis la connoissance d'un consul de Suède, 
M. Skicildebrand, qui, chargé par sa cour 
de porter des présens au dey d'Alger, passoit 
par Paris pour s'embarquer à Marseille. Cet 
homme estimable avoit résidé long- temps 
sur les côtes d'Afrique : comme il jouissoit 
d'une considération parliculiéreprès du gou- 
vernement d'Alger , il pouvoit me proearer 
des facilités pour parcourir librement celte 
partie de la chaîne de l'Allas qui n'avoil point 
tic l'objet des intéressâmes recherches de 
M. DcsfonLaines. 11 expédîoit annuellement 
un bàliment pour Tunis, sur lequel s'enibar- 



CUAPITItEI. JO 

qooîent les pèlerins de la Mecque, et il me 
promit de me faire passer, par la même voie, 
en Enypte. Je n'hésitai pas un moment à 
profiler d'une occasion sî favorable , et je me 
croyoLS à la veille d'exécuter un plan que 
j'avois formé avant mon arrivée en France. 
Aucun minéralogiste n'avoit encore examiné 
cette haute chaîne de montagnes qui, dans 
l'empire de Maroc , s'élève jusqu'à la limite 
des neiges perpétuelles. Je pouvois être sûr 
qu'après avoir fait quelques travaux uliles 
dans la région alpine de la Barbarie, j'cprou- 
verois, en Egypte, de la part des savans 
illustres qui se trouvoient depuis quelques 
mois réunis dansl'InsliLutdu Caire, ces mêmes 
marques d'intérêt dont j'avois été comblé 
pendant mon séjour à Paris. Je comjilétai à 
la hâte la collection d'instrumens que je 
possédois, et je fis l'acquisition des ouvrages 
qui avoient rapport aux pays que j'allois 
visiter. Je me séparai d'un frère qui, par 
ses conseils et par son exemple , avoit exercé 
une grande influence sur la direction de mes 
pensées II approuvoil les motifs qui me dcter- 
iminoient à m'éloigner de l'Europe; une voix 
secrète nous disoit que nous nous reverrions. 



n 



7i LIVRE I. 

Cet espoir , qui n'a pas élé trompé , adou- 
cissoit la douleur d'une longue sép;iration. Je 
quittai Paris dans le dessein de m'embarquer 
pour Alger et pour l'Egypte : et, par l'efièt 
de ces vicissitudes qui tiennent à toutes les 
choses de la vie, je revis mon frère en reve- 
nant du fleuve des Amazones et du Pérou , 
sans avoir touché le continent de l'Afrique. 

La frégate suédoise , qui devoit conduire 
M, Skioldebrand à Alger, étoil attendue à 
Marseille dans les derniers jours du mois d'oc- 
tobre. Nous nous y rendîmes, M. Bonpland 
et moi, vers cette époque , avec d'autant plus 
de célérité que , pendant le voyage , nous 
étions sans cesse agités de la crainte d'arriver 
trop tard, et de manquer notre embarque- 
ment. Nous ne prévoyions pas alors les 
nouvelles contrariétés auxquelles nous nous 
trouvâmes bientôt exposés. 

M. Skioldebrand étoit aussi impatient qwe 
nous d'arriver au lieu de sa destination. Nous 
visitâmes plusieurs fois par jour la montagne 
de Nolre-Dnme de la Gnrde , d'où l'on jouît 
d'une vue étendue sur la Méditerranée. Chaque 
Tode que l'on découvroît à l'horizon , nous 
causoit une vive émotion : mais après deux 



CHAPITnS t. jS 

mois d'inqnîélndes el de vaines attentes, nous 
apprîmes par les jonrnaux que la frégate 
suédoise qui devoil nous conduire , avoit 
beaucoup souflert dans une tempête snr les 
côtes du Portugal, et que, pour se radouber, 
elle avoit été forcée d'entrer dans le port 
de Cadix. Des lettres particulières confir- 
mèrent cette nouvelle, et nous donnèrent la 
certitude que le Jaramas (c'étoit le nom de 
la frégate) n'arriveroit pas à Marseille avant 
le commencement du printemps. 

Nous ne nous sentions pas le courage de 
prolonger notre séjour en Provence jusqu'à 
cette époque. Le pays , et surtout le climat, 
nous paroissoient délicieux, mais l'aspect de 
la mer nous rappeloit sans cesse nos projets 
manques. Dans nne excursion que nous lîmes 
à Hyères et à Toulon , nous trouvâmes dans 
ce dernier port , appareillant pour l'ile de 
Corse , la frégate la Boudausti , qui avoit été 
eommandée par M. de Bougainviile dans son 
voyage autour du monde. Cet illustre navi- 
gateur m'avoit honoré d'une bienveillance 
particulière pendant mon séjour à Paris , 
lorsque je me préparois à suivre l'expédition 
du capitaine Baudin. Je ne saurois dépeindre 




yG LIVRE r. 

l'impression que me fit la vue tlu bâtiment 
qui avoit conduit Commerson dans les îles de 
la mer du Sud. 11 est des disposilions de l'ame 
dans lesquelles un sentiment douloureux se 
mêle à tout ce que nous éprouvons. 

Nous peisislàmes toujours dans l'idée de 
nous rendre sur les eûtes de l'Afrique , et 
peu s'en fallut que celte persévérance ne nous 
devînt funeste. Il y avoit, à cette époque, 
dans le port de Marseille, un petit bâtiment 
ragusois prêt à faire voile pour Tunis. II nous 
parut avantageux de profiler d'une occasion 
qui nous rapprochoit de l'Egypte et de la 
Syrie. ]\ons convinmes avec le capitaine du 
prix de notre passage : le départ fut fixé au 
lendemain ; mais une circonstance peu impor- 
tante en elle-même relarda heureusement ce 
départ. Les animaux qui dévoient nous servir 
de nourriture pendant la traversée , étoient 
logés dans la grande chambre. Nous exigeâmes 
que l'on fît quelques arrangemens indispen- 
sables pour la commodité des voyageurs et 
pour la sûreté de nos inslrumens. Pendant 
cet intervalle, on fut informé à Marseille que 
le gouvernement de Tunis scvissoit contre 
les François établis en Barbarie, et que tous 



CHAPITRB I. 77 

!es individus venant d'un port de France 
étoient jetés dans les cachots. Cette nouvelle 
nous fît échapper à un danger imminent ; 
nous nous vîmes forcés de suspendre l'exécu- 
tion de nos projets^ et nous résolûmes de 
passer Fhiver en Espagne^ dans l'espoir de 
nous embarquer au printemps prochain ^ soit 
à Carthagène , soit à Cadix y si Pétat politique 
de rOrient le permettoit 

Nous traversâmes le royaume de Valence 
et la Catalogne pour nous rendre à Madrid. 
Nous yisitâmes les ruines de Tarragone et 
celles de l'ancienne Sagonte : nous fîmes de 
Barcelone une excursion au Mont-Serrat', 
dont les pics élancés sont habités par des her- 
mites; et qui, par le contraste d'une végéta- 
tion vigoureuse et de masses de rochers nus 
et arides, oflFre un paysage d'un caractère 
particulier. J'eus occasion de fixer, par des 
moyens astronomiques , la position de plu- 
sieurs points importans pour la géographie 

* M. Guillaume de Ilumboldt, qui a parcouru toute 
PEsps^e peu de temps après mon départ d'Europe , a 
donné la description de ce si le dans les Èphéméridas 
^^ographiques de Weimar, pour i8o3. 



' ^8 I.IVRK I. 

de l'Espagne'; je déterminai, à l'aide du 
baromètre, la hauteur du plateau central", 
et je fis quelques observalions sur l'inclinaison 

' Ohx. attr. , T- I, Inlroduction , p. xkxï-isxtïj, 
el J-.iv. I, p. 3-33. A cette époque, la latitude de 
"Valence ^toit encore incertaine de plusieurs minutes. 
Je IroiiTai pour U cathédrale ( que Tofino place par les 
3a° 26' 3o") latitude, 39° a8' 42"; et longitude, o'' 
1 1' o",3. Quatre ans plus lard , le baron de ta Puehla et 
M. Méehain ilitrent ce point par des hauteur» zéni- 
titales prises aïec un cercle répétiteur, et par des 
occultations d'iJtoiIes,à Sg" a8' ^f-^fi en latitude, et i 
o"* 1 1' o",6 en longitude. A Murïiedro (l'ancienne Sa- 
gontc ) , )e déterminai la position des ruines du temple 
de Diane, ]^^ès du couvent des Trinitairea. Ces ruines 
sont par les 3})' 'io'aG" de latitude, et les ù 10' 34" de 
longitude. 

" Vojez, ma Notice sur la ctrafiguration du sol de 
l'Espagne, dans l'Itinéraire du M. de La Borde, T. I, 
p. cxLvii. D'après M. Banza, la hauteur mojenne du 
Baromètre, à Madrid, est de 26 pouces a/i lignes, 
d'où .résulte, selon la fui-mnle de 1M. LaPlacectle 
uuuvcau cocfljcicni de M. Rauiond, que la capitale de 
l'Espafjne est éleTée de 3oçj toises ( (k)3 '" ) au-dessus 
du niveau de l'Océan. Ce résultat s'accorde assez bien 
avec celui qu'a obtenu Don Jorgo Ju;in, et que M. de 
Lalaude a publié, et d'après lequel la hauteur de 
Madrit! an-di-'sus du niveau de Paris est de ayV toises. 



CHAPITRE I, 79 

de l'aiguille aimantée et sur l'inlensité des 
forces magnétiques. Les résultats de ces obser- 
Tations ont été publiés séparément, et je n'en- 
trerai dans aucim détail sur l'histoire physique 
d'un pays dans lequel je n'ai séjourné que six 
mois , et qui, récemment, a été parcouru par 
tant de voyageurs instruits. 

Arrivé à Madrid , j'eus bientôt occasion de 
me féliciter de la résolution que nous avions 
prise de visiter ta péninsule. Le baron de 
Forell , ministre de la cour de Saxe prcs de 
celle d'Elspagne , me témoigna une amitié qui 
me devint infiniment utile. Il rénnissoit des 
ïrannoissances étendues eu minéralogie à l'in- 
térêt le plus pur pour des entreprises propres 
à favoriser le progros des lumières. Il me fit 
entrevoir que , sous l'administration d'un 

^JUém, de l'Acad-, 177(1, p. i43.) La montagne la 
plus élevée iIr tou(c la péninsule n'est pas le Mont- 
Perdu, comme on l'a cru jusqu'ici, mais le Mulahacen 
qui fait partie de la Sierra Nevada de Grenade. Ce Pic, 
d'aprfes le nivellement géodêsique de Don Clémente 
Boxas, a i8ai toises de hauteur absolue, tandis que 
le Mont-Perdu, dans les Pyrénées, n'a que 1^63 toise». 
Près .du Mulahacen se lrou\e situé le Pico de Felela 
élevé àe i;8i toises. 



m 



8o LIVRE I. 

niiiiislre éclairé , le chevalier Don Muiùano 
Luis de Urquijo, je pouvois espérer d'obteoir 
la permission de visiler à mes Irais riiitcrieur 
de l'Amérique espagnole. Après toutes les 
contrariétés que je venois d'éprouver , je n'hé- 
sitai pas un instant de suivre cette idée. 

Je lus présenté à la cour d'Aranjuez, au 
mois de mars 1799- Le roi daigna ni'accueillir 
avec bonté. Je lui exposai les motifs qui m'en- 
gageoient à entreprendre un voyage au nou- 
veau continent et aux îles Philippines, et je 
présentai un mémoire sur cet objet à la secré- 
t;iîrerie d'état. Le chevalier d'Urquijo appuya 
ma demande, et parvint à aplanir tous les 
obstacles. Le procédé de ce ministre fut d'au- 
tant plus généreux que je n'avois aucune 
liaison personnelle avec lui. Le zèle qu'il a 
constamment montré pour l'exécution de mes 
projets, n'avoit d'autre motif que son amour 
pour les sciences. C'est à la fois un devoir et 
une satisfaction pour moi de consigner dans 
cet ouvrage le souvenir des services qu'il m'a 
rendus. 

J'obtins deux passeports, l'un dn premier 
secrétaire d'état, l'autre du conseil des Indes. 
Jamais permission plus étendue n'avoit été 



chapitae t. 8ï 

accordée à un voyagRur ; jamais étranger 
n'avoil été honoré de plus de confiance de la 
part du gouvernement espagnol. Pour dis- 
siper tons les doutes que les vice-rois ou les 
capitaines généraux , représentant l'autorilé 
royîile en Auiérique, pourroient élever sur 
la nature de mes travaux , le passeport de la 
primera secretaria de estado portoit « que 
n j'étois autorisé à me servir librement de 
« mes inslrumens de plijsiqueel de géodésie; 
« que je pouvoîs faire, dans toutes les pos- 
« sessions espagnoles, des observations aslro- 
« noniiques ; mesurer la hauteur des inon- 
II tagnes; recueillirles productions du sol, et 
« exécuter toutes les opérations que je juge- 
1 rois utiles à l'avancement des sciences". ■> 

' Ordena S. M. a ioa capitnnea gmeriileg , coman- 
dante»,gobtrnadores,yntendi-ntes, c-rregidaresy demaa 
juaticins no impidan porningun motivola coït /ucc'on de 
lo» irutrumetilos de fiiica , qui mica , antronomia y 
matemnlican , ni el kacer en lodas lus potseasionea 
ultramarinaa la-: observaciones y experimcntos qu« 
juBgue utiles , como tampoco el coUclar librement* 
plantas, animâtes, semillas y minerutes, medir la, 
altura de las monCes , examinnr la naluraleza de estas j 
hacer observaciones astronomicai y desciibrimentos 
uUlea para el progressa d» tas ciencias ; pues par et 

1. 6 



s? LI\RE I. 

Ces ordres de la cour ont été strictement 
suivis, même après les événemens qui ont 
forcé M. d'Urquijo de quitter le minislère. 
De mon colé j'ai tSché de répondre à des 
marques d'un intérêt si consl.int. J';ii pré- 
senté, pendant mon séjour en Amérique, aux 
gouverneurs des provinces, la copie des ma- 
lérianx que j'avois recueillis et qui pouvoient 
intéresser la métropole en répandanl quelque 
lumière sur la géographie et la statistique des 
colonies. Conformément à l'offre que j'en 
avois faite avant mon départ , j'ai adressé plu- 
sieurs collections géologiques au Cabinet 
d'histoire naturelle de Madrid. Comme le but 
de notre voyage étoit purement scientifique, 
nous avons réussi, M. Bonpland et moi, à 
nous concilier à la fois la bienveillance des 
colons et celle des Européens chargés de 
l'administration de ces vastes contrées. Pen- 
dant les cinq ans que nous avons parcouru le 
nouveau continent, nous n'avons pas aperçu 
le moindre signe de défiance. Il m'est doux 

contrario quiere elRey que todas las personas a quienei 
correiponda , den al B. de Hamholdt todo el favor, 
auxilio y prolecciun que nécessite. { De Aranjueî , j de 
maya 1799- ) 



CHAPITRE I. 83 

de rappeler id, qu'au milieu des privations 
les plus pénibles » et luttant contre des obsta* 
des qui naissent de l'état sauvage de ces pays, 
nous n'avons jamais eu à nous plaindre de 
Tin justice des hommes. 

Plusieurs considérations auroient dû nous 
engager à prolonger notre séjour en Espagne. 
L'abbé Gavanilies, aussi remarquable par la 
variété de ses connoissances que par la finesse 
de son esprit, M. Née, qui, conjointement 
avec M. Hœnke , avoit sdivi conmie botaniste 
l'expédition de Malaspina , et qui lui seul a 
formé un de plus grands herbiers que Ton ait 
jamais vus en Europe, Don Casimir Ortega^ 
l'abbé Pourret, et les savans auteurs de la 
Flore du Pérou, MM. Ruiz et Pavon, nous 
ouvrirent sans réserve leurs riches collections. 
I^ous examinâmes une partie des plantes du 
Mexique, découvertes par MM. Sesse, Mo- 
dno et Cervantes, et dont les dessins avoient 
été envoyés au Muséum d'histoire naturelle 
de Madrid. Ce grand étabhssement , dont la 
direction étoit confiée à M. Clavijo, auteur 
d'une élégante traduction des ouvrages de 
Bafibn, ne nous offiit , il est vrai , aucune suite 
géologique des Cordillères; mais M. Proust ^ 

6* 



84 LIVRE I, 

si connu p:ir l'extrême précision de ses tra- 
vaux ' Iiiiiiiqiies , et un niinéralui^isle distingué, 
M. Ilergin, iujus donnèrent des rensei^ne- 
mens curieux sur plusieurs substances miné- 
rales de l'Amérique. Ilauroitété utile pour 
nous détudier plus lon^- temps les produc- 
tions des pajs qui dévoient être le but de nos 
recherches, muis nous étions trop impatiens 
de profiter de la permission que la cour venoit 
de nous accorder pour retarder notre départ. 
Depuis un an j'avois éprouvé tant de diffi- 
cultés que j'eus de la peine à me persuader 
que mes vœux les plus ardens scroient enfin 
remplis. 

INous quittâmes Madrid vers le miheu du 
mois de mai. Nous traversâmes une partie de 
la vieille Castille, le royaume de Léon et la 
Galice, et nous nous rendîmes à la Gorogne, 
où nous devions nous embarquer pour l'île 
de Cuba. L'hiver ayant élé très-rude et très- 
prolongé, nous jouîmes pendant le voyage 
de cette douce lernpérature du printemps 
qui, sous une latitude sî méridionale, n'ap- 
partient ordinairement qu'aux mois de mars 
et d'avril. Les neiges couvroient encore les 
hautes cioies granitiques de la Guadarama; 



CHAPfTRE I. 85 

mais dans les yallées profondes de la Galice 
qui rappellent les sites les plus pittoresques 
de la Suisse èi du Tyrol , des Cistes chargés 
de fleurs, et des bruyères arborescentes tajMS- 
soient tous les roch rs. On quitte sans regret 
le plateau des Gislilles, qui presque partout 
est dénué de végétation , et sur lequel on 
éprouve un froid assez rigoureux en hiver , 
et une chaleur accablante en été. D'après les 
observations peu nombreuses que j'ai pu faire 
par moi-même ; l'intérieur de FEspagne forme 
une vaste plaine qui, âevée de trois eents 
toises ( 584 '"•) au-dessus du niveau de l'Océan , 
est couverte de formations secondaires , de 
grès, de gypse, de sel gemme et de la pierre 
calcaire du Jura. Le climat des Castilles est 
beaucoup plus froid que celui de Toulon et 
Gènes; car sa température moyenne s'élève à 
peine à i5^ du thermomètre centigrade '. On 

' Cbaqut fois que, dans cet ouyrage y le contraire 
n'est pas expressément indiqué ,. les variations de la 
température sont exprimées d'après Téclielle centi- 
grade du thermomètre à mercure; mais ^ pour éviter 
ks erreurs qui peuvent naître des véduclions des difiEè- 
rentes^ échelles et de la suppression fréquente des 
fractions décimales , j'ai fait imprimer les observations 



86 LIVRE T. 

est étonné de voir que, sons la kttitudedéla 
Galabre, de la Thessàlie et de TAsîe mineure , 
les Orangers ne viennent point en plein air*. 
Le plateau central est entouré d'une zone 
basse et étroite, où végètent, sur plusieurs 
points, sans souffrir des rigueurs de l'hiver , 
le Ghamserops , le Dattier , la Canne à sucre , 
le Bananier et beaucoup de plantes conomunes 
à FEspagne et à l'Afrique septentrionale. Sous 
les 56 à 4o degrés de latitude , la température 
moyenne de cette zone est de 17 à 20 degrés ; 
et, par une réunion de circonstances qu'il 
seroitlrop long de développer ici, cette région 
heureuse est devenue le siège principal de l'in- 
dustrie et de la culture intellectuelle. 

partielles telles qae les a données rinstrument dont je 
me suis servi. J'ai cru devoir suivre , sous ce rapport , 
la marche adoptée par l'illustre auteur de la Base du 
Système métrique, 

^ Comme dans le cours de cette Relation historique 
il est souvent question de l'influence de la température 
moyenne sur le développement de la végétation et le& 
produits de l'agriculture j il sera utile de consigner ici 
les données suivantes, fondées sur des observations 
précises et propres à fournir des termes de compa^ 
raison. J'ai ajouté un astérisque aux noms des villes 
dont le climat est singulièrement modifié ^ soit par leur 



s? 



des bonbdeli 
plaines de 11 
reooDiiQ&ie iort 



ks 




V 

Pi 
UpsaL 



Berlia. 

Paris. 

llarseillc.... 

Toaloa*.... 

A<mc ••••.• 

Kaplcs 

Madrid. .... 

Meûco* 

Term-Gru ♦. . 

Éqaatear as 
nÏTeaa de 
IXkéui.... 

Q ito*...... 



r nliiili rT«iB9.aaf.| 


63F59' 


^.T 


5^56 


s-j» 


5^5t- 


5*^ 


ijrw 


• 


5>4i' 


7^^ 


5a«3i' 


•••i 


4B-5o' 


liT^-r 


«6* is' 


l«P.i 


45* 17' 


1**^ 


*5» y 


• irp 


4i* a' 


iS*.! 


4tf-5o' 


18^.0 


4<^a5' 


i5*,o 


igr a5' 


i-f^ 


igr 11' 


25-,4 


«• 0' 


27» ,0 


o* i4' 


i5*,o 



% 



^ 
i» 



^T 



ttMlc«r»3s6 



( GaillMMe de HwaboMt ). 

Haatcar» 6o5^ 
Haatcar, 0277 «• 
G^e aride. SaUes. 



Haatear, a^oS»* 



Celte tabk diffère légèrement de celle que j*ai donnée 
dans rintroducûon de la ChimU (U Thomson j T. I , 
p. 99 , et qui n'a pas été constraile sur des obserTalions 
également préois<^ . 



ao LIVRE T. 

des eacarpemens prolongés, l'ancienne côle 
de la péninsule. Ce phénomène curieux rap- 
pelle les traditioDs des Samolhraces, et d'autres 
témoignages historiques, d'après lesquels on 
suppose que l'irruption des eaux par les Dar- 
danelles, en a:^randissant le bassin de la Mé- 
diterranée, a déchiré et englouti la partie 
australe de l'Europe. Si l'on admet que ces 
traditions doivent leur origine, non à de 
simples rêveries géologiques, mais au sou- 
venir d'une ancienne catastrophe, on voit le 
plateau central de l'Espagne résister aux effets 
de ces grandes inondations, jusqu'à ce que 
l'écoulement des eaux par le détroit, formé 
entre les colon rtes d'Hercule, ait fait baisser 
progressivement le niveau de la Méditer- 
ranée, et reparoître, au-dessus de sa sur- 
face , d'un côté la Basse-Êgypie, et de l'autre 
les plaines fertiles de Tarragone , de Valence 
et de Murcie. Tout ce qui lient à la for- 
mation de celte mer ' , dont l'existence a 

' Diodor. Sicul., éd. PP'esselmg. Ainstelodam.,\jfiG, 
tib. IV, C. xviii, p. 33Î. Ub. V, C. xLvii, p. 36g. 
Dionyx. Hnlirarn. , éd. Oxon,, i^o^i, Lih.I , C. i,xi, 
p. 49. Aristat. 0pp. amn. ,ed. Casaitb. Lugdun., iSgo. 
Meteorolog., Lib. I,C. xrv, ï. I, p. 336. H.Straùo 



CHAPITBE I. 8g 

influé si puissamment sur la première civi- 
lisation de l'espèce humaine , ofîre un intérêt 
particulier. On pourroit croire que l'Es- 
pagne, formant un promontoire au milieu 
des mers , a dû sa conservation pL^-sique à la 

Geo^. , ad. TJiomaa Falconer. Oxon. i8o7,T. I, p. 76 
cl 83. ( Tournefort, f^oyoge nu Levant, p, 1 a'i. Pollas, 
f^oyage en Rmsie , T. V, p. lyS. Choiseiil-Gouffier , 
Voyage pittoresque, T. tl, p. 116. Dtireau de la 
SfalU, Géographie physique de la mer ?^oire,'p. 1S7, 
I9Get34i. Olifier, Foyage en Perse , T. III, p. l5o. 
Sleiners iiberdie yersrhiedenheiten der Hfensckenna- 
turen, p. 118). Parmi les géographes anciens, les 
ans , comme Straton , Eratoslhèucs cl Siraboii, pun- 
■oiest qtie la Méditerranée , enflée par les caiix du 
Pont-Eiiiin, lies Palus Méotidcs, lie la mer Caspienne 
et du lac Aral , avoit lirisé les colonnes d'Hercule ; 
les autres, comme Pomponius Mcla , admetloient que 
l'imiplion s'étoit faite par les eaux de l'Océan. Dans 
la première de ces li jpollièses . la hauteur du sol entre 
la mer Noire et la Paltique, et entre les ports de 
Cette et de Bordeaux , détermine la liniile que raccu- 
□mlation des eaux, peut aroir atteinle avant la réunion 
de Li mer Noire, de la Méditfrranée el de l'Océan, 
t4Dtaunord des Dardanelles qu'à l'est de celle langue 
de terre qui unissoit jadis l'Europe à la Mauritanie, 
et dont, du temps de Strahon, il existoit encore des 
vestiges dans les iles de luaon et de la Lime. 



go LIVRE I. 

hauteur de son sol; mais, pour donner du 
poids à ces idées systématiques , il faudroit 
éclaircir les doutes qu'on a élevés sur la 
rupture de tant de digues transversales; il 
faudroit discuter la probabilité que la Mé- 
diterranée ait été divisée jadis en plusieurs 
bassins séparés, dontla Sicile et l'île deCandie 
paroissent marquer les anciennes limites. 
Nous ne hasarderons pas ici de résoudre ces 
]>roblèmes, et nous nous contenterons d'ap- 
peler ratlenlion sur le contraste frappant 
qu'offre la configuration du sol dans les extré- 
mités orientales et occidentales de l'Europe. 
Entre la Baltique et la mer Noire , le terrain 
est aujourd'hui à peine élevé de 5o toises îiu- 
dessus du ni\eau de l'Océan, tandis que le 
plateau de laMancLc, placé entre les sources 
du Niémen et du Borysthène , ilgureroit 
comme un groupe de montagnes d'une hau- 
teur considérable. S'il est intéressant de rap- 
peler les causes qui peuvent avoir changé la 
surlace de noire planète, il est plussùr de s'oc- 
cuper des phénomiines tels qu'ils se présentent 
aux mesures et à l'observation du physicien. 
D'AsIorga à la Corogne, surtout depuis 
Lugo , les montagnes s'élèvent graduellement. 



CHAPITRE I. gi 

!Les formalions secondaires disparoissentpeti 
à peu, et les roches de transilion qui leur 
succèdent aanoiicent la proximité des terrains 
primitifs. Nous trouvâmes des moiitag'nes 
considérables composées de ce grès ancien, 
que les minéralogistes de l'Ecole de Freiberg 
désignent par les noms de Grauwakke et de 
Grauwakkenschiefer. J'ignore si celte for- 
mation, qui n'est pas fréquente dans le midi 
de l'Europe, a déjà été découverte dans 
quelque autre partie de l'Espagne. Des frag- 
mens anguleux de pierre Ij^dique cpars dans 
les vallées sembloient nous annoncer que 
le cliîste de transition sert de base aux coucbes 
de Grauwalïke. Près de la Corogne même 
s'élèvent des cimes granitiques qui se pro- 
longent jusqu'au cap Ortegal. Ces granils, 
qui paroissent avoir été contigus jadis à ceux 
de ta Bretagne et de Gornouaille , sont peut- 
être les débris d'une chaîne de montagnes 
détruites et subnit;rgées par les flols. Degrands 
et beaux cristaux de feldspath caractérisent 
celle roche : la mine d'ctain commune s'y 
trouve disséminée , et devient , pour les 
liabitans de la Galice, l'objet d'une exploi- 
tation pénible et peu lucrative. 



% 



9 s LimE î. 

Arrivés à la Coro^ne , nous trouvâmes 
ce port bloqué par deux frégates et un vais- 
seau anglois. Ces bâtiuiens éloient destinés 
à interrompre la communication entre la 
métropole el les colonies de l'Amérique ; car 
c'est delà Corogne, et non de Cadix, que 
partoient, à cette époque, tous les mois, 
un paquet-bot (^correo maritimo) pour la 
Havane, et tous les deux mois un autre pour 
Buenos-Ayrcs, ou l'einhouchure du Rio de 
la Plata. Je donnerai dans la suite une notion 
exacte de l'étal des postes dans le nouveau 
conlinent. Il suffit de remarquer ici que, 
depuis le minislère du comte Florida-Blanca , 
le service des courriers de terre a été si bien 
organisé, que par eux seuls un habitant du 
Paraguay ou de la province de Jaen de 
Bracanioros' peut correspondre assez régu- 
lièrement avec un habitant du Nouveau- 
Mexique ou des côtes de la Nouveile-Cah- 
fornie, sur une distance égale à celle qu'il y 
a de Paris à Siam, ou de Vienne au cap 
de Bonne-Espérance. De même, une lettre 
conlice à la poste , dans une petite ville 

' Sur les rives du l'.Viiiazoae. 



chapithe i. gS 

de l'Aragon, arrive au Chili ou dans les 
missîuns de l'Orénoqne , pourvu qu'on in- 
dique , d'une manière bien prérise, le nom 
du coregùuiento ou district qui comprend le 
village} indien auquel celle lellre doil par- 
venir. On se plaît à rappeler des instiHilions 
que l'on peut regarder conmie un des plus 
grands bienfaits de la eivilisation moderne. 
L'établissement des courriers maritimes et 
celui des courriers de l'inlcrieur ont mis les 
colonies dans une relation plus intime entre 
elles et avec la mère-patrie. La circulation des 
idées est devenue plus rayiide; les phiintes 
des colons se sont fait entendre plus faci- 
lement en Europe, et l'autorité suprême a 
réussi quelquefois à réprimer des vexalions 
qui, par l'éloignement des lieux, lui seroient 
restées à jamais inconiiues. 

Le ministre , premier secrétaire d'état, 
nous avoit recommandés Lrès-particulièrenient 
au brigadier Don Rafaël Clavijo qui depuis 
peu étoit chargé de la direction générale 
des courriers maritimes. Cet officier, avan- 
tageusement connu par son talent pour la 
construction des vaisseaux, étoit occupé à 
établir de nouveaux chantiers à la Corogne. 



n 



g/i Livr.E r. 

Il ne négligea rien pour nous rendre ngréablc 
le séjour que nous fimes dans ce port, et il 
nous conseilla de nous embarquer sur la 
corvette ' le Pizarro, qui étoit destinée pour 
la Havane et le Mexique. CebAlimenl, chargé 
de la correspondance du mois de juin , devoit 
l'aire voile conjointement avec XAlctidia, le 
paquet-bot du mois de mai, qui, à cause 
du blocus, étoit depuis trois semaines retenu 
dans le port. Le Pizarro n'étoit pas réputé 
grand marcheur ; mais , favorisé par un 
hasard heureux, il avoit échappé à la pour- 
suite des bàtimens anglois, dans la longue 
navigation qu'il venoit d'exucuter du Kio de 
la Plata à la Corogne. M. Clavijo ordouna 
qu'on lit, à bord de cette corvette, les arran- 
gemens convenables pour placer nos instru- 
mens, et pour nous facilifer les mo}'ens de 
tenter , pendant la traversée , des expériences 
chimiques sur l'air. Le capitaine du Pizarro 
reçut ordre de s'arrêter à Ténériffe , le temps 
que nous jugerions nécessaire pour visiter le 
port de rOrotava, et pour monter à la cime 
du Pic. 

' D'oprès la terminologie espagnole, le Pizano 
étoit une frégate légère {fragata tijera). 



Noos n'eAmesà attendre notre eiiMi rq nC'> 
ment qae dix jours, et et délai noos parai 
encore bietf long. Noos nous occupâmes^ 
pendant cet intervalle , à prépara les planics 
recueillies dans les bdies vallées de la Giilice^ 
qu'aucun naturaliste n'avoit encore visitées: 
nous examinâmes les fiicos et les mollusques 
que la grosse mer du Nord-Ouest jette abon* 
damment au pied du rocjier escarpé sur lequel 
est construite la vigie de la Tour d'Hercule. 
Cette tour , appelée aussi la Tour de Fer, 
a été restaurée en 1788. Sa hauteur est de 
quatre-vingt-douze pieds : ses murs ont quatre 
pieds et demi d'épaisseur^ et sa construction 
prouve incontestablement qu'elle est Pou* 
vrage des Romains. Une inscription trouvée 
près de ses fondemens , et dont je dois la 
copie à l'obligeance de M. de Laborde , nous 
apprend que ce phare a été construit par 
Gains Sevius ' Lupus , architecte de la fille 
SAquaflmia (Gbaves), et qu'A ctoil d^dié 
à Blars. Pourquoi la Tour de Fer pf^rit^tiU!^ 
dans ce pajs le nom dHercole? Le% hfptMif^f^ 
Fauroient'ib bâtie sur les rainer d^nf§ é4Hî^j^ 
grec ou phéniden? StrabcM âlSnMre» ^4 

tpt la Galice^ k f^j% de» Gdbm^ «9^ 



fib LIVRE I. 

été peuplée pardes colonies tjreeqnes. D'après 
une notice tirée de la s^éoj^r;iphie d'Espagne 
d'Âsclépiades le Mvrléen , une tradition an- 
tique portoit que les cunipagnoiis d'Hercule 
s'étoient établis d;ins ces contrées ". 

Je fis les observations nécessaires pour 
constater la marche du garde-temps de Louis 
Berthoud, et je vis avec satisfaction qu'il 
n'avoil pus changé son retard diurne , malgré 
les secousses auxquelles il avoit été exposé 
pendant le trajet de Madrid à la Corogne. 
Cette circonstance étoil d'autant plus impor- 
tante , qu'il existoit beaucoup d'incertitude 
SUT- la véritable longitude du Ferrol , ville 
dont le centre se trouve de lo' 20" à l'est 
de la Tuui" d'Hercule de la Corogne. Une 
occulLilion d'Aldebaran , et une longue ?*uita 
d'pclip'ics de satellites de Jupiter, observées 
par l'amiral Mazarredo et calculées par Mé- 
chain, sembloient prouver que, dans l'Atlas 

' Slraho , erf. C'innuh. Lut?t. /■'(ïr., i6so, Lib. III, 
p. lây. Les Phéniciens et les Grecs visîtoient les 
côtes (le la Galice ( Gallœria) , à cause du commerce 
de l'élain qu'ils tiroient de ce paj's comme des 
îles Cissit-rldcs. Straho , Lib. III, p. 147. PIm., 
Lib. XXXIV, Cap. XVI. 



CHAPITRE I. 97 

maritime de Tofino , qui est d'ailleurs si 
exact pour l'indication des distances par- 
tielles, les positions absolues de la Corogae 
et du Ferrot étoicnt fausses de deux à trois 
lieues marines. Mon garde-temps ajouta à ces 
doutes en déposant contre les opérations de 
Tofino. Je trouvai' l'observatoire de la ma- 
rine du Fcrrol, de o''/|.2' ai''' à l'ouest de 
Paris. La moyenne de toutes les observa- 
lions faites par des astronomes espagnols, 
et publiées récemment par M. Espinosa , 
donne o''4i' 2i",ïj. J'ai déjà fait observer 
ailleurs que, beaucoup d'expédilions étant 
sorties de ce dernier port , la fausse position 
qui lui a été attribuée, a influé désavanta- 
geusement sur les lougiludes de plusieurs 

' Obsev. antron. , Introd. , p. xxxvi, Tom, I, 
p. 24 et 33, Etpinosa , Memoi-ias sobre las observa- 
cionea astron. hechas por Ion navegantes eapano- 
Uè , 1809, Tom. I, p. a,1. Si l'on suppose que 
inon chronomètre n'a pas augmenté son retard 
diurne pendnnt le vojage tie Madiiil à la Corogne , 
ce qni seroil conlraire aux es|iénences directes 
faites à Marseille, la longitude du Ferrol sera encore 
de a3" en temps plus grande que celle à laquelle 
s'est arrêté M. ToCno. 

ï- 7 



gS LIVRE I. 

villes de l'Amérique, déterminées, non par 
des observations absolues, mais par le seul 
transport du temps. Les montres marines, toul 
en étendant la masse de nos connoissances 
géographiques, contribnent souvent à pro- 
pager l'erreur dont est affectée la longitude 
du point de départ, parce qu'elles rendent 
dépendant de ce seul point le gisement des 
côtes dans les régions les plus éloignées. 

Le port du Ferrol et celui de la Corogne 
communiquent avec une même baie , de sorte 
qu'un bâtiment qui, par un mauvais temps, 
est chargé sur la terre , peut mouiller dans 
l'un ou l'autre de ces ports, selon que le 
vent le lui permet. Cet avantage est inappré- 
ciable dans les parages où la mer est presque 
constamment grosse et houleuse , coramfr 
entre le cap Oricgal et le cap Finistère qai 
sont les promontoires Trileucum et Arta- 
brum ' des géographes anciens. Un canal 
étroit, bordé de rochers granitiques conpés 
à pic, conduit au vaste bassin du Ferrol. 
L'Europe entière n'offre pas un mouillage 

■ Plolérace cite le port des Artabres: Geogr, , 
I,ib, 11 , Cap. VI. ( Berlii Theatr. geojp-aph. vett 
AmsUL, iGi8, p. 5'i.) 



CHAPITRE I. ^ 

si extraordinaire > sous le rapport de sa posi-- 
lion avancée dans l!intérieur des terres. On 
diroit que cette passe étroite et tortueuse, 
par laquelle les vaisseaux entrent dans le port, 
a été ouverte 9 soit par l'irruption des flots, 
soit par les secousses répétées deè tremble-- 
mens de terre les plus violens. Dans le nou- 
veau monde 9 sur les côtes de la Nouvelle- 
Andalousie , la Laguna del Obispo y lac de 
VEs^que y offre exactement la même form« 
que le port du Ferrol. Les phénomènes 
géologiques les plus curieux se trouvent ré* 
pétés à de grandes distances sur la surface 
des continens; et les physiciens qui ont ea 
occasion d'examiner diverses parties du globe^ 
sont frappés de la ressemblance extrême que 
Ton observe dans le déchirement des cotes, 
dans les sinuosités des vallées, dans Taspect 
des montagnes , et dans leur distribution par 
groupes. Le concours accidentel des mêmes 
causes a dû produire partout les mêmes 
effets ; et, au milieu de cette variété que 
présente la nature , une analogie de stmcloM 
et de formes s'observe dans rarrangemeal 
des matières brutes comme dans roKaniseliOft 
intérieure des plautes et des ammf^ ffy^ 

7" 



lOO LIVRE I. 

Pendant la traversée de la CorogTie au 
Ferrol, sur un bas-l'oiid, près du Signal 
blanc , dans Ja haie qui , selon d'Anville , est 
le Poi-tus magnus des anciens, nous finies, 
au moyen d'une sonde thennométrique à 
soupapes, "quelques expériences snr la tem- 
pérature de l'Océan el sur le décroîssement 
du calorique dans les couches d'eau super- 
posées les unes aux autres. L'instrument 
montra, sur le banc, à la surface, i2°,5 à 
i3'',5 centigrades ; tandis que, partout ailleurs 
où la mer éloit très-proibnde , le thermo- 
mètre marquoit jÔ" ou i5",3, l'air étant à 
i2",8. Le célèbre Frankhn el M. Jonathan 
Williams, auteur de l'ouvrage qui a paru à 
Philadelphie , sous le titre de JSavigatioii ther- 
momctrique, ont fixé les premiers l'attention 
des physiciens sur les phénomènes qu'offr^ 
la température de l'Océan, au-dessus des 
bas-fonds et dans celte zone d'eaux chaudes 
el courantes, qui, depuis le g'olfe du Mexique, 
se porte au banc de Terre-Neuve et aux 
eûtes septentrionales de l'Europe. L'obser- 
valion, que la proximité d'un banc de sable 
esl indiquée par un abaissement r;ipide de la 
température de la mer à sa surface, n'intéresse 



HAPITRE I. lOl 

pas seulement la physique, elle peol ausâ 
devenir très -importante pour la sûreté de 
la navigation. L'usage du thermomètre ne 
doit certainement pas £aire négliger celui de 
la sonde ; mais des expériences que je citerai 
dans le cours de cette Relation, prouvent 
suffisamment que des variations de tempé- 
rature y sensibles pour les instrumens les plus 
imparfaits , annoncent le danger, long-temps 
avant que le vaisseau se trouve sur les hauts- 
fonds. Dans ce cas , le refroidissement de l'eau 
peut' engager le pilote à jeter la sonde dans 
des parages où il se croyoil dans la plus par- 
faite sécurité. Nous examinerons, dans un 
autre endroit, les causes physiques de ces 
phénomènes compliqués ; il suffit de rappeler 
ici que les eaux qui couvrent les hauts-fonds , 
doivent en grande partie la diminution de leur 
température à leur mélange avec les couches 
d'eau inférieures qui remoutent vers la suc- 
£aice sur les acores des bancs. 

Une grosse mer du nord-ouest nous em- 
pêcha de continuer, dans la baie du Ferrol^ 
nos expériences sur la température de l'Océan. 
lia grande élévation des lames étoit l'effet 
4'un vent impétueux qui avoit soufflé au 



102 T-IVUE I. 

large , et par lequel les vaisseaux anglois 
avoient été forcés de s'éloigner de la côte. 
On voulut profiter de cette occasion pour 
mettre dehors ; on embarqua sur-le-champ 
nos înstruniens , nos livres et le reste de nos 
effets ; mais le vent d'ouest , qui fraîchit de 
plus en plus , ne nous permit pas de lever 
l'ancre. Nous profilâmes de ce délai pour 
écrire à nos amis en Allemagne et en France. 
Le moment où , pour la première fois , on 
quitte l'Europe, a quelque chose d'imposant. 
On a beau se rappeler de la fréquence des 
communications entre les deux mondes , on a 
beau réfléchir sur l'extrême facilité avec 
laquelle , par le perfectionnement de la navi- 
gation , on traverse l'Atlantique, qui, com- 
parée au Grand-Océan , n'est qu'un bras de 
mer de peu de largeur; le sentiment qu'on 
éprouve en entreprenant un premier voyage 
de long cours n'en est pas moins accompngné 
d'une émotion profonde. Il ne ressemble à au- 
cunedes impressions que nous avons reçues dès 
notre première jeunesse. Séparés des objets 
de nos plus chères affections, enirant pour 
Wnsi dire dans une vie nouvelle , nous sommes 
forcés de nous replier sur nous-mêmes , et 



loas nous tfonraDS dans on isolement ipie 
nous n'avions îanuis connu. 

Parmi les lettres que j'écrim, an moment 
de notre embarquement, il j en ent une dont 
Finfloence a été très-grande sor la direction 
de nos voyages et sur les travanx auxquels 
nous nous sommes livrés dans la suite, honffoe 
je quittai Paris dans le dessein de me rendre 
sur les côtes d'Afrique , Texpédition de déoon- 
vertes dans la mer du Sud sembloit ajournée 
pour plusieurs années» J'étois convenu avec 
le capitaine Baudin que ^ contre son attente , 
son voyage avoil lieu à une époque plus 
rapprochée, et que la nouvelle put m en 
parvenir à temps, je tâcherois de passer 
d'Alger à un port de France ou d'Espagne 
pour rejoindre l'expédition. Je réitérai cette 
promesse en partant pour le nouveau conti- 
nent. J'écrivis à M. Baudin que si le Gouver- 
nement persistoit à lui faire prendre la route 
du cap de Hom , je cfaercherois les mojçns 
de le trouver , soit à Monte-Video , soit au 
Chili , soit à Lima , partout où il relâcheroit 
dans les colonies espagnoles. Fidèle à cet 
engagement y j'ai ^changé le plan de mon 
voyage dès que les journaux américaias ont 



annoncé, en 1801 , que l'expédition françoîsc 
étoil sortie du Havre pour faire le tour du 
globe de l'est à l'ouest. J'ai frété mie petite 
embarcadon pour me rendre du Batabano 
dans l'île de Cuba à Porlobelo , et de là , 
en traversant l'isthme , :iux côtes de la mer 
du Sud. L'erreur d'un journaliste nous a fait 
faire, à M. Bonpland et à moi, un chemin 
de plus de huit cents lieues dans un pays que 
nous n'avions pas le projet de traverser. Ce 
/^'estqu'àQuito,c[u'uneJettredeM.Delambre, 
secrétaire perpétuel de la première classe de 
l'Institut , nous apprit qne le capitaine Baudin 
prenoitia route du cap de Bonne-Espérance, 
sans toucher les cotes orientales ou occiden- 
tales de l'Amérique. Je ne me rappelle pas 
sans regret une expédition qui est liée à 
plusieurs événemens de ma vie , et dont l'his- 
toire vient d'être tracée par un savant ' aussi 
distingué par le nombre des découvertes 
attachées à son nom que par le noble et cou- 

' M. Pérou , enlevé aux sciences a l'âge de 
trente-cinq ans, après une maladie longue et dou- 
loureuse. Voyez une Kotice inlijrcssniitc sur la tïc 
de ce voyageur, par M. Deleute, dans les Aiirtalas du 
Muséum, Tom. XVII. 



ngeux déwoucBocat qu'il a d<iplow dais sa 
carrière aa xniliea des prirabons et des souf- 
frances les plus crodles. 

En partant pour l'Espagne , \e n'arœs pn 
emporter la collection complète de mes ins- 
•trnmens de physique^ de géodésie et d'astrono- 
mie : j'en avais déposé les doubles à Marseille , 
dans le dessein de les faire expédier direc- 
tement pour Alger ou pour Tunis , dès que 
^aurois trouvé une occasion de passer sur les 
côtes de Barbarie. Dans les temps calmes , on 
ne sauroit assez engager les voyageurs à ne 
pas se charger de l'ensemble de leurs instru- 
mens.; il vaut mieux les faire venir succes- 
sivement pour remplacer, après quelques 
années^ ceux qui ont le plus souffert par 
l'usage et par le transport. Cette précanlion 
est surtout nécessaire lorsqu'on est obli*^c 
de déterminer un grand nombre de poiiHs 
par dès moyeA purement chronométriqnes. 
Mais à l'époque d'une guerre maritime , la 
prudence exige qu'on ne se sépare pas de 
ses instrumens, de ses manuscnt.s et de se^ 
collections. De tristes expériences, dont j'ai 
déjà parlé dans l'introduction de cet ou vra^/; , 
m'ont confirmé la justesse de ce principe* 



lOfî LIVRE I. 

Notre séjour à Madrid et à la Corogne aToit 
été trop court pour que je Esse venir de Mar- 
seille l'appareil niétéorologicjue que j'y avois 
laisse. Je demandai en vain qu'on me l'ex- 
pédiât pour la Havane , après notre retour 
de rOrénoque ; ni cet appareil, ni les lunettes 
achromatiques et le garde-temps d'Arnold, 
que j'avois demandés à Londres, ne me sont 
parvenus en Amérique. Voici la liste des itis- 
trumens que j'avois réunis pour mon voyage, 
depuis l'année 1797, et qui, à l'exceplion 
d'un petit nombre , faciles à remplacer, m'ont 
servi jusqu'en i8o4- 

Liste des instrumens de physique et 

d'asti-onomic. 

Une montre à longitude de Louis Berthoud, 
n. 27. Ce garde-temps avoit appartenu au 
célèbre Borda, J'ai publié le détail de sa 
marche dans l'introduction de mon Recueil 
d'observations aslronomiques; 

Un demi -chronomètre de Seyjfirl , servant 
pour le transport du temps dans de courts 
intervalles; 

Une lunette achromatitjue de Dollond^ de trois 



CAAPITftE I. 107 

pieds y destinée à Tobservation des satellites' 
de Jupiter ; 

Une lunette de Caroché y d'une moindre 
dimension y avec un appareil propre à fixer 
l'instrument à un tronc d'arbre dans les 
forets; 

Une lunette d^ épreuve ^ munie d'un micro- 
mètre gravé sur verre par M. Kôlher , 
astronome à Dresde. Cet appareil , placé 
sur le plateau de l'horizon artificiel y sert à 
niveler des bases , à mesurer les progrès 
d'une éclipse du soleil ou de la lune , et à 
déterminer la valeur des angles très-petits 
sous lesquels paroissent des montagnes très- 
éloignées ; 

\lxi sextant de Ramsden y de 10 poqces de 
rayon, avec un limbe d'argent et des lunettes 
qui grossissent douze à seize fois; 

Un sextant a tabatière y snuff box-sextant y de 
Troughton^ de 2 pouces de rayon, muni 
d'un vernier divisé de minute en minute, 
de lunettes qui grossissent quatre fois , et 
d'un horizon artificiel de cristal. Ce petit 
instrument est très-utile aux voy^igeurs qui 
se trouvent forcés de relever en canot les 
sinuosités d'une rivière , ou qui veulent 



108 LIVRE I. 

prendre des angles sans descendre de 
cheval ; 

Un cercle i-épêtiteur à rêflcrion de Le Noir, 
de 1 2 pouces de diamètre , muni d'un grand 
miroir en plaline ' ; 

Un téodoîite de Hurler, dont le cercle azi- 
mutal avoit S pouces de diamètre ; 

Un horizon artificiel de Ca roche , à verre 
plan , de 6 ponces de diamètre , muni d'un 
niveau à bulle d'air , dont les divisions écpii- 
Talent à deux secondes sexagésimales ; 

Un ijuart de cercle de. Bird , d'un pied de 
rayon , à double division du limbe en 90 et 
(j6 degrés, la vis microniétricjue inditjuant 
deux secondes sexagésimales , et la perpen- 
dicularitédu plan pouvant être déterminée 
au moyen d'un fil d'a])lomb et d'un grand 
niveau à bulle d'air ; 

Un grajjhomcire de Rainsden, placé sur une 
caune, muni d'une aiguille aimantée et 

' J'ai comparé, dans un autre endroit, les avan- 
tages et les di:suvantaf;es qu'oITrcnl, ilans des voyages 
de terre, les instrumens h réileïion et les cercles 
répêlileurs asLroiiomiqites, ( OLierf. aalron. j Intr. j, 
Tom, \, p. ivij.) 



CHAPITRE I. i4>9 

d'une méridienne filaire servant à prendre 
des azimuts magnétiques ; 

Une boussole d'inclinaison ^ de 12 pouces de 
diamètre y construite d'après les principes 
de Borda , par M. Le Noir. Cet instrument, 
d'une exécution très-parfaite , m'avoit été 
cédé, lors de mon départ ^ par le bureau 
des longitudes de France. Il se trouve 
figuré dans la Relation du voyage de 
d'Entrecasteaux ' , dont la partie astrono- 
mique est due aux soins d'un savant navi- 
gateur, M. de Rossel. Un cercle azîmulal 
sert pour trouver le plan du méridien 
magnétique , soit par des inclinaisons cor- 
respondantes y soit en cherchant la position 
dans laquelle l'aiguille est verticale, soit 
en observant le minimum des inclinaisons. 
On vérifie l'instrument par le retournement ^ 
et en cbaogeant les pôles ; 

Une boussole de déclinaison de Le Noir, 
construite d'après les principes de Lambert, 
et garnie d'une méridienne filaire. Le ver- 
nier étoit divisé de deux en deux minutes; 

Une aiguille de 12 pouces de longueur, munie 

^ Tom. II, p. i4. 



JIO LIVRE I. 

de piimules, et suspendue à un fil sans 
torsion , d'après la méthode de Coulomb. 
Cet appareil^ semblable à la lunette aiman^ 
tée de Pronjy m'a servi à déterminer les 
petites variations horaires de la déclinaison 
magnétique 9 et Tiotensité des forces qui 
change avec les latitudes. Les oscillations 
de* la grande aiguille d'inclinaison de 
M. Le Noir offrent aussi une mesure très- 
exacte de ce dernier phénomène ; 

Un magnétomètre de Saussure * , construit 
par M. Paul , à Genève , avec un limbe 
qui correspond à un arc de 3 pieds de 
rayon ; 

Un pendule in\?ariable^ construit par M. Mégnié 
à Madrid ; 

Deux bawmètres de Ramsdenj 

Deux appareils barométriques *^ à l'aide des- 
quels ou trouve la hauteur moyenne du 

* Ce magnétomètre , que j'ai trouvé très-peu exact , 
le téodolite et le cercle à réflexion^ sont les seuls 
instrumens que je n'ai pu embarquer avec moi à la 
Gorogne. 

* J'ai décrit ces appareils dans le Journal de; 
Physique^ Tom. XLVIT^ p. 468 ^ et dans mes Obêertf. 
ustron., Tom. I^ p. 366*. 



CBAPITIIE I« lit 

baromètre, en plongeant successivement 
dans une cuvette plusieurs tubes de verre 
que Ton transporte remplis de mercure , 
fermés à une de leurs extrémités par une 
vis d'acier , et placés dans des étuis de métal ; 
Husieurs thermomètres de Paul y deRamsden, 

de Mégrdé et de Fortin; 
Deux hygromètres de Saussure et de DeluCy 

à cheveux et à baleine ; 
Deux électromètres de Bennet et de Saussure ^ 
à.fetuQes d'or battu et à moelle de sureau, 
inums de conducteurs de^4 pieds de haut, 
pour réunir , d'après la mélhode prescrite 
par M. Volta , l'électricité de l'atmosphère , 
au moyen d*une substance enflammée qui 
répand de la fumée ; 
Un cjranomètre de Paul. Pour me mettre à 
même de comparer avec quelque précision 
la teinte bleue du ciel, telle qu'elle se 
présente sur le dos des Alpes et sur celui 
des Cordillères , M. Pictet avoit bien voulu 
faire colorier ce cyanomètre d'après celui 
dont M. de Saussure s'éloit servi à la cims 
du Mont-Blanc et pendant son séjour mé- 
morable au Col du Géant ; 
Uneudiomètre de Fontana^ à gaz nitreux. Sans 



lis LIVRE I. 

coniioîlre rig'oureusement combien de par- 
ties de ce gaz sont iiécessuires poui- satuicr 
une partie d'oxygène, on pent encore déter- 
miner avec précision la quantité d'azote 
atmosphérique , et par conséquent la pureté 
de l'air, en employant, outre le gaz nitreux, 
l'acide miirialiqne oxygéné ou la dissolu- 
tion du sulfate de fer. L'eudioraètre de 
Volta, le plus exact de tous, est embar- 
rassant pour les voyageurs qui parcourent 
des pays humides, à cause de la petite 
décharge électrique qu'exige l'inflammation 
des gaz oxygène et hydrogène. L'appareil 
eudiométrique fe plus portatif, le plus 
prompt, et le plus recommandable à tous 
égards , est celui que M. Gay-Lussac a fait 
couDoître dans les mcinoires de la société 
d'Arcneil ' ; 
Ud eudiomètre à pîtnsphore (h Relnul. 
D'après les belles recherches de M. Tiie- 
nard, sur le carbone mêlé au phosphore, 

' Tom. n. p. 235. Voyez aussi le Mémoire sur 
la composition, de l'air , que j'ai publié , conji >iuteiiien[ 
avec M. Gay-Iiissac , dans le loitrnul de Physique, 
Tom. LX, p. 121), cl mes Obi^erv. zooL Tom. I, 
p. a56. 



CHA^riTRE I. Il5 

il est prouvé que l'action lente de celle 
base acidifiable ^ donne des résultats moins 
lexacts que la combuslipn vive ; 
Uo appareil de Pa^il^ propre à déterminer 
avec une extrême précision le degré de 
teau bouillante^ k différentes hauteurs au- 
dessus du niveau de l'Océan. Le thermo- 
mètre à double vernier avoit été construit 
d'après l'appareil que M. de Saussure a 
employé dans «es courses ; 
Une sonde thermométrique de Dumotier , 
consistant dans un vase cylindrique muni 
de deux soupapes coniques , et renfermant 
un thermomètre ; 
Deux aréomètres deNickolson et de DoUondj 
Un microscope composé de HofrrMnn y dé- 
crit dans l'histoire des Cryptogames de 
M. Hedwîg ; un étalon métrique de Le Noir; 
une chaîne d' arpenteur; une balance dres- 
sai; un hjrétomètrej des tubes d'absorp-^ 
tion propres à indiquer de petites quantités 
d'acide carbonique ou d'oxygène, au moyen 
de Teau de chaux ou d'une dissolution de 

* Bulletin de la Société philomatiquê , 18 13, 

I. 8 



Il4 LIVRE I. 

sulfure de potasse ; des appareils électro' 
fcopiques du Jlnûj ; des vases deslinés à 
mesurer la quantité de Yévuporation des 
■ H^nides à l'air libre ; un horizon artificiel 
à mercure ; de petites bouleilhs de Leyde, 
prtipres à être cbar^ées par frottement; 
des appareils galvaniques j des réactifs 
pour tenter quelques essais sur la compo- 
sition chimique des eaux minérales, et im 
grand nombre de petits outils nécessaireÊ 
aux voyageurs pour raccommoder les ins- 
trumens qui se trouvent dérangés par les 
chutes fréquenles des bêles de somme. 
Séparés de nos instrumens qui étoient ;i 
bord de la corvette, nous passâmes encore 
deux jours à la Corogne. Une brume épaisse 
qui couvroit l'iiorizon annoncoit à la fin le 
changement de temps si vivement désiré. 
Le 4 i"îi 3U soir, le vent tourna au nord- 
est, direction qui, sur les eûtes de la Galice, 
est regardée comme très-constante pendant 
la belle saison. Le Pizarro appareilla en 
effet le 5, quoiqu'on eût eu, peu d'heures 
avant, la nouvelle qu'une escadre angloise 
avoit été signalée à la vigie de Sisarga, et 
qu'elle paroissoit faire route yers l'emboH- 



CHAPITRE I. Ilâ 

chure du Tage. Les personnes qui virent 
lever l'ancre à noire corveltc disoient lout 
haut, qu'en moins de trois jours nous serions 
pris, et que, forcés de suivre le bâtiment 
sur lequel nous nous troOvions, nous serions 
conduits à Lisbonne. Ce pronostic nous caa- 
soit d'autant plus d'inquiétude , que nous 
avions connu à IVIadrid des Mexicains qui, 
pour retourner à la Vera-CruK , s'étoient 
«mbarqués à trois reprises à Cadix, et qui, 
ijant été pris chaque fois presque au sortir 
da port, étoient rentrés en Espagne par 
la voie du Porturf;:!. 

Le Pizarro étoit sons voile à deux heures 
de l'après-midi. Le canal par lequel o(i naviguiî 
pour sorlh" du port de la Corognd est long 
et introït : comme la passe s'ouvre vers le 
cord, et que le vent nous étoit contraire, 
nous eômes à courir huit petites bordées, 
dont trois élnienl à peu près perdues. Un 
nremcnl de bord ne se fit qu'avec une len- 
teur extrême , et pendant quelques instanS 
noQs finies en danger an pied du fort Saint- 
Ainarro, le courant nous ayant portés très- 
près des récifs sur lesquels la mer biise avec 
violeHce. Nos jeux restèrent fixés sur Je 
S* 



Il6 LIVRE I. 

château Saint-Anloine , où l'inforluné Malas- 
pina ' géniissoit alors dans une prison d'état. 
Au moment de quitter l'Europe pour \isiler 
des contrées que cet illustre voyaj^eur avoit 
parcourues avec tant de fruit, j'aurois désiré 
occuper ma pensée (^l'un objet moins attristant. 
A six heures et demie nous passâmes la 
Tour d'Hercule, qui est le phare de la Co- 
rogne, dont nous avons parié plus haut, et 
sur laquelle, depuis les temps les plus re- 
cules, on entrelient un l'eu de charbon de 
terre pour diriger les vaisseaux. La clarté 
de ce feu ne répond pas à la belle cons- 
truction d'un si vaste édifice; elle est si foible 
que les bâtimens ne l'aperçoivent que lors- 
qu'ils se trouvent déjà en danger d'échouer 
sur la côte. Vers l'entrée de la nuit, la mer 
devint très-rude, et le vent fraîchit beau- 
coup. Nous lîmes route au nord-ouest pour 
éviter la rencontre des fréj^ates angloises que 
l'on supposoit croiser dans ces parages. Vers 
les neuf heures, nous vîmes lu lumière d'une 
cabane de pêcheurs de Sisarga : c'étoitleder- 

* Essai poîilifiue sur le Mexique, Toni. TI, p. 48^4 
de l'éditioi» iu-S". Obsen>, aslron. , Tom. Ij p> t tt' T- 



nier objet qoe nous offraient les cotes de l*Eii« 
rope. A mesure que nous nous élo^ions, cette 
foible lumière se confoadoit avec celle des 
étoiles qui se leToient sur Fhorizon , et nos re- 
gards j restoient inTolontairement attachés.Ge^ 
impressions ne s^effîicent point de la mémoire 
de ceux qui ont entrepris des navigations 
bintaines à un ^e où les émotions de Tame 
sont encore dans toute leur force. Que de 
souvenirs réveille dans l'imagination un point 
lumineux qui> au milieu d'une nuit obscure, 
paroissant par intervalles au-dessus des flots 
agités, désigne la côte du pays natal! 

Nous fumes forcés de courir sur les basses 
voiles. Nous filâmes dix nœuds, quoique la 
construction de la corvette ne fût pas avan-* 
tageuse pour la marche. Le 6 au matin , le 
roulis devint si vif qu'il brisa le petit mât de 
perroquet Cet accident neut aucune suite 
fâcheuse. Gomme notre traversée de la Go- 
rogne aux îles Ganaries dura treize jours ^ elle 
fut assez assez longue pour nous exposer, 
dansi des parages aussi fréquentés que le sont 
les côtes du Portugal, au danger de rencon- 
trer des bâtimens anglois. Les premiers ir<f\% 
îours^ aucune yoUe ne parut à Th^irizon , re 



IlS LIVRE I. 

qui commença à rassurer l'équipage, qui 
n'éloit pas en état de soutenir un combat. 
Le 7, nous coupâmes le parallèle du cap 
Finistère. Le groupe de rocliers granitiques, 
auquel appartient ce promontoire, de même 
que celui deTori;ines et !e Mont-de-Corcu- 
biun , porte le nom de la Sierra deToriiîona. 
Le c;ip Finistère est plus bas que les terres 
Toisines ; mais ta Turinona est visible au large 
à 17 lieues de dislance, ce qui prouve que 
l'élévation de ses plus hautes cimes n'est pas 
moindre de 3oo toises (582'"). Les naviga- 
teurs espagnols prétendent que , dans ces 
attérages, la déclinaison magnétique difiere 
extraordinaircmenl de celle que l'on observe 
au large. En effet , M. Bory ', dans l'expé- 
dilion de la corvette ÏAiiiarauthe , a trouvé, 
en 1751, que la variation de l'aiguille, dé- 
terminée à terre au cap même, étoit de 
4- degrés plus petite qn'on ne pouvoit le 
supposer d'après les observations iiiiies à la 
même époque le long de ces côtes. De même 
que le granit de la Galice contient de la 



; de l'Avadëm.ie des sciences, 1768, 
ieuj Voyage de l'Jsis, Tom. I, p. asS. 



CHiPlTRE 11^ 

mine d'ëtaîn dissétiiioée dans sa masse, celui 
du cap Finislère renferme peul-êlie du fer 
nûcacé. Les montajïues du Hawt-Palatinat 
ofirent en effet des roches granitiques dans 
lesquelles des crislaux de ter micacé rem- 
placent le mica cnnimun. 

Le 8 , au couclier du soleil , on signala , du. 
haut des nuits, un convoi anglois qui rangeoit 
la côte vers le sud-est. Pour l'éviter, nous 
fîmes fausse route pendant la nuit. Dès ce 
moment il ne nous fut plus permis d'avoir 
de la lumière dans la grande chambre, de 
peur d'être aperçus de loin. Celte précau- 
tion, employée à bord de tous les batimens 
marchands , et prescrite dans les réglemens 
des paquet-bots de la marine royale, nous 
a causé un ennui mortel pendant les traversées 
que nous avons faites dans le cours de cinq 
années consécutives. Nous avons été cons- 
tantiment forcés de nous servir de fanaux 
sourds pour examiner la température de 
l'eau de la mer, ou pour lire la division du 
limbe des iustrumens astronomiques. Dans 
la zone torride^ où le crépuscule ne dure 
que quelques minutes , on se trouve réduit 
à l'inaction dès six heures du soir. Cet état 



^ 



120 LITRE I. 

de choses m'a contrarié d'autant plus que, 
par l'eflèt de ma constitution , je n'ai jamais 
connu le mal de mer, et qne je sens une 
ardeur extrême pour le travail pendant tout 
le temps que je me trouve embarqué. 

Un vo}'age des côtes d'Espagne aux îles, 
Canaries, et de là à l'Amérique méridionale, 
n'offre presque aucun événement qui mérite 
de fixer l'attention, surtout lorsqu'il a lieu 
pendant la belle saison, Cest une naviga^ 
tion moins dangereuse que ne l'est souvent 
la traversée des grands lacs de la Suisse. Je 
jiae bornerai par conséquent à exposer dans 
cette Relation les résultats généraux des expé- 
riences magnétiques et météorologiques que 
j'ai faites dans cette partie de l'Océan, et 
à ajouter quelques notions propres à inté- 
resser les navigateurs. Tout ce qui concerae 
les variations de la température de l'air et 
de celle de la mer, l'élat hygrométrique de 
l'almosphcre, la couleur bleue du ciel, l'in- 
clinaison et l'intensité des forces magnétiques, 
se trouve réuni dans le Journal de route 
placé à la fin du troisième chapitre. On verra, 
par le détail et par le nombre de ces expé-^ 
l'iences, que nous avons lâché de tirer parti 



CHAPITRE I. 121 

des instrumens que nous avions embarqués, 
n seroit à désirer que ces mêmes obser- 
vations pussent être répétées diiiis les mers 
d'Afrique et d'Asie, pour faire connoitre 
avec précision la conslitniion de l'atmos- 
phère qui couvre le grand bassin des mers. 
Le 9 juin, nous trouvant par les oy" 6q' de 
latitude et les iG» lo' de longitude à l'ouest 
du méridien de l'Observatoire de Paris, 
nous commençâmes à sentir l'effet du grand 
courant qui, des îles Açores, se dirige sur 
le détroit de Gibraltar et sur les îles Canaries. 
Eu comparant le point déduit de la marche 
de la montre marine de Louis Berlhoud à 
celui de l'estime des pilotes, j'étois eu état 
de découvrir les plus petits changeniens dans 
la direction et la vitesse des courans. Depuis 
les 37" jusqu'aux 5o" de latitude, le vaisseau 
fut porté quelquefois , en vingt-quatre heures , 
de 18 à 26 milles à l'est. La direction du 
courant é toit d'abord E. fS. E. ; mais, plus 
près du détroit, elle devient directement Est. 
Le capitaine MaskintosU, et l'un des naviga- 
teurs les plus instruits de notre temps, sir 
Erasmus Gower, ont observé les modifica- 
tions qu'éprouve ce mouvement des eaux daui 



122 LIVRE I. 

les (lifiereales saisons de l'année. Beaucoup 
de pilotes qui fréquentonl les (les Canaries, 
se sont vus sur les eûtes de Lancerolte , quand 
ils s'attendoient à faire leur allérage sur l'île 
de TénérifTe. M. de Bongainville', dans son 
trajet du cap FinJslére aux îles Canaries, se 
trouva, à la vue de l'Ile de Fer, de 4° plus à 
l'est que sou estime ne le lui indiqiioil. 

On attribue vulfjaîrement le courant qui 
se fait sentir entre les îles Acores, les côtes 
méridionalfs du Portugal et les îles Canaries, 
à cette tendance vers l'est , que le détroit 
de Gibraltar imprime aux eaux de l'Océan 
AllanLiquc. M, de Fleuricu , dans tes notes 
ajoutées au voyage du capitaine Marchand, 
observe même que la Méditerranée, perdant 
par l'évaporation plus d'eau que les fleuves 
ne peuvcnL en verser, cause un mouvement 
dans l'Océan voisin, et que l'influence du 
détroit se lait sentir au large dans un éloi- 
gnemcnt de six cents lieues. Sans déroger 
aux sentimens d'estime que je conserve pour 
un navigateur dont les ouvrages justement 

' Voyage aiilour du. nicndc , Vol, J, )'. 10. 
" Vol. Il, i>, 9 et aag. 



CHAPIT&E I. I3S 

eétebres jDi'oDt fourni beaucoup dliustruc- 
fion p il m» 6era pawif de considérew cel 
ohy^ important wu$ qn poinjt de vi^ beau- 
coup ^uf général. 

Quaiid (9B 4BD¥i$age d'w icoup d'œî) l'Ai* 
ImUfl^^f ^^ ^ette i^alljée profonde qui sépare 
jes céies ecciden taies de l'Europe et de 
l'Afrique -des eètes orieutaie^ du nouveau 
continent , on distingue une direction oppo- 
sée dâ9â le oiouyement des eaux. Pntre les 
topiques, surtout depuis les côtes du Sé- 
Mg^l jiitsqu'à la mer des Antilles y le courant 
général, ei le plus anciennement connu des 
rnarinii, porfe constamooent d'orient en occi- 
dent. On le désigne sous le nom de courant 
é^uim^xifll. Sa rapidité mojenne^ corres- 
pondant à différentes latitudes^ est à peu 
près la même dans l'Atlantique et dans la 
mer du Sud. On peut l'évaluer a 9 ou 10 
milles eh vingt-quatre heures, par conséquent 
à 0,69 ou à 0,65 pieds par seconde '. Dans 

' En réi^nissaot Iês obseryatioafi que j^ai eu occa- 
sion 4e foire daiis lei^ àsxxn hémisphères avec celles 
^ sont rapportées dans les Vojages de Cook , 
Lapérouse, d'£ntrecasteaux , VancouTer, Macari- 
nay, Knisenstem et Marchand; je trouve que la 



124 LIVRE I. 

ces parages, leseauxcoiirentversl'ouest av 
une vitesse égale au quart de celle delà pUip; 
des grandes rivières de l'Ei]ro|ie. Le mouv 
ment de l'Océan, opposé à celui de la rotatl 
du globe, n'est vrnisemblabletnent lié à 
dernier phénomène qu'autunlque hi rotalî' 
change en vents alizés tes vents polaires qi 
dans les basses régions de l'atmosphèr 
ramènent l'air froid des hautes lalitut 
vers l'équateur'. C'est à l'impulsion gén 
raie que ces vents alizés doniieut à la su 
face des mers qu'on doit attribuer le co 
rant éqiiinoxial, dont les variations locales 
l'atmosphère ne modifient pas sensiblemc 
la force et la rapidité. 

Dans le canal que l'itlantîque a creï 
entre la Guyane et la Guinée, sur le méridi 

vitesse du cournnt général des tropiques Tarie d( 
à 18 milles en vingt-quatre heuies, ou de o,3 
1,2 pieds par seconde, 

' HaUey on tke cause of the gênerai trade ti>im 
dans les Phtl. Trana. for the ysar 1735, p. 58. D 
ton, Metaorogicdl Exp and. Essavs, 17g3j p. 
La Pince, Exposition da système du moid' , p. a 
Les lioiiles des vents alizés ont été déterminées p< 
la première fois par Dampierre, en 1666. 



CHAPITRE I. . isS 

de 2Ô OU s3 degrés, depuis les 8 oo 9 jus- 
qu'aux 3 ou 3 degrés de latitude boréale , 
où les vents alizés sont souvenl interrompus 
par des vents qui soufflent du sud et du sud* 
sud-ouest, le courant équinoxial est moins 
constant dans sa direction. Vers les côtes 
d'Afiriqtie , les vaisseaux se trouvent entratnés 
au sud-est ; tandis que , vers la baie de tous 
les Saints et vers le cap Saint-Augustin, 
dont les attérages sont redoutés par les navi- 
gateurs qui se dirigent sur l'embouchure du 
Rio de la Plata, le mouvement général des 
eaux est masqué par un courant particulier. 
Les effets de ce dernier courant s'étendent 
depuis le cap Saint-Rodi fusqu'à Ffle de la 
Trinité : il porte dans le nord-ooest avec une 
vitesse moyenne d'un pied à un pîed et demi 
par seconde. 

Le coorantéqnînoxial se fait sentir, quoique 
foiblement, même au-delà du tropique du 
Cancer, par les 36 et 38 degrés de latitude* 
Dans le vaste bassin de TOcéan Atlantique, 
à six on sept cents lîenes des cotes d'Afrique, 
les vaisseaux d'Europe , destinés aux âes 
Antilles, trouvait leur marcbe accélérée anra»t 
^Ik parfieniienl à b xoDe tûnide. Pfasani 



12G LIVRE t. 

nord, sous les 28 et 33 degrés, entre les 
pariillêles (le Ténénlfe et de Ce(jla , par les 
46 et 48 degrés de lonf^rtnde , on ne remarfitio 
aucun inoiiveinent cuiisiant : car une itoaé 
de i4o lieues de l;irgenr sépare le Courant 
érjuinoxiitl, dont la tendance est Vers l'OGcï- 
derit , de celte grande niasse d'eati qui sft 
dirige vers IWienl, et se distingue par Aa 
température singulièrcinent élevée. C'est sut 
cette masse d'eau, coiinne sous le nom de 
Gulf-stream' , tjne les belles observations 
de Franklin et de sir Charles Blagden ont- 
appelé l'attention des pliT^iciens, dès l'année 
1776. Comme sa direction est devenue ré-' 
cemment un objet important de recherches 
parjnl les navigateurs américains et anglois, 
nons devons remonter [ilns h«dl pour em- 
brasser ce phénomène dans sa géftéraiilé. 

Le courant équinoxial pousse les eaait de 
rOcéan Atlantique *ers les eûtes habitées 
par les Indiens Mosquitos et vers celles de 
Honduras. Le nouveau continent, prolongé 
du sud au nord , s'oppose comme une 

' Sîi- Francis firaVe remarqua déià ce mnoTement 
Extraordinaire «les eaux , mais il ne connoissoif pai 
ieur température élevée. 



CHAPITRE I. 127 

dirue à ce courant. Les eaux se portent 
d abord au nord -ouest; et^ passant dans 
le golfe dd Mexique , par le détroit que 
forment le cap Catoche et le cap Saint-An* 
toine » elles suivent les sinuosités de la côte 
mexicaine y depuis la Vera-Croa jusqu'à lem- 
bouchnre du Rio del Norte, et de là aux 
bouches du Mississipi et aux bas-fonds situés 
à Touest de Textrémilé australe de là Floride. 
Après ce grand tournoiement à l'ouest, au 
oord , à Test et au sud , le courant se porte de 
nouveau au nord, en se jetant avec impé- 
tuosité dans le canal de Bahama. J'y ai ob- 
servé y au mois de mai 1 8o4 9 sous les 26 et 
27 degrés de latitude, une célérité de 80 milles 
en vingt-quatre heures, ou de 5 pieds par 
secoïkle, quoiqua cette époque le vent du 
nord s<nïfflàt avec u»>e force extraordinaire. 
Au débcniqùemeiit du canal de Bahama , sous 
le parallèle du cap Canaveral , le Gulf- 
Stteaffty on coUraht de la Floride, se dirige 
au nord-est. Sa vitesse ressemble à celle d'un 
torrent : elle j est quelquefois de cinq mil!e$ 
par heure. Le pilote peut juger, avec quelque 
certitude , de Terreur de son point d'estime 
et de la proximité de son attérage sur New* 



ISO LIVRE I. 

York, surPIiiladelpliie ou sur Charlesloftil '» 
(les qu'il atteint le bord du courant : car la 
température élevée des eaux , leu r forte salure, 
leur couleur bleu-indigo , et les traînées de 
varech qui en couvrent la surface , de même 
que la chaleur de l'atmosphère environnante, 
très-sensible en hiver , font reconnoître le 
Gulf-slream. Sa vitesse diminue vers le nord 
en même temps que sa largeur augmente 
et que les eaux se refroidissent. Entre Cajo 
Biscaino et le banc de Bahaina^ cette lar- 

' Le courant de la Floiide s'éloigne de plus eu 
phis des dites des Etats-Unis, à mesure qu il aïanfe 
vers le nord. Sa position étant assez exactement indi- 
quée sur les nouTcUes cartes marines , le navigaleur 
trouTC la longitude du vaisseau avec la précision d'un 
demi-degré , lorsque , sur le bord du courant oii com- 
mence le Eddy ou Contre- Courant, il obtient une 
bonne obervation de latitude. Cette métliode est pra- 
tiquée par un grand nombre de capitaines de bâtimen» 
luarcliands qui font le trajet d'Europe à l'Amérique 
septentrionale. 

" Journal of Andrew Ellicott, Commissioner of ike 
United States for deiermining the boundary on the 
O/tio and Mississipi , i8o3, p. aGo. HydrauUc and 
naiit. obser. on the Atlantic Océan, by Gov. Pownall. 
(Lond. 1787). 



^ur n'est que de i5 lieiies, Undis que sous 
les 28 degrés et demi de latitude elle est déjà 
àei^y et^ sur le parallèle de Gharlestown, 
T£S-a-Tis du cap Heolopeo , de 4o à 5o lieues. 
La rapidité du courant atteint trois à cinq 
nulles par heure là où la rivière est le plu* 
étroite : eUe n est plus que d'un mille en 
avancement vers le nord. Les eaux du golfe 
mexicain ; entraînées avec force au nord- 
est, conservent à tel point leur haute tem- 
pérature, que, sous les4o et4t degrés da 
latitude > je les ai encore trouvées de 2%^,i 
{iS^R.)y quand, hors du courant, la diah 
leur de FOçéan , à sa surface , étoit à peine 
de l7^5 ( i4'' R.)- Sur le parailde de Kew- 
York et d'Oporto , la tempénrtOTe do Gu/f- 
stream égale par conséquent edle qoe Im 
mers des tropiques nous olBre&t p» W \ ^ 
degrés delatitode, cesl-à-dbe swr le ptir^l- 
lèle de Porto-Rico et des fle» du; ca^ V ^^. 
ATest du port de Boston, et mv fe rtw»r> 
dien de EUJifax, soos les ^i^ d V de nuvuUt ^. 
Jes 67 d^rés de lon^ita^ie, le ^îr^^wmt ^f^f^xsx. 
près de 80 lieoes nui^Tuvts èi^ la^^/aw. ^J*^ ^ 

qu'il se<lii%e tûQtif'aa o!>«iÇi.^ if iML^^(e2iuMi^4 
^ son bofd o ^e w te ntrt , ea ut f/^^wMnt 



4 
# 



|5o LIVltE X. 

devient la limite boréale des eaux courantes, 
et qu'il rase l'exlrémité du grand banc de 
Terre-Xeuve , que M. de Voiney appelle 
très-ingéuiensement la barre de l'embou- 
chure de cet énorme fleuve marin '. Le» 
eaux froides de ce banc qui, selon mes expé- 
riences, ont une température de 8",7 à lo** 
(7° ou 8" R.), ofl^reot un contraste frappant 
avec les eaux de la zone torrtde, poussées 
au nord par le Gulf-strt'nm ^ dont lu tem- 
pérature est de 21° à 22",5 (17° à 18" R.), 
Dans ces piirages , le calorique se trouve 
réparli dans l'Océan d'une manière étrange: 
les eaux du banc sont de 9",4 plus froides 
que la mer voisine, et celte mer est de 3" 
plus froide que le courant. Ces zones ne 
peuvent se mettre en équilibre de tempéra- 
ture, parce que chacune d'elles a une source 
de chaleur ou une cause de refroidissement 
qui lui est propre, et dont l'iofluence est 
permanente *. 

• Tableau du climat et du sol de» Etals- Unie , T. I , 
p. 33o, Roirime, Tableau des vents, des marées et dtt 
couraus , T. I , [). aa3. 

'' En traitant de la températui'C de l'OcéaTi . il faut 
(listiiiguer avec soin quatre phéQQinéues très-dilTéreus ; 



CHAPITRE I. iSl 

• Depuis le banc de Terre-Neuve , ou depuis 
les 52 degrés de longitude jusqu'aux îles 
Açores , le Gulf-stream continue à se porter 
vers Test et Test-sud-est. Les eaux y con- 
servent encore une partie de i'inipnbion 
qu'elles ont reçue près de mille lieues plus 
loin dans le détroit de la Floride, entre l'île 
de Cuba et les bas-fonds de la Tortue. Cette 
distance est le double de la lon^fueur du 
cours de la rivière des Amazones , depuis Jaën 
ou le détroit de Manseriche au Grand-Para. 
Sur le méridien des îles de Corvo et de Flores, 
les plus occidentales du groupe des Acores, 
le courant occupe une étendue de mer de 
i6o lieues de large. Lorsque, à leur retour 
de l'Amérique méridionale en Europe, les 
bâtîmens vont reconnoîlre ces deux îles pour 
rectifier leur point en longitude, ils res- 

tayoir : i.* la lerapératurc de Peau à sa surface cor- 
respondante il diverses latitudes, l'Océan étant consi- 
déré en repos; 2.* le décroissement du calorique dans 
les couches d'eau saperposées' 1. s unes aux autres ; 
3.* VeSei des bas-fonds sur la température de l'Océan; 
4.^ la température des courans qui font passer, avec 
(Uie TÎtesse acquise , les eaux d'une zone à travers les 
tAQx iâimobiles d'une autre zone. 

9* 



l5% LIVKE I. 

sentent constamment le mouvement des eaux 
au sud-est. Par les 33 degrés de latitude , 
le courant équinoxial des tropiques ise trouve 
extrêmement rapproché du Gulf'$tream\'D^xï% 
cette partie de l'Océan , on peut entrer dans 
un seul jour des eaux qui courent vers Fouest 
dans celles qui se portent au 'sud-est ou à 
Test-sud-est. 

Depuis les îles Açores, le courant dé la 
Floride se dirige vers le détroit de Gibraltar^ 
l'île de Madère et le groupe des îles Canaries. 
L'ouverture des colonnes d'Hercule a accéléré 
sans doute le mouvement des eaux vers l'est. 
Sous ce rapport, on peut dire avec raison quç 
le détroit par lequel la Méditerranée com- 
munique avec l'Atlantique fait sentir son è£Pet 
à une grande distance ; mais il est probable 
aussi que y sans l'existence de ce détroit / les 
vaisseaux qui font voile à TénériflFe seroient 
poussés au sud-est par une cause qu'il 'faut 
chercher sur les côtes du nouveau monde. 
Tous les mouvemens se propagent dans le 
vaste bassin des mers comme dans l'Océan 
aérien. En poursuivant les courans jusqu'à 
leurs sources les plus éloignées, en réflé- 
chissant sur leur célérité variable , * tdbtôt 



CHAPITRE I. l33 ' 

décroissante comme entre le canal de Bahama 
et le banc de Terre-Neuve , tantôt renforcée 
comme dans le voisinage du détroit de Gi- 
braltar et près des îles Canaries , on ne 
sauroit douter que la même cause qui fait 
tournoyer les eaux dans le golfe du Mexique^ 
ne les agite aussi près de Tile de Madère. 

C'est au sud de cette île que l'on peut 
poursuivre le courant dans sa direction au 
sud-est et au sud -sud -est vers les côtes 
de l'Afrique y entre le cap Cantin et le cap 
Bojador. Dans ces parages , un vaisseau resté 
en calme se trouve engagé sur la côte quand 
il s'en croit encore très - éloigné , d'après 
l'estime non corrigée. Si le mouvement des 
eaux étoit causé par l'ouverture du détroit 
de Gibraltar , pourquoi au sud de ce détroit 
ne suivroit-il pas une direction opposée ? Au 
contraire, par les 2 S et les a6 degrés de 
latitude, le courant se dirige d'abord direc- 
tement au sud et puis au sud-ouest. Le cap 
Blanc qui, après le cap Vert, est le pro- 
montoire le plus saillant, paroit influer sur 
cette direction , et c'est sur son parallèle que 
les eaux dont nous avons suivi le cours depuis 
les côtes d'Hondura jusqu'à celles d'Afrique 



l54 LIVRE I. 

se mêlent au grand courant des tropiques 
pour recommencer le lour d'orient en occi- 
dent. Nous avons observé plus liant que 
plusieurs centaines de lieues à l'ouest des 
îles Canaries, le mouvement qui est propre 
aux eaux éqtiinoxiales se fiiit déjà sentir dans 
la zone teinpérée dès les 28 et 29 degrés de 
latitude nord; mais, sur le méridien de l'île 
de Fer, les vaisseaux avancent au sud jusqu'au 
tropique du Cancer, avant de se trouver par 
l'estime à l'est de leur véritable position. 

J'ai cru donner quelque intérêt à ht Carte 
de rOccan Allanlîque boréal que j'ai pu- 
bliée ', en y traçant, avec un soin particu- 
lier, la direction de ce courant rétrograde 
qui , semblable à un fleuve dont le lit s'élargit 
gra<luellcnient, parcourt la vaste étendue des 
mers. Je nie llatLc que les navigateurs qui 
ont étudié les Cartes de Jonallian Williams, 
du gouverneur Povvnali, de Healer et de 

' Celle C.irte, que }';ii commencé à tracer en i8o4, 
offre, outre la tempcvalure de l'eau de la mer, des 
oLscr va lions sur l'inclinaison de l'aiguille aimantée, 
les ligjii's sans déclinaison , l'inteasitc des ibrces ma- 
gnéli<iues, tes bandes de varecli flottant, et d'autres 
phénomènes qui ïnléressent lï géograpliie physique. 



GHAPimE I. i55 

Siricklaii ' 9 troQTeront dans la mienne plu- 
sieurs objets dignes de leur attention. Outre 
les observations que j'ai faites pendant six 
IraTerséeSy savoir : d'^pagne à Cumana, de 
Gamana à la Havane ^ de l'île de Cuba à Car- 
ihagëne des Indes , de la Vera-Crux à la 
Havane , de ce port à Philadelphie , et de 
Philadelphie aux côtes de France, j'y ai 
réuni tout ce qu'une curiosité active m'a fait 
découvrir dans les journaux de route , dont 
les auteurs ont pu employer des moyens as- 
tronomiques pour déterminer reflet des cou- 
rans. J'ai indiqué en outre les' parages dans 
lesquels le mouvement des eaux ne se fait 
pas sentir constamment ; car , de même que 
la limite boréale du courant des tropiques 
et celle des vents alizés sont variables selon 
les saisons, \e' Gulf-stream change aussi de 
place et de direction. Ces changemens de- 
viennent très-sensibles depuis les 58 degrés 
de latitude jusqu'au grand banc de Terre- 
Neuve. On les remarque de même entre lei 

* Amer. Trans. , Vol. II , p. 528 ; Vol. III, p. 89 
et ig4; Vol. V, p. 90 ^ et un Mémoire inléresMtnt m 
les eourans, par M. Delamétherie , Journt de Phfi 
1808, T. 67, p. 91. •" 






l!i6 LIVRE r. 

48 degrés de longitude occideatale de Pam 
et le méridien des îles Acores. Les vents va- 
riables de la zone tempérée , et la fonte des 
glaces du pôle boréal, d'où reilue, dans les 
mois de juillet et daoût, une grande quan- 
tité d'eau douce vers le sud, peuvent être 
regardés comme les causes principales qui 
modifient , dans ces hautes latitudes , la force 
et ia direction du Gidf-stream. 

Nous venons de voir qu'entre les paral- 
lèles de ji et de 4'^ degrés, les eaux de 
l'Océan Atlantique sont entraînées, par les 
courans , dans un tourbillon perpétuel. En 
supposant qu'une molécule d'eau revienne à 
la mêm.e place d'où elle est partie , on peut 
évaluer, d'après nos connoissances actuelles 
sur la vitesse des courans, que ce circuit de 
38oo lieues n'est achevé que dans l'espace de 
deux ans et dix mois, tfn bateau qui serctit 
censé ne pas recevoir l'impulsion du vent, 
parviendroit en treize mois des îles Canaries 
aux côtes de Caracas. II lui faudroit dix 
mois pour faire le tour du golfe du Mexique, 
et pour arriver à la sonde de la Tortue, 
vis-à-vis le port de la Havane; mais qua- 
rante à cinquante jours suffiroient pour le 



CHAPITRE I. 187 

porter de l'entrée du détroit de la Floride 
au banc de Terre-Neuve. Il est difficile de 
fixer la rapidité du courant rétrograde, 
depuis ce banc jusqu'aux côtes d'Arrique ; en 
évaluant la vitesse moyenne des eaux à sept 
ou -huit milles en vingt-quatre heures , on 
trouve , pour cette dernière distance , dix à 
onze mois. Tels sont les effets de ce mouve- 
ment lent, mais régulier, qui agite les eaux 
de- l'Océan. Celles de la rivière des Ama- 
zones mettent à peu près quaranle-cioq jours 
pour parvenir de l'omependa au Grand- 
Para. 

Peu de temps avant mon arrivée à Téné- 
riffe, la mer avoit déposé sur la rade de 
Sainte-^Groix un tronc de Cedrela odorata 
couvert de son écorce. Cet arbre américain 
Tégëte exclusivement sous les tropiques ou 
dans les régions qui en sont les plus voisi- 
nes, n avoit été arraché sans doute, soità la , 
côte de la Terre-Ferme , soit à celle d'Hoi 
duras. La nature du bois et les lichens ^ 
couvroient l'écorce, prouvoienl 3 
tronc n'avoit pas appartenu à ces (oti 
marines que d'anciennes révolutiou 
ODt déposées dans lee terrains 1 




iSS LIVRE I. 

des régions polaires. Si le Oedrela , au lieà 
d'avoir été jeté sur la plage à Ténériffe, avoit 
été porté plus au sud , il auroit probable* 
méot fait le tour entier de TOcéaD Atlao'^ 
tique , en revenant dans son pays natal à la 
faveur du courant général des tropiques. 
Cette conjecture est appuyée par un fait plus 
ancien , rapporté dans l'histoire générale des 
Canaries de Tabbé Viera. En 1770, un petit 
bâtiment , chargé de blé et destiné à passer 
de File de Lancerotte à Sainte*Groix de Té- 
nériffe i fut poussé au large dans un moment 
où pas un homme de l'équipage ne se trou^- 
Toit à bord. Le mouvement des eaux d'orient 
en occident le porta en Amérique où il 
échoua sur les côtes de la Gua jra , prés de 
Caracas '. 

Dans un temps où Fart de la navigation 
étoit encore peu avancé , le Gulf-stream a 
fourni au génie de Christophe Colomb des 
indices certains de l'existence des terres occi- 
dentales. Deux cadavres, dont les traits an- 
nonçoient une race d'hommes inconnue » 

^ Viera ^ HUt, général de lae lelae Canariaê ^ 
T. II, p. 167. 



CHAPTTBB I. iSg 

forent jetës , vers la fin do qoînziéme stede, 
sor les côtes des fles Âçores. Presque à la 
même ëpoqne^ le beao-firère de Colomb , 
Pierre Correa y gooverneor de Porlo-Santo , 
ramassa , snr une plage de cette ile , des mor- 
ceaux de bambou d'une grosseur énorme que 
les courans et les venls d'ouest j a voient 
portés '. Ces cadavres et ces bambous fixèrent 
lattention du navigateur génois : il devina 
que les uns et les autres venoient d'un con- 
tinent situé vers l'ouest. Nous savons aujour- 
d'hui que, dans la zone torride> les vents 
alizés et le courant des tropiques s'opposent 
à tout mouvement des flols dans le sens de 
la rotation de la terre. Les productions dn 
nouveau monde ne peuvent parvenir à Tan- 
den que par des latitudes très-élevées et en 
suivant la direction du courant de la Floride. 
Souvent des fruits de plusieurs arbres des 
Antilles sont jetés sur les côtes des îles de Fer 
ti de la Gomere. Avant la découverte de 
l'Amérique, les Canariens regardoient ces 
fruits comme provenant de l'île enchantée 

' MunoZj Hist, del nuevo mundo, Lib. Il, ^ i4< 
Pisman Colon ^ vida del jikrUrante , Cap. ix, Her§nÊ> 
J)ecad ly Cap, ii. 



l40 LITRE I. 

de Saint-Borondon qui, d'après les rêveries 
des pilotes et d'après quelques légendes, éloit 
placée vers l'ouest dans une partie inconnue 
de l'Océan, que l'on supposoit ensevelie dans 
des brouillards perpétuels. 

En traçant ici le tableau des courans de 
l'AlIantique , mon but principal a été de 
prouver que le mouvement des eaux vers le 
sud-est, depuis le cap Saint-Vincent jus- 
qu'aux îles Canaries , est l'effet du mouve- 
ment général qu'éprouve la surface de l'Océan 
à son extrémité occidentale. Nous n'indique- 
rons donc que très-succinctement le bras du 
Gulf-stream qui , par les 45 et 5o degrés de 
latitude, près du banc du Bonnet-Flamand, 
se dirige du sud-onest au nord-est vers les 
côtes de l'Europe. Ce courant partiel acquiert 
beaucoup de force lorsque les vents ont 
soufflé loug-temps du côté de l'ouest. Sem- 
blable à celui qui rase les iles de Fer et de 
Gomere , il dépose, annuellement, sur les 
côtes occidentales de l'Irlande et de la Nor- 
wège , les fruits des arbres qui sont propres à 
la zone torride de l'Amérique. Sur les plages 
des îles Hébrides, on recueille des graines 
de Mimosa scandeus, de DoUchos urens, de 



CHAPITRE I. )4l 

Guilaadina bonduc, et de plusieurs autres 
plantes de la Jamaïque, de l'île de Cuba et 
du continent voisin '. Le courant y apporte 
beaucoup de tonneaux de vin de France , 
bien conservés , restes du chargement des 
vaisseaux naufragés dans la mer des Antilles '. 
A ces exemples de migrations lointaines des 
végétaux , se lient d'autres faits propres à 
frapper l'imagination. Les débris du vaisseau 
angtois the TUburj , incendié près de l'île de 
la Jamaïque , ont été trouvés sur les côtes 
de l'Ecosse. Dans ces mêmes parages, on voit 
de temps en temps arriver plusieurs espèces 
de tortues qui habitent la nier des Antilles. 
Lorsque les vents de l'ouest sont de longue 
durée , il s'établit dans les hautes latitudes 
un courant qui porte directement vers l'esl- 
sud-est, depuis les côtes du Grœnland et du 
Labrador jusqu'au nord de l'Ecosse. Wailacé 
rapporte qu'à deux reprises, en 1682 et i684, 

' Pennant, Voyage to ihe Hahridus , 1772, p. 2S2. 
Gunneri Acta JVidrosiensia , T. II , p. 4lo. Sloane, 
dans les Traits. pkil. , u." 22a, p. SgS, Linné, Amon. 
acad.,\o\. VII, p. 477. 

' Necher, Coup d'œil sur la nature dans les îles 
Hébrides, dau» la Sibl. brin.. Vol. XUI, p. 90. 



1^3 LIVEB t. 1 

des sauvages américains de la race des Eskî- 
maux, poussés au !;ir<fe dans leurs canaux de 
cnirs, pendant une tempête, et abandonnés 
ù la force des cnurans, sont arrivés aux (les 
Orcades '. Ce dernier exemple est d'autant 
plus digne d'altention qu'il prouve en même 
temps eomment, à une époque où l'art nau- 
tique éloit encore dans l'enfance, le mouve- 
ment des eaux de l'Océan a pu contribuer à 
répandre les diftéretites races d hommes sur 
la surface du globe. 

Le peu que nous savons jusqu'à ce jour sur 
la position absolue et la largeur du Gulf- 
strcam , de même que sur sa prolongation 
vers les côtes de l'Europe et de l'Afrique , a 
été observé accidentellement par un petit 
nombre de personnes instruites qui ont tra- 
versé l'Atlantique en différentes directions. 
Comme la connoissance des courans est de 
la plus haute importance pi)ur abréger les 
navigations , il seroil aussi utile pour la pra- 
tique du pilotage , qu'intéressant pour la 

» Jamei WaUace{ofKirk:i-all), uccountofthe I^landt 
of Orkney , 1700, p. Go. /V.ïcAer, dans Pallai, Neus 
Nordlsche Bettrûge , B. 3, p. 3J0. Les Grœnlaiidoii 
ont été aperçus ylvans aus îles £da et Wesu-am, 



CHAPITRE I. ]43 

pb jsîque, que des vaisseaux, munis d'excellens 
chronomètres, croisassent tout exprès dans 
le golfe du Mexique et dans TOcéan septen* 
tnonal, entre les 3o et 54 degrés de latitude, 
pour déterminer à quelle distance se trouve 
le Gulf-stream dans différentes saisons et 
sous Finfluence de différéns vents au sud des 
bouches du Mississipi et à l'est des caps Hat- 
teras et Codd. Les mêmes navigateurs pour* 
roieot être chargés d'examiner si le grand 
courant de la Floride rase constamment Fexr 
trémité australe du banc de Terre-Neuve, et 
sur quel parallèle, entre les 32 et 4o degrés 
de longitude occidentale, les eaux qui cou- 
lent de l'est à l'ouest se trouvent le plus près 
de celles qui suivent une direction contraire. 
Ce dernier problème est d'autant plus im- 
portant à résoudre , que les parages que nous 
venons d'indiquer sont traversés par la plu^ 
part des bâtimens qui retournent en Europe, 
en venant des iles Antilles , ou du cap de 
Bonne -Espérance. Outre la direction et la 
vitesse des courans, cette expédition pour- 
roit servir à faire connoitre la température df 
la mer à sa surface , les lignes sans variation 
l'inclinaison de l'aiguille aimantée el Imteosî 



l4/j LIVRE I. 

des forces magnétiques. Des observations 
de ce genre deviennent extrêmement pré- 
cieuses , lorsque la position du lieu où elles 
ont été fitiles a été déterminée par des moj'eDs 
astronomiques. Dans les mei-s les plus fré- 
quentées par les Européens, loin de lii vue 
des terres, un navigateur habile peut encore 
se livrer à des travaux importans. La décou- 
verte d'un groupe d'iles inhabitées offre 
moins d'intérêt que la connoissance des lois 
qui enchaînent un grand nombre de faiU 
isolés. 

En réfléchissant sur les causes des courans, 
OQ reconnoît qu'elles sont beaucoup plus mul- 
tipliées qu'on ne le croit généralement; car 
les eaux de la mer peuvent être mises en 
mouvement soit par une impulsion extérieure, 
soit par une différence de chaleur et de sa- 
lure, soit par la fonte périodique des glaces 
polaires, soit enfin par l'inégalité de l'évapo- 
ration qui a lieu à diverses latitudes. Tantôt 
plusieurs de ces causes concourent au même 
effet, tantôt elles produisent des effets op- 
posés. Des vents foibles, mais agissant, comme 
les vents alizés , sans interruption sur une zone 
entière, causent un niouvemeutdetraiiÂlatioQ 



CHAPITRE I. l45 

q«€ nous n'observons pas dans les plus fortes 
tempêtes, parce que ces dernières sont cir- 
conscrites à une petite étendue. Lorsque, 
dans une grande masse d'eau, les molécules 
placées à la surface acquièrent une pesanteur 
spécifique différente, il se forme un courant 
superficiel qui est dirigé vers le point où se 
trouve l'eau la plus froide ou celle qui est 
la plus chargée, de muriale de soude, de sul- 
fate de chaux et de miiriate ou de sulfate de 
magnésie. Dans les mers des tropiques, on 
trouve qu'à de grandes profondeurs, le ther- 
momètre ne se soutient qu'à 7 ou 8 degrés 
centésimauit. C'est le résultat des nombreuses 
expériences du commodore EUis et de celles 
de M. Peron. La température de l'air ne 
baissant jamais dans ces parages au-dessous 
de 19 à 20 degrés, ce n'est pas à la surface 
que les eaux peuvent avoir acquis un degré 
de froid si voisin du point de la congélation 
et du maximum de la densité de l'eau. L'exis- 
tence de ces couches froides dans les basses 
latitudes, prouve par conséquent un courant 
inférieur qui se porte des pôles vers l'équa- 
teur : il prouve aussi que les substances sa- 
lines qui altèrent la pesanteur spécifique de 
I. 10 



l/|6 LITRE r. 

l'eau, sont distribuées dans l'Océan de ma* 
nière ' à ne pas anéantir l'effet produit par les 
différences de température. 

' En effet, si la salure movenne de la mer étoit 
de o,O05 plus forte sous l'équatcur que dans la zone 
tempérée, comme Ltaucoup de plijsicieus ie préten- 
dent, il en résulleroità la profondeur un courant de 
l'équaleur vers le pôle ; car un demi-centième produit 
une différence de densité de 0,0017 ; tandis que, 
d'après les tables de Hallstrom, un refroidissement 
de 16" centésimaux, entre 20 et 4 degrés, ne cause 
encore, dans le poids spccîiîquc, qu'un cliangement 
de o,oaoi5. En examinant attentivement les résultats 
des expériences de liladli, réduits par M. Kirwan 
à la température de iG^, je trouve, terme mojea, la 



densité de l'eau de rac 


■r. 




de 0" à 14° 


de latitude de 


1,0272 


de 15" à 25" 


de 


1,0282 


de 30" à 14" 


de 


1,0273 


de 54" à 60° 


de 


1,0371 



Les proportions de sel correspondantes à ces quatre 
zones sont, d'après M. Watson, 0,03/4; 0,039'!, 
o,o385 et 0,0373. Ces nombres prouvent suflisam- 
ment que les expériences publiées jusqu'ici ne justi- 
fient aucunement l'opinion reçue que la mer est plus 
salée sous l'équaleui- que sous les 3oet 4V déférés de 
latitude. Ce n'est donc pas une jiliis grande quantité 
He subataaces salioes tenues eu dissolution qui s'op* 



CnAPITAE I. 1^7 

Eq considérant la vitesse des nnolécules 
variables selon les parallèles^ à cause du 
mouvement de rotation du globe, on pour- 
roit être tenté d'admettre que tout courant, 
dirigé du sud vers le nord , tend en même 
temps vers Test, tandis que des eaux qui se 
portent du pôle vers Téquateur tendent à dé- 
vier vers Touest. On pourroit penser aussi que 
ces tendances diminuent, jusqu'à un certain 
point /la vitesse du courant des tropiques, 
de même qu'elles altèrent la direction du. 
courant polaire qui, aux mois de juillet et 
d'août, se fait sentir régulièrement, pendant 
la fonte des glaces, sur le parallèle du banc 
de Terre-Neuve , et plus au nord. Des obser- 
vations nautiques, très-anciennes , et que j'ai 

pose k ce coûtant inférieur , par lequel l'Océan équl- 
noxial reçoit des molécules d'eau qui, pendant F hîyer 
des zones tempérées , sont descendues vers le fond de 
la mer, sous les 3o à 44 degrés de latitude boréale et 
australe. Baume a analjsé l'eau de mer recueillie par 
Pages, sur difiérens parallèles : il a trouvé cette eau 
d'un demi-centième moins salée à i^ 16' de latitude 
qu'entre les 25 et 4o degrés {Kirvan, Geol, Sssays, 
f, 35o. Pages, Voyage autour du monde, T. II, p. 6 
et 375). A 

10* 



l48 LIVRE 1. 

eu occasion de confirmer en comparant la 
longitude donnée par le chronomèlre avec 
celle que les pilotes olUenoient par l'eslime, 
sont contraires à ces idées théoriques. Dans 
les deux hémisphl-res, les courans polaires, 
lorsqir'Us se font sentir, déclinent un peu vers 
l'est ; et noHs pensons que la cause de ce phé- 
nomène doit être cherchée dans la constance 
des vents d'ouest qui dominent dans les hautes 
latitudes. D'ailleurs les molécules d'eau ne se 
meuvent point avec la même rapidité que les 
molécules d'air; et les courans de l'Océan, 
que nous regardons comme les plus rapides, 
n'ont qu'une vitesse de 8 à 9 pieds par se- 
conde : il est par conséquent très-probable 
que l'eau, en passant par les dilTérens paral- 
lèles, acquiert peu à peu la vitesse qui leur 
correspond, et que la rotation de la terre ne 
change pas la direction des courans. 

Les pressions variables qu'éprouve la sur- 
face des mers, par les changemens du poids 
de l'air, sont une autre cause du mouvement 
qui mérite nue attention particulière. II est 
connn que les variations barométriques n'ont 
généralement pas lieu simultanément sur deux 
points éloignés qui se trouvent au inêuie 



chapithe I. i4() 

niveau. Si, dans un de ces poînls, le baro- 
mètre se soutient de quelques lignes plus bas 
que dans l'autre, l'eau s'y élèvera à cause de 
la moindre pression de l'air, et cette intu- 
mescence locale durera jusqu'à ce que, par 
l'effet du vent, l'équilibre de l'air soit rétabli. 
M. Vaucher pense que les marées du lac de 
Genève, connues sous le nom de seiches j 
tiennent à cette même cause. Sous la zone 
torride , les variations horaires du baromètre 
peuvent produire de petites oscillations à la 
surface des mers, le méridien de 4'' , qui cor- 
respond au minimum de la pression de l'air, 
se trouvant situé entre les méridiens de 2 1'' et 
de 1 1^ sur lesquels la liauteur du mercure est 
la plus grande ; mais ces oscillations , si toute- 
fois elles sont sensibles, ne seront accompa- 
gnées d'aucun mouvement de translation. 

Partout oii ce dernier uiouvemenl est pro- 
duit par l'inégalité de \a pesanteur spécifique 
des molécules, il se forme un double courant, 
dont le supérieur a une direction contraire à 
l'inférieur. C'est ainsi que, dans la plupart 
des détroits, de même que dans les mers des 
tropiques qui reçoivent les eaux froides des 
régions boréales , toute la masse d'eau est 



j5o LIVRE T. 

agitée jusqu'à de grandes profondeurs. Nous 
ignorons s'il en est de même lorsque le mou- 
vement de translation , qu'il ne faut pas con- 
fondre avec l'oscillation des vagues, est l'effet 
d'une impulsion extérieure. M. de Fleurieu , 
dans la relation du voyage de l'Isis ' , elle 
plusieurs faits qui rendent probable que la 
nier est beaucoup moins calme au fond que 
les physiciens ne l'adraeLtent généralement. 
Sans entrer ici dans une discussion dont nous 
nous occuperons dans la suite, nous obser- 
verons seulement que si l'impulsion extérieure 
est constante dans son action, comme celle 
des vents alizés, le frottement qu'exercent 
les molécules d'eau les unes sur les autres 
doit nécessairement propager le mouvement 
de la surface de l'Océan jusque dans les 
coucbes inférieures. Aussi les navigateurs ad- 
mettent-ils depuis long-temps celte propaga- 
tion dans le G ulf-itream : ils croient en recon- 
noîlre les effets dans la grande profondeur 
que la mer a partout oii elle est traversée par 
le courant de la Floride, même au milieu des 

' yoyage fait par ordre durai en 17G8 eï 1^63/JOUV 
iprciwer les horloges marines j T. 1, p. Si3. 



CHAPITHE I. ï5l 

bancs de sable qui enlourenl les côtes sep- 
tentrionales des Etals-Unis. Cette immense 
rivière d'eaux chaudes, après avoir parcouru, 
en cinquante jours, depuis les 2^ jusqu'aux 
45 degrés de latitude, une longueur de 
45o lieues, ne perd pas, malgré les rigueurs 
de l'hiver dans la zone tempérée , 3 à 4 de- 
grés de la température qui lui est propre 
sous les tropiques. La grandeur de la masse 
et le peu de conductibilité de l'eau pour le 
calorique empêchent un refroidissement plus 
prompt. Or , si le Gulf-slreani s'est creusé un 
lit au fond de l'Océan Atlantique , et si ses 
eaux sont en mouvement jusqu'à des profon- 
deurs considérables, elles doivent aussi con- 
server dans leurs couches inférieures une 
température moins basse que celle que l'on 
observe sur le même parallèle, dans une por- 
tion de la mer dépourvue de courans et de 
bas-fonds. Ces questions ne peuvent être éclair- 
cies que par des expériences directes faites 
avec des sondes ihermoniétriques. 

Sir Ërasmus Gower observe que, dans la 
traversée d'Anfrleterre aux îles Canaries, on 
entre dans le courant qui entraîne les vais- 
seaux ver» le sud-est, depuis les Sg degrés 



L 



I 



l52 LIVRE I. 

de lutitude. Pendant noli-e naçigation delà 
Corogiie aux eûtes de l'Ainériqne méridio- 
naît', l'effet de ce mouvement des eaux se fit 
senlir encore plus au nord. Du 5y.^ au3o.* de- 
gré , la déviation fut 1res - inégale ; l'effet 
diurne nio^en étoil de la niiUcs, c'est-à-dire 
que notre corvelLe se trouva poussée vers l'est, 
en six jouis, de y5 milles. En coupant le pa- 
rallèle du détroit de Gibraltar, à i/io lieues 
de distance, nous eûmes occasion d'observer 
que , dans ces parages, le maximum de la 
■vitesse ne correspond pas à l'ouverture du 
détroit mcnie, maïs à un point plus septen- 
trional , qui se trouve sur le |)rolongement 
d'une ligne qui passe par le détroit et le cap 
Saint-Vincent. Celte ligne est parallèle à la 
direction que suivent les eaux, depuis le 
groupe des îles Açores jusqu'au cap Canliu. 
li i'aut observer de pins, et ce fait n'est pas 
-sans intérêt pour ceux qui s'occupent du 
mouvement des fluides, que dans cette partie 
du courant rétrograde, sur une largeur de 
X30 à i/(0 lieues, toute la masse d'eau n'a 
pas la niêuic vitesse, et qu'elle ne suit pas 
exactement la mùmc direction. Lorsque la 
mer est parfailLiueiit calme, il puroit à sa 



CHAPITRE I. i53 

surface des bandes étroites , semblables à de 
petits ruisseaux, et dans lesquelles les eaux 
courent avec un bruit très-sensible pour l'o- 
reille d^un pilote expérimenté. Le i3 juin , 
par les 34^ 36' de latitude boréale, nous 
nous trouvâmes au milieu, d'un grand nom- 
bre de ces lits de courans. Nous pûmes en 
relever la direction avec la boussole : les uns 
portoient au nord-est, d'autres à Fest-nord-est, 
quoique le mouvement général de l'Océan , 
indiqué par la comparaison de l'estime et de 
la longitude chronométrique,-continuât à être 
au sud-est. Il est très-commun de voir une 
masse d'eaux immobiles traversée par des 
filets d'eau qui courent dans différentes di- 
rections ; on peut observer ce phénomène 
journellement à la surface de nos lacs : mais il 
est plus rare de trouver des mouvemens par- 
tiels imprimés par des causes locales à de 
petites portions d'eau au milieu d'une rivière 
pélagique qui occupe un espace immense, 
et qui se meut dans une direction constante, 
quoique avec une vitesse peu considérable. 
Dans le conflit des courans , comme dans l'os- 
cillation des vagues, notre imagination esl 
frappée de ces mouVemens qui semblent se 



l54 LIVRB I. 

pénétrer^ et dont TOcéan est sans cesse 



agite. 



Nous passâmes le cap Saint-Vincent, qui 
est de formation basaltique^ à plus de 80 lieues 
de distance. On cesse de le voir distinctement 
lorsqu'on en est éloigné de plus de i5 lieues; 
mais la montagne granitique appelée la Foja 
de Monchique^ située près du cap, se dé- 
couvre^ à ce que prétendent les pilotes^ 
jusqu'à 26 lieues en mer '• Si cette assertion 
est exacte, la Foja a une élévation de 700 toises 
( 1 363.") ; elle est par conséquent de 1 1 6 toises 
(225.") plus haute que le Vésuve. On est 
surpris que le gouvernement portugais n'en- 
tretienne pas de feu dans un endroit qui doit 
être reconnu par tous les vaisseaux qui viennent 
du cap de Bonne - Espérance ou du cap, de 
Hôrn; c'est l'objet dont ils attendent la vue 
avec le plus d'impatience. Entre le Ferrol et 
Cadix, il n'y a qu'un seul phare, celui du 
cap La Rocque, qui puisse guider le navigateur 
sur des côtes dont l'accès est très-dangereux. 

' Elementoê de Navesacion de Don Dionisio Mcb* 
carte, p. 47. Borda^ Voyage de la Flore^ Yol. I, p. Sg, 
PL II. Linh et Hofmannsegg ^ Voyage en Portugal , 
T. II,p. i28jT.llI,p. 323. 



CHAPITRE I. 185 

Les feux de la Tour d'Hercule et du cap 
Spichel sont si foibles et si peu visibles au 
loin que Ton ne peut les citer. D'ailleurs le 
couvent des capucins qui domine le cap 
Saint-Vincent seroit un des endroits les plus 
propres à établir un fanal giratoire semblable 
à ceux de Cadix ou de Tembouchure de la 
Garonne. 

Depuis notre départ de la Corogne jus- 
qu'aux 36 degrés de latitude , nous n'avions 
aperçu , à l'exception des hirondelles de mer 
et de quelques dauphins , presque aucui^ élre 
. organisé. Nous attendions en vain des fucus 
et des mollusques. Le 11 juin nous fûmes 
frappés d'un spectacle curieux » mais qui dans 
la suite s'est répété souvent pour nous dans 
la mer du Sud. Nous entrâmes dans une zone 
où toute la mer étoit couverte d'une pro- 
digieuse quantité de méduses. Le vaisseau 
étoit presque en calme, mais les mollusques 
se portoient vers le sud-est avec une rapidité 
quadruple de celle du courant. Leur passage 
dura près de trois quarts d'heure. Bientôt 
nous ne vîmes plus que quelques individus 
épars^ suivant de loin la foule, comme s'ils 
étoient lassés du voyage. Ces animaux vien** 



l56 LIVRE î. 

nent-ils dn fond de la mer qui, dans ces 
parages, a peut-être plusieurs milliers de 
loises de profondeur? ou fonl-ils, par bandes, 
des voyages lointains ? On sait que les niol- 
lusques aiment les bas-fonds; et si les huit 
roches à fleur d'eau , que le capitaine Vobonne 
affirme avoir vues en 1732 , au nord de l'île 
de Porto Santo, existent effectivement , on 
peut admettre que cette innombrable quantité 
de méduses en a été détachée : car nous 
n'étions qu'à 28 lieues de cet écueiL Nous 
reconnûmes, outre le Médusa aurita de Baster 
et le M. pelagica de Bosc , à huit tentacules 
(Pelagia denticula, Peron), une troisième 
espèce qui se rapproche du M. hysocella , et 
que Vandelli a trouvée à l'embouchure du 
Tage. Elle se distingue par sa couleur d'un 
brun-jaunâtre et par ses tentacules qui sont 
plus longues que le corps. Plusieurs de ces 
orties de mer avoient 4 pouces de diamètre : 
leur reflet presque métallique , leurs couleurs 
chatoyantes en violet et en pourpre, con- 
trastoient agréablement avec la teinte azurée 
de l'Océan. 

Au miUeu de ces méduses, M. Bonpland 
observa des paquets de Dagysa notata, mol- 



CnAPITRE I. iS^ 

tusqiie d'une slnicture bizarre que sir Joseph 
Banks a fait connoilre le premier. Ce sont de 
petits sucs gélylineux, transparens, cylin- 
driques , quelquefois polygones , qui ont 
i5 lignes de long, sur a à 3 lignes de dia- 
mètre. Ces sacs sont ouverts aux deux bouts. 

A l'une de ces ouvertures , on observe une 
vessie hyaline marquée d'une taclie jaune. 
Les cylindres sont longitudinalement collés les 
uns aux autres comme des cellules d'abeilles , 
et forment des chapelets de 6 à 8 pouces de 
longueur. J'essayai en vain l'électricité gal- 
vanique sur ces mollusques : elle ne produisit 
aucune contraction. Il paroît que le genre 
Dagysa , formé à l'époque du premier voyage 
de Cook , appartient anx Salpas ( Bipborcs 
de Bruguière ) auxquels M. Ciivier a réuni 
le Thaiia de Brown et le Telhis vagina de 
Tilesius. Les Salpas voyagent aussi par groupes 
en se réunissant en chapelets, comme nous 
l'avons observé dans le Dagysa '. 

Le t5 juin , le matin , par les 54° 53' de 
latitude , nous vîmes encore passer de grands 

' Iteladcn des F'oyng.'s entir/'ris par ordre df 
S. M. Britannique, l78r),T. III, p. i''l. J'uudt:-: du 
Muséum, ï. IV, p. 36o. 



lijS LIVRE r. 

amas de ce dernier irjollttsqne , la mer ëlant 
parfaileinent calme. Nous observâmes pendant 
la Quit que des trois espèces de méduses que 
nous avions recueillies aucune ne répandoil 
de lueur qu'au moment d'im clioc très-léger. 
Cette propriété n'appartient donc pas exclu- 
sivement au Médusa nocliluca que Forskœl 
a décrite dans sa Fauna yEgyptiaca, et que 
Gmelin a rapportée à la Médusa pelagica de 
Lœfling, malgré, ses tentacules rouges et les 
lubérosités brunâtres de son corps. En plaçant 
une méduse très - irritable sur une assiette 
d'étain, et en frappant contre l'assiette avec 
un métal quelconque , les petites vibrations 
de l'étain suffisent pour faire luire l'animal. 
Quelquefois , en galvanisant des méduses , 
la pliorpliorescence paroîl au moment que 
la chaîne se ferme , quoique les excilaleurs 
ne soient pas en contact immédiat avec les 
organes de l'animal. Les doigis, a\ec lesquels 
on l'a touché, restent luisans pendant deux 
on trois minutes, comme on l'observe aut^si 
en brisant la coquille des Pholades. Si l'on 
fi ollc du bois avec Je corps d'une méduse , 
et que Tcndroil frotté ait déjà cessé de luire , 
la phospliorescence renaît si l'on passe la 



CHAFITHB I. l5i) 

main sèdie sur le bois. Quand la lumière 
s'éteint une seconde fois , on ne peut plus la 
reproduire , quoique Tendroit frotté soit 
encore humide et visqueux. De quelle manière 
doit-on envisager lefiet du frottement ou 
celui du choc ? Cest une question difficile à 
résoudre. Est-ce une légère augmentation 
de température qui favorise la phosphores- 
cence 9 ou la lumière renait-elle parce qu'on 
renouvelle la surface i en mettant en contact, 
avec Foxjgène de Tair atmosphérique , les 
parties animales propres à dégager de l'hydro- 
gène phosphore? J'ai constaté, par des expé* 
riences publiées en 1 797 , que le bois luisant 
s'éteint dans le gaz hydrogène et dans le gaz 
azote pur , et que sa lueur reparoît dès que 
Ton y mêle la plus petite bulle de gaz oxygène. 
Ces faits, auxquelles nous en ajouterons plu- 
sieurs autres dans la suite , conduisent à dé- 
couvrir les causes de la phosphorescence de 
la mer et de cette influence particulière que 
le choc des vagues exerce sur la production 
de la lunûère. 

Lorsque nous nous trouvâmes entre Tile 
de Madère et les côtes d'Afrique, nous eûmes 
de petites brises et des calmes plats , très- 



ifiO LIVRE I. 

favorablesaiix observations magnétiques, dont 
je m'occupuis (!;ins celte traversée. Nous ne 
pouvions nous lasser d'admirer la beauté des 
nuits : rien n'approche de la transpîjrencc et 
de la sérénité du ciel africain. Nous fûmes 
frappés de la prodigieuse quantité d'étoiles 
filantes qui toniboient à chaque in.starit. Plus 
nous avancioLis vers le sud , et plus ce phéuo- 
niène deveiioit fréquent , surtout près des îles 
Canaries. Je crois avoir observé, pendant 
mes courses, que ces météores ignés sont eo 
général plus comnuinset plus lumineux dans 
certaines régions de la terre que dans d'autres. 
Je n'en ai jamais vu de si multipliés que dans 
le voisinage des volcans de la province de 
Quito , et dans cette partie de la mer du Sud 
qui baii^^ne les côtes volcaniques deGuatimala. 
L'inlluencc que les lieux , les climats et les 
saisons parolssent avoir sur les étoiles filantes, 
distingue cette classe de météores de ceux qui 
donnent naissance aux aérolilhes , et qui vrai- 
semblablement existent }ior,s des limites de 
rroire atmosphère. D'après les observations 
correspondantes de MM, Benzeuberg' et 

■ Gilbert. Anmikn iU Phjmk, Th. XII , p. ZQ8. 



CHAPITRE I. 161 

Brandes, beaucoup d'étoiles filantes vues ea 
Europe n'avoient que Soooo toises de hauteur. 
On en a même mesuré une dont l'élévation 
n'excédoit pas i4ooo toises ou cinq lieues 
marines* Ces mesures, qui ne peuvent donner 
qiae des résultats par approximation y méri- 
teroient bien d'être répétées. Dans les climats 
chauds , surtout sous les tropiques , les étoiles 
filantes laissent fréquemment derrière elles 
une traînée qui reste lumineuse pendant iz 
ou i5 secondes : d'autres fois elles paroissent 
crever en se divisant en plusieurs étincelles, 
et généralement elles sont beaucoup plus 
basses que dans le nord de l'Europe. On ne 
les voit que par un ciel serein et azuré ; peut- 
être n'en a-t-on jamais aperçu au-dessous 
d'un nuage. Souvent les étoiles filantes suivent 
iunemême direction pendant quelques heures, 
et cette direction est alors celle du \ent '. 
Dans le golfe de Naples , nous avons observé, 
M, Gay-Lussac et moi, des phénomènes lumi- 

« 

* C'est le résultat des nombreuses obseryations de 

M. Arago qui, lors de la prolougatîon de la mérl- 

dîenne en Espagne , a pu suivre la direction des mé« 

téores pendant des nuits entières sur le Tosal d'En-^ 

canade^ montagne du royaume de Yalence. 
I. 11 



102 LIVRE I. 

neux très-analogues à ceux qui ont fixé mon 
attention pendant un long séjour à Mexico 
et à Quito. Ces météores sont peut-être 
modifiés par la nature du sol et de Tâir^ 
comme certains effets du mirage et *de la 
réfraction terrestre propres aux côtes de la 
Galabre et de la Sicile. 

Nous ne vimes dans notre navigation ni 
les îles Désertes ni Madère. J'aurois désiré 
pouvoir vérifier la longitude de ces îles, et 
prendre les angles de hauteur des montagnes 
volcaniques qui s'élèvent au nord de FuncbaL 
M. de Borda ' rapporte que ces montagnes 
se voient à 20 lieues de distance , ce qui ne 
prouveroit qu'une hauteur de 4i4 toises 
( 8061B.) : mais nous savons, par des mesures 
récentes , que la cime la plus élevée ' de Madère 
a 5162 pieds anglois, ou 807 toises. Les petites 

* Voyage de la Flore, T. I, p. ^5, Le Salvage est 
visible à 8 lieues; les petites îles Désertes le sont à 
12 lieues de distance. Borda y T. I , p. ^7 et 70. 

^ Smith, Tour of the Continent, Vol. I, p. 2oo» 
Irish Trans,, Vol. VIII, p. 124. D'après Heberdeen, 
le pic B-uivo de Madère est élevé de 696 toises au* 
dessus de la plaine qui environne sa base. Premier 
voyage de Çook, Tom. I. p. 272. 



CHAPITRE I. 



165 



I Salv; 



. Désertes i 
recueille de l'Orseille et du Mescmbryan- 
iheoum crystallinuin , n'ont pas 2uo toises 
de hauteur perpendiculaire. Je pense qu'il 
est utile de fixer l'attention des navigateurs 
sur ces déterminiitions, parce que, d'après 
une méthode dont cette relation offre plusieurs 
exemples, et que Borda, lord Mulgrave, M. de 
RosseletdonCosmeChurruca, ont employée 
avec succès dans leurs expéditions, on peut, 
par des angles de hauteur pris avec de bons 
instrumens à réflexion, connoître avec une 
précision suffisante la distance â laquelle le 
vaisseau se trouve d'un cap ou d'une lie 
hérissée de montagnes. 

Lorsque nous nous trouvâmes à l\o lïeues 
dans Test de l'île de Madère, une hirondelle 
vint se placer sur le hunier. Elle étoit si fati- 
guée , qu'elle se laissa prendre aisément. 
Cétoit l'hirondelle des cheminées '. Qu'est- 
ce qui peut engager un obeau , dans celle 
saison et par un temps calme, à volerai loin? 
Dans l'expédition de d'Entrecasteaux , on 
Tit également une hirondelle de clieniinée 



' Itinindo rustka , Lïn. 



164 LIVRE I. 

à 60 lieues de distance du cap Blauc; mais 
c'éloit vers la fin d'oclobie, et M, Labillar- 
dière lacrul nouvelleaienl arrivée d'Europe. 
Nous traversions ces parages au mois de 
juin, à une époque où, depuis long-temps, 
la mer n'avoit pas élé agitée par des tem- 
pêtes. J'insiste sur celte dernière circons- 
tance , parce que de petits oiseaux , et même 
des papillons, sont quelquefois jetés au large 
par l'impétuosité des venis , comme nous 
l'avons observé dans la mer du Sud, étant 
à l'onest des côtes du Mexique. 

Le Pizarro avoil ordre de toucher à l'île 
de Lancerotle ( Lanzarote) , une des sept 
grandes îles Canaries, pour s'informer si 
les Anglois bloquoient la rade de Sainte- 
Croix de Ténériffe. Depuis le i5 juin on étoît 
inquiet sur la route qu'on devoit suivre. 
Jusque-là, les pilotes, à qui l'usage des 
horloges marines n'étoit pas très -familier, 
avaient montré peu de confiance dans la 
longitude que j'oblenois assez régulièrement 
deux fois par jour, par le transport du temps, 
en prenant des angles horaires le matin et 
le soir. Ils hésitèrent de gouverner au sud- 
est, de peur d'attaquer le cap de Nun, ou 



CBAPITItE I. l63 

do moins de laisser l'ile de Lancerote à 1 ooest. 
Sofia, le 16 jnia, à neuf heares do matio, 
lorsque noas noos troonoos déjà par 2g*> 36' 
de latitade, le capitaioe cbangea de romb 
et fit Foote à l'est. La precisioo du garde- 
temps de Loois Bertfaoud fot bientôt re- 
connue : à deux heures de l'après-midi, 
nous eûmes la vue de la terre, qui parois- 
soit comme un petit uua^ fixé à l'horizon. 
A cinq heures, le soleil étant plus bas, l'Ile 
de Lancerote se présenta si distinctement que 
je pus prendre l'angle de hauteur d'une 
montagne conique qoî domine majestueu- 
sement sur les autres cimes , et que nous 
crûmes être le grand volcau qui avoit fait 
tant de ravage dans la nuit du 1." sep- 
tembre lySo. 

Le courant nous entraîna vers la côte plus 
rapidement que nous ne le désirions. En 
avançant, nous découvrîmes d'abord 1%; < 
PortaTenture {^ortefentura) , célèh 
grand nombre de chameaux ' qu'el 

' Ces chameaux , qui servent aux lai 
le peuple mange quelquefois la ch; 
toieot pas arant que les Bétheacourts 
fpètt des Ues Canaries, Au selsième 




l66 LIVRE I. 

et, peu de lenips après, nous vîmes la petite 
î]e de Lobos , dans le canal qui sépare 
ForlavenLure de Lancerote. Nuns passâmes 
une partie de la nuit sur le tillac. La lune 
éclairuit les cimes volcaniques de Lancerote, 
dont lespenLes, couvertes de cendres, réflé- 
toienl une luinicre argentée. Antarès brilloit 
prés du disque lunaire, qui n'étoit élevé que 
de peu de degrés au-dessus de l'horizon. La 
nuit éloit d'une sérénité el d'une fraîcheur 
admirables. Quoique nous fussions très-peu 
éloignés des côtes d'Afrique et du bord de 
la zune lorridc , le iLerraomètre centigrade 
ne se soutenoit cependant pas au - dessus 
de i8'. La phosphorescence de l'Océan 
paroissr il ;iu;;nieii(er la masse de lumière 
rép,mduc d^iis l'air. Je pouvois lire, pour 
la première lois, le vernicr d'un sextant de 
Troughlon de deux pouces, dunt la division 

e'dtoient tellement multipliés dans l'ite de Fortâven- 
ture, iju'ils éLoient devenus sauvages, et qu'il fallut 
leur donnei' la chasse. On en tun plusieurs milliers 
poui- sriuver les récoltes. Les tlievaus de Forlaventure 
sont d'une beauté remarquable et de race barbares- 
que. JVoticias de la hUturia gênerai de las islas Ca- 
narias,por don José de Viera , Tom. II, p. 436. 



CHAPITRE I. 167 

étoit très-fine y sans éclairer le limbe par une 
bougie. Plusieurs de nos compagnons de 
TOjage étoient Canariens : comme tous les 
habitait des îles j ils vantoient avec enthou« 
siasme la beauté de leur pays. Après minuit, 
de gros nuages noirs s'élevant derrière le 
volcan couvrirent par intervalles la lune et 
la belle constellation du scorpion. Nous 
vîmes du feu que Ton portoit ça et là sur 
le rivage. G'étoient vraisemblablement des 
pécheurs qui se préparoient à leurs travaux. 
Nous nous étions occupés, pendant toute la 
route , à lire les anciens voyages des Espa- 
gnols, et ces lumières mouvantes nous rappe^ 
loient celles que Pedro Gutierrez, page de 
la reine Isabelle, vit à Tile de Guanahani, 
dans la nuit mémorable de la découverte 
du nouveau monde. 

Le 17 au matin, rhorizon étoit brumeux, 
et le ciel légèrement couvert de vapeurs. 
Les contours des montagnes de Lancerotte en 
paroissoient d'autant plus tranchés. L'humi- 
dité, en augmentant la transparence de l'air, 
semble en même temps rapprocher les objets. 
Ce phénomène est très-connu de ceux qui 
ont eu occasion de faire des observations 



l6S LIVRE I. 

hvfjro métriques dans des endroits d'où Ton 
voit la chaîne des hautes Alpes ou celle des 
Audes. Nous passâmes, la sonde à la main, 
par le canal qui sépare l'île d'^Vlegranza de 
Montana Clara. Nous examinâmes cet archi- 
pel d'îlots situés au nord de Lanoerote, et 
qui sont si mal figurés, tant dans la carte, 
d'ailleurs très-exacte de M. de Fleurieu, que 
dans celle qui est jointe an voyage de la 
frégate la Flore. La carte de l'Océan Atlan- 
tique publiée en 1786^ par ordre de M. de 
Caslries, oIFèc les mêmes erreurs. Comme 
les courans sont extrêmement rapides dans 
ces parages, il est important, ponr la sûreté 
de la navigation, d'observer ici que la posi- 
tion des cinq petites îles Alegranza, Clara, 
Graciosa, Roca del Este et Infierno ne se 
trouve indiquée avec exaclilnde que dans la 
carte des îles Canaries de M. de Borda et 
dans l'Atlas de ïohno, Ibndé poar cette 
partie sur les observations de don José 
Varela, qui sont assez conformes à celles de 
la frégate la Boussole. 

Au milieu de cet arcliipel, qui est rare- 
ment Iraversé par les vaisseaux deslinés pour 
TéncrilTe, nous fûmes singulièrement iVappés 



CHAPITRE I. 16^ 

de la confignration des côtes. Nous nous 

CFÙmes transportés aux Monts -Euganéens 

dans le Yicentin , ou aux rives du Rhin près 

de Bonn '. La forme des êtres organisés 

varie selon les climats , et c'est celte extrême 

variété qui rend si attrayante Fétude de la 

géographie des plantes et des animaux ; mais 

les roches , plus anciennes peut-être que les 

causes qui ont produit la différence des cli^ 

mats sur le globe . sont les mêmes dans les 

deux hémisphères". Les porphyres renfermant 

du feldspath vitreux et de Famphibole, les 

phonolites ^, les griinsteins ^ les amygdaloïdes 

et les basaltes affectent des formes presque 

aussi constantes que les matières simples 

cristallisées. Aux îles Canaries , comme en 

Auvergne , dans le Millelgebirge en Bohême, 

comme an Mexique et sur les bords du Gange, 

la formation de trapp s'annonce par une 

disposition symétrique des montagnes , par 

des cônes tronqués , tantcrt ivjlés S tanlAt 

* Sûèengtèirge , décrit par M. ^^rw:* 



I^O LITRE I. 

accouplés, par des plateaux dont les deux 
exlrëmilés sont conronnces d'un mamelon. 
Toute la partie occidentale de Lancerote, 
que nous vîmes de près, porte le caractère 
d'un pays récemment bouleversé par des 
feux volcaniques. Tout est noir, aride, et 
dénué de terre végétale. Nous distinguâmes, 
avec la luuette, du basalte stratifié en couches 
assez minces et fortement inclinées. Plusieurs 
collines ressemblent au Montc-Novo, près 
de Naples, ou à ces monticules de scories 
et de cendres que la terre entr'ouverte a 
élevés dans une seule nuit au pied du volcan 
de Jorullo, au Mexique. En effet, l'abbé 
Viera ' rapporte qu'en i ySo , plus de la moitié 
de l'ile changea de face. Le Grand P^otcan, 
dont nous avons parlé plus haut, et que les 
habitans appelleni le volcan de Temanfaja j 
ravagea la région la plus fertile et la mietix 
cultivée; neuf villages furent alors entière- 
ment déirnits par le débordement des laves. 
Un violent tre,. blcment de terre avoit pré- 
cédé cette catitstropbe, -et des secousses éga- 
lement fortes se firent sentir pendant plusieurs 

' Fiera, Tom. II, p. 'lo'i. 



CHAPITHE I. 



années. Ce dernier plienomène est d'autant 
plus remarquable qu'il se présente rarement 
à la suite d'une irruption , lorsque les vapeurs 
élastiques ont pu se faire jour par le cra- 
tère, après l'écoiilemeiil des matières fon- 
dues, lia cime du grand volcan est une colline 
arrondie, qui n'est pas entièrement conique. 
D'après les angles de hauteur que j'ai pris 
à diiTérentes distances, son élévation absolue. 
ne paroît pas excéder de beaucoup 5oo loiscs. 
Les monticules voisins et ceux de l'Alegranza 
et dTsIa Clara ont à peine loo à i20 toises. 
On est surpris de ne pas trouver plus élevés 
des sommets qui, vus de la mer, offrent un 
spectacle si imposant. Mais rien n'est plus 
incertain que notre jugement sur la grandeur 
des angles, que souteudent les objets tout 
près de l'iiorizon. C'est d'après des illusions 
de ce genre , qu'avant les mesures ' faites 
par MM. de Churruca et Galeano . au cap 
Pilar, les navigateurs ont regardé comme 
extrêmement élevées les montagnes do détroit 
de Magellan et celles de la Terre de Feu. 



' Churruca, Apendice a la Rtlacion deî f^iofe ai 
Kagtitanea, ij%i, p. 76- 



L'île de Lancerote portoit jddis le nom de 
TiteFX)igotra.IjOTS^deYaTvivée des Espagnols, 
ses habitans se distinofuoient des autres Gana^ 
riens par les traces d'une civilisation plus 
avancée. Us avoient des maisons construites 
en pierres de taille, tandis que les Guanches 
de Ténériffe, en vrais Troglodytes, demeu-: 
roient dans les cavernes. A Lancerote, régnoit 
alors une institution ' très-singulière , et dont 
on ne trouve d'exemple que chez les Tibé- 
tains. Une femme avoit plusieurs maris, qui 
)Ouissoient alternativement des prorogatives 
dues à un chef de famille. Un mari n'étoit 
regardé comme tel que pendant une révo- 
lution lunaire ; et , tandis que ses droits étoiaoït 
exercés par d'autres , il restoit confondu avec 
les domestiques de la maison. On doit re- 
gretter que les religieux qui ont accompagné 
Jean de Béthéncourt , et qui ont tracé l'his- 
toire de la conquête des Ganaries, ne nous 

' * Fiera, Tom. I, p. i5o, 171 , 191. Du Halde ^ 
Descrîpt. de la Chine , Tom. IV, p. 46i. Au Tibet, 
la polyandrie est cependant moins commuùe qu'on 
ne le pense > et réprouvée par le clergé. Hakmann 
dans Pallas , Neue Nordiscke Beitrâge ^ B* III , 
p. 282. 



CHAPITRB U 1^3 

aient pas donné plus de renseignemens sur 
les mœurs d'un peuple chez lequel oo troowok 
des usages si bizarres. An quiozième siède^ 
111e de Lancerote renfennoit deux petits états 
distincts et séparés par une muraille, genre 
de monumens qui survivent aux haines jutio- 
Dales et qui se retrouvent en Ecosse, an 
Pérou et en Chine. 

Les vents nous forcèrent de passer entre 
les îles Àlegranza et Montana Clara. Comme 
personne , à bord de la corvette , n*avoit 
navigué dans cette passe, il fallut jeter la 
sonde. Nous trouvâmes fond à vingt-cinq et 
trente-deux brasses. Le plomb rapporta une 
substance organique , d'une structure si sin- 
gulière , que nous restâmes long-temps in- 
décis si c'éloit un Zoophjte ou une espèce 
de Fucus. Le dessin que j'en ai fait sur les 
lieux est gravé dans le second volume de nos 
Plantes éqidnoxiales\ Sur une tige bru- 
nâtre de trois pouces de long, s'élèvent iU:% 
feuilles rondes, lobées et crénelée* au Jk/t/I 
Leur couleur est d'un vert tendre : tW^ v/t.t 
membraneuses et striées ijpntu^, Vx UmhU^. 



I 

174 LIVRE I. 

des Adiantès et du Ginkgo Ifloba. Leur 
surface est couverte de poils roides et blan- 
châtres; avant leur développement, elles sont 
concaves et enchâssées les unes dans les autres. 
Nous nj observâmes aucun vestige de mou- 
vement spontané, aucun signe d'irritabilité, 
pas même en appliquant l'électricité galva- 
nique. La tige n'est pas ligneuse, mais d'une 
substance presque cornée , semblable à l'axe 
des Gorgones. L'azote et le phosphore avant 
été trouvés abondamment dans plusieurs 
plantes cryptogames, il auroit été inutile d'en 
appeler à la chimie pour décider si ce corps 
Organisé appartient au règne végétal ou au 
règne animal. La grande analogie qu'il oflFre 
avec quelques plantes marines à feuilles 
d'Adiante, surtout avec le genre Gaulerpa 
de M. Lamoureux, dont le Fucus prolifer 
de Forskâl est une des nombreuses espèces , 
nous a engagés à le ranger provisoirement 
parmi les varechs ou goémons , et à lui 
donner le nom de Fucus vitifolius. Les poils, 
dont cette plante est hérissée, se felrôuvent 
dans beaucoup d'autres Fucus'. La feuille, 

* Fucus lycopodiïdes, et F. hirsutus. 



CHAPITRE I. lyo 

examinée au microscope à l'instaot où l'on 
venoit de la retirer de l'Océan, ne présen- 
toit pas, il est vrai, ces glandes conglobées 
ou ces points opaques qui renferment les 
parties de la fructification dans les genres 
Ulva et Fucus ; mais combien de fois oe 
trouve-t-on pas des varechs dans un état tel 
qu'on ne distingue encore aucune trace de 
graines dans leur parenchyme transparent? 

Je ne serois pas entré dans ces détails, 
qui appartiennent à l'histoire naturelle des- 
criptive , si le Fucus à feuilles de viorne n'of- 
froit pas un phénomène physiologique d'ua 
intérêt plus général. Fixée sur un morceau 
de madrépore , cette algue marine végétoit 
au fond de l'Océan , à une profondeur de 
192 pieds, et cependant ses feuilles étoient 
aussi vertes que celles de nos graminées, 
D'après des expériences de Bouguer ', la 
lumière est affoiblie après un trajet de 180 

' Traité d'Optique, p. 256 , u64 et 34fl. Le Fucus 
Titifolius ne peut aToir été éclairé , à trente-deux 
brasses de profondeur, que par «ne lumière 2o3 fois 
plus forte que celle de la lune , et par conséquent 
égale à la moitié de l;i lumière que répand une chan- 
delle vue à un pied de distance. Or, d'après mes 



176 LIVRE I. 

pieds, clans le rnpport de 1 à 1/177,8. Le 
varech tie l'Alepranza présente par consé- 
quent lin nouvel exemple de plaintes qui 
végèlent dans une grande obscurité sans être 
étiolées. Plusieurs germes, encore enveloppés 
dans les bulbes des Lilîacées, l'embrjon 
des Malvacées, des Rliamnuïdfs, du Pîslacia, 
du Viscum et du Citrus , les branches de 
quelques plantes souterraines; enfin des vé- 
gétaux, transportés dans des mines où l'air 
ambiant contient de l'hydrogène ou une 
grande quantité d'azote , verdissent sans lu- 
mière. D'après ces faits, on est tenté d'ad- 
meltre que ce n'est pas seulement sous l'in- 
fluence des rayons solaires que se forme, 
dans les organes des végétaux, ce carbure 
d'hydrogène dont la présence fait paroître 
le parenchyme d'un vert plus ou moins foncé, 
selon que le carbonne prédomine dans le 
mélange '. 



cxpcriciices directes, le Lepitiium sativum ne verdil 
presque pas sensiblement à la lumière vive de deux 
lampes d'Argand, Voyez aussi Lambert, l'hotoaulna, 
p. 323. 

' Ces idées se trouvent en partie exposées dans mon 
; sur les phéaomèiiGS de l'étiolement ( Jour- 



CHAPITRE I. 177 

M. Turner^ qui a si bien fait connoftre la 
famille des varechs , et beaucoup d'autres 
botanistes célèbres , pensent que la plupart 
des Fucus que nous recueillons à la surface 
de rOcéan , et qui , par les 23 et 35 degrés 
de latitude et les 32^ de longitude , offrent 
au navigateur le spectacle d'une vaste prairie 
inondée, croissent primitivement au fond de 
iamer, et ne voyagent que dans l'état adulte, 
lorsqu'ils sont arrachés par le mouvement des 
flots. Si cette opinion est exacte ^ il faut conve- 
nir que la famille des algues marines présente 
de grandes difficultés aux physiciens qui per* 
sbtent à croire que toute absence de lumière 
doit produire un étiolement : car comment 
admettre que tant d'espèces d'Ulvacées et de 
Dietyotées à ti^es et à feuilles vertes, qui 
nagent sur la surface de l'Océan, aient vé- 
gété sur des rochers presque à fleur d'eau ? 
D'après des notions puisées dans un vieux 
routier portugais, le capitaine du Pizarro 
crut se trouver vis-à-vis d'un petit fort situé 

no/ de Phjêique, Tom. XL^ p. i5i), et daiks tatê 
AphorismÉM mr la pky%iologie chimique dtM pégétauM» 
(jPZemv FrnbergefuUy p. 179.) Vore* auiM Tranê. of 
ike Insk jieadêmj, ToL \in, p. :£o. 



178 Livitc r. 

au nord de TeguLse , cajvt;ile de l'île de 
Lancerole. On prit un rocher de basalte pour 
un chAleau : on le salua en arborant pavillon 
esp.ngnol, et l'on mit le canot à l'eau pour 
qu'un des officiers allât s'informer, près du 
commandant de ce prétendu fort, si des 
bâtimens an^lois croisoient d;ins ces parages. 
Notre surprise fut assez grande , lorsque 
nous apprîmes que la terre qu'on avoil 
regardée comme un prolongement de la côte 
de Lancerote étoil la petite île de la Graciosa , 
et qu'à plusieurs lieues à la ronde il n'y avoit 
pas un endroit habile. 

Nousproiitânies du canot pour reconnoître 
la terre qui fennoit l'enceinte d'une large 
baie. Rien ne snuroit exprimer l'émotion 
qu'éprouve un naturaliste lorsqu'il touche 
pour la première fois un sol qui n'est pas 
européen. L'attention est fixée sur un si 
grand nombre d'objets qu'on a de la peine 
à se rendre compte des iuipres;îions que l'on 
reçoit. A chaque pas ou croit trouver une 
production nouvelle; et, dans cette agitation, 
on ne reconnoît souvent pas celles qui sont 
les plus coiiminnes dans nos jardins de bota- 
nique et dans uos collections d'histoire natu- 




ifjfe. A CBife loise db b^ cOêr iiiMfi^ 9^^ 

^péckâ àlaL%Qie. €^<lkn^««i 
Û; mè 3 pcil h finte^^ et 3e 
m rodier. Les Ma^lelii>l» p;Mh 
avcepae à W fane«w. la ^ue ^ 
h conetle, le caoMMi tiré dans uft eftdr^t 
soElaire. nuis <|iKlf|iKlbb Tisité par des^ Civr* 
sûres bayrbsresqocs « le débarqueioeiit du 
cuiol , tout aToil inliandé ce pauxre ptMieiir. 
noos apprit que la petite De de la Gracias^ » 
a laqudle nous Tenions d^aKorder > ^loit 
séparée de Lancerote par un canal étroit 
a[^pelé £1 Rio. Il nous proposa de nous 
conduire au port de Los Colorados pour 
y prendre des informations sur le blocus de 
Ténériflfe; mais comme il assura eu même 
temps n'avoir aperçu, depuis plusieui^ se- 
maines, aucun bâtiment au large, le capi- 
taine résolut de continuer sa roule pour 
Saiote-Croix. 

La petite partie de Ttle de la Oraciotia 
que nous parcourûmes ressemble à res pro- 
montoires de laves que Ton observe pr<*s île 
Naples, entre Portici et Torre del ûreeo. Les 
rochers sont n us, dénués d'arbres et d'arbustes, 
leplus souvent sans trace de terreau. Quelques 



l8o LIVRÉ 1. 

plantes licLeneuses crustacées, des Vario- 
laires, des Lepraria et des Urcéolaires' se 
trouvent éparses sur le basalte. Les laves qui 
ne sont pas couvertes de cendres volcaniques, 
restent des siècles sans aucune apparence de 
végétation. Sur le sol africain , l'excessive 
chaleur et de longues sécheresses ralentissent 
le développement des plantes cryptogames. 
Les basaltes de la Graciosa ne sont pas 
colonnaires , mais divisés par couclies de 
lo à i5 pouces d'épaisseur. Ces couches 
sont inclinées sous un angle de 80 degrés 
au nord-ouest. Le basalte compacte alterne 
avec des couches de basalte poreux et de 
marne. La roche ne contient pas d'amphi- 
bole , mais de grands cristaux d'olivine lamel- 
kuse , qui ont un triple clivage '. Cette 

> Nous reconnûmes les Lecidea alrovîrcns, Urceo- 
larla ocellata, "U. diainart.i (à latjuelle M. Acharius 
rapporte le Liclien KœnîgH Je ma Flore de Freiberg), 
Parmelia parietina, P. tenello {Uclieii hispidiis "Wild.), 
P. atra , Lecldea fusco-alra, el plusieurs autres es- 
pèces qu'on aïoit cru jusqu'ici appartenir exclusi- 
vemeut au nord de l'Europe. { Avhai: Methodu» 
Lickenum , Tom. I, p. i5a. ) 

" B!mtriger Olivin. 



CHAPITRE I. 18 1 

substance se décompose très- difficilement. 

M. Haîij la regarde comme une variété da 

pjroxène. Le basalte poreux , qui fait tran- 

atioa an mandelstein y a des cavités alongées 

de deux jusqu'à buit lignes de diamètre ^ 

tapissées de calcédoine, et enchâssant des 

fragmens de basalte .compacte. Je n'ai pas 

dbservé que ces cavités fussent dirigées dans 

un même sens , ni que la roche poreuse fût 

superposée sur les couches compactes, comme 

cela anîve d^s les courans de laves de l'Etna 

et du Vésuve. La marne*, qui alterne plus 

de Cent fois avec le basalte , est jaunâtre , 

firiable par décomposition, très -cohérente 

dans l'intérieur, et souvent divisée en prismes 

irréguliers analogues aux prismes trapéens. 

Le soleil déccJore leur surface comme il 

blandiit plusieurs schistes en débrâlant un 

principe hjdrocariiure qui paroit combiné 

avec les terre s . La marne de la Graciosa 

ooDbent beaucoup de chaux , et fait vivement 

effervescence avec l'acide nitrique , même 

sur des points où elle se trouve en cotitSKt 

ivec le basalte. Ce fait est d'autant plus 



l8u LITRE I. 

remarquable que cette substance ne remplit 
pas les fentes de la roche, mais que ses 
couches sont parallèles à celles du basalte : on 
doit en conclure que les deux fossiles sont 
d'une même formation et ont une origine 
commune. Le phénomène d'une roche ba- 
saltique, renfermant des masses de marne 
endurcie et fendillée en petites colonnes, 
se retrouve d'ailleurs dans le Mittelgebirge 
en Bohème. En visitant ces contrées , en 1 792, 
M. Freiesleben' et moi, nous avons même 
reconnu dans la marne du Sliefelberg l'em- 
preinte d'une plante voisine du Cerastium 
ou de l'Alsîne. Ces couches de marne que 
renferment les montagnes Irapéennes, sont- 
elles dues à des éruptions boueuses , ou doit- 
on les considérer comme des dépôts aqueut 
qui alternent avec des dépôts volcaniques? 
Cette dernière hypothèse paroît d'autant plus 
forcée, que, d'après les recherches de sir 
James Hall sur l'influence que la pression 
exerce dans les fusions, l'existence de l'acide 
carbonique dans des substances que ren- 
ferme le basalte, n'olFre rien de surprenant. 

risc/ies Journal ) i?92] p. 3i5. 



CHAPITRE I. lB3 

fiéaucoiip de laves du Vésuve préseutent 
des phénomeDes analogues. Dans la Lom- 
bardîe^ entre Yicenza et Abano, où le cal* 
Caire du Jura contient de grandes masses de 
basalte^ j'ai vu ce dernier faire effervescence 
avec lès acides là où il touche la .roche 
calcaire. 

Nous n'eÀmes pas le loisir d'atteindre le 
sommet d'une colline trës-remarquable ^ en 
ce que son pied est formé de bancs d'argile 
sur lesquels reposent des couches de basalte, 
exactement comme dans une montagne de 
la Saxe ' qui est devenue célèbre par les 
disputes des géologues volcanistes et neptu* 
nieos. Ces basaltes étoient recouverts d'une 
substance mamelonéé que j'ai vainement 
cherchée au Pic de Ténériffé, et que l'on 
désigne sous les noms de verre volcanique , 
verre de Miiller ou Hyalite : elle fait le 
passage de l'opale à la calcédoine. Nous en 
détachâmes avec peine quelques beaux 
échantillons ; il fallut laisser intactes des 
masses qui avoient 8 à lo pouces en carré. 
Je n'ai jamais vu en Europe de si belles 

' Sckeibenberger Hiïget. 



]84 LIVRE I. 

H^alites qu'à l'ile de la Gracîosa et sur le 
rocher porphyritique appelé el Pehol de los 
haTiosj au bord du lac de Mexico. 

Il y a sur le rivage deux sorles de sable : 
l'un est noir et basalliqiie, l'autre blanc et 
quartzeux. Dans un endroit exposé aux 
rayons du soleil, le premier fit monter le 
thermomètre à Si^jZ (4'" R-)' et le second 
à Uo° ( 02" R. ). La température de l'air, 
observée à l'ombre, était de 27", 7, ou de 
7'',5 plus élevée que celle de l'air de mer. 
Le sable quartzeux contient des fragmens 
de feldspath. II est rejeté par la mer , et 
forme, pour ainsi dire , à la surface des 
rochers, de petits îlots sur lesquels végètent 
des plantes grasses et salines. Des fragmens 
de granité ont été observes à Ténériffe: 
l'île de la Gomère, d'après des renseigne- 
mens qui m'ont été fournis par M. Brous- 
soiiel, renferme un noyau de schiste micacé: 
le quartz, disséminé dans le sable que nous 
avons trouvé sur les plages de la Gracîosa , 
est une substance étrangère aux laves et 
aux porphyres trapécns qui ont tant de 
rapports avec les produits volcaniques. 
L'ensemble de ces faits paroît prouver qu'aux 



CHApmiE I. i85 

fles Canaries , comme dans les Andes de 
Quito ,• en Auvergne , en Grèce et dans la 
majeure partie du globe , les feux souter- 
rains se sont fait jour à travers des roches 
de formation primitive. En indiquant dans 
la suite un grand nombre de sources chaudes 
que nous avons vu sortir du granité, du 
gneiss et du schiste micacé, nous aurons 
occasion de revenir sur cet objet qui est 
un des plus importans de Thistoire phjsiqiie 
du globe. 

Rembarques au coucher du soleil, nous 
mîmes à la voile avec une brise trop foîble 
pour continuer notre route à TénérifFe. La , 
mer étoit calme ; une vapeur roussâtre 
couvroit l'horizon et sembloit agrandir les 
objets. Dans cette solitude, au miUeu de 
tant d'îlots inhabités^ nous jouîmes pendant 
long-temps de l'aspect d'une nature sauvage 
et imposante. Les montagnes noires de la 
Graciosa présentoient des murs taillés à pic 
de cinq ou six cents pieds de hauteur. 
Leurs ombres, projetées sur la surface de 
rOcéan, donnoient au paysage un caractère 
lugubre. Semblables aux débris d'un vaste 
édifice , des rochers de basalte sortoient da 



l8G . LITBE I. 

sein des eatix. Leur existence nous rappe- 
loit cette époque reculée où des volcans 
sous- marins donnèrent naissance à de 
nouvelles îles ou déchirèrent les continens. 
Tout ce qui nous environnoit de près 
semblolt annoncer la destruction et la stéri- 
lité; mais au fond de ce t;ibleau les côtes 
de Laneerote offroient un aspect plus riant. 
Dans une gorge étroite , entre deux collines- 
couronnées de touffes d'arbres épars, se 
prolongeoit un petit terrain cullivé. Les 
derniers rayons du soleil éclairoient des 
blés prêts à être moissonnés. Le désert 
même s'anime dès qu'on y reconnoît les 
traces de la main laborieuse de l'homme. 
Nous essayâmes de sortir de cette anse 
par la passe qui sépare l'Alegranza de 
Montana Clara, et par laquelle nous étions 
entrés sans difficulté, pour débarquer à la 
pointe septentrionale de la Graciosa. Le 
vent ayant molli beaucoup , les courans 
nous portèrent très-près d'un écueil sur 
lequel la mer brîsoit avec force, et que 
les cartes anciennes désignent sous le nom 
d'Enfer ou Injîemo. Gomme nous aper- 
çûmes cet écueil à deux eacablures de 



CHAriTKB I. 187 

TaTant de la corrette, nous reconnâmes 
qae c'esl noe bntte de lare de trois à <|oalre 
toises de haotenr y remptie de caTités et coo- 
▼erte de scories qui ressemblent au coai 
OQ à la masse spongieuse de la houille 
désoufirée. On peut supposer que le rocher 
de llnfiemo ' , que les cartes plus récentes 
appellent la Roche de t Ouest ( Roca del 
Oeste), a été soulevé par le feu Tolcanique. 
n se peut même qu'il ait été jadis beaucoup 
plus élevé ; car Ylle JVem^ des Açores , 
qu'on a vue sortir de la mer à plusieurs 
r^rises , en i638 et 17 19 9 avoit atteint 
jusqu'à 354 pieds ( ii5" ) de hauteur ' lors- 

' Borda, Voyage de la Flcre^ Tom. I, p. 386. 
BorySaifU-Fincent , Essai sur les îles Fortunées, p. 20w 
Je dois &ire observer ici qae cet écueîl se trouve déjà 
marqué sur la célèbre carte vénitienne d'Andréa 
Bianco^ mais que le nom à^Infiemo j est donnée 
comme dans la plus ancienne carte de Picigano , cons* 
truite en 1367 , à Pile de Ténériffe^ sans doute parce 
^ les Guancbes regardoîent le Pic comme l'entrée 
de V Enfer, Jhoks ces mêmes parages^ une; île reparut 
eu 1811. 

• En 1720, cette fle étoît visible à 7 ou 8 lieues 
de distance. Mém, de r Académie, 1723, p. la. Fleu-- 
rieu, Voyage dç VIsia , Tom. I, p. 565. 



LIVRE I. 



qu'elle disparut enlièrement en 1723 , et 
que l'on trouva qualre-vingls brasses de fond 
à l'endroit qu'elle avoit occupé. L'idée que 
j'énonce sur l'origine de la butte basaltique 
de rinfierno, se trouve confirmée par un 
phénomène qui a été observé , vers le 
milieu du dernier siècle , dans ces mêmes 
parafées. Lors de l'éruplion du volcan de 
Temanfaya , deux collines pyramidales de 
laves lilhoïdes s'élevèrent du fond de l'Océan , 
et se réunirenl peu à peu à l'île de Lancerote. 
La foiblesse du vent et les courans ne 
nous permettant pas de débouquer par le 
canal de l'Alegranza, on résolut de passer 
la nuit à courir des bordées entre l'Isla 
Clara et la Roche de l'Est. Cette résolutiou 
manqua de nous devenir funeste. Il est très- 
dangereux de se trouver en calme près de 
ce dernier rocher, vers lequel le courant 
porte avec une force extraordinaire. A 
minuit , nous commençâmes à sentir les effets 
de ce courant, La proximité des masses 
pierreuses , qui s'élèvent perpendiculaire- 
ment au-dessus des eaux, nous otoit le peu 
de vent qui souffloil: la curvctLe ne gouver- 
Doit presque pas , et à chaque instant on 



CHAPITRE I. l8g 

craigooit de toucher. Il est difficile de 
concevoir comment une butte basaltique, 
isolée au milieu de la vaste étendue de 
rOcéan, peut causer un mouvement si con- 
sidérable dans les eaux. Ces phénomènes, 
bien dignes de l'attention des physiciens, 
sont cependant très-connus des marins : ou 
les observe d'une manière très-effra jante 
dans la mer du Sud^ surtout dans le petit 
archipel des îles Galapagos. La différence 
de température cpii existe entre le fluide 
et la masse des rochers ne peut expliquer 
la direction qu'aflectent ces courans ; et 
comment admettre que Teau s'engouffre à la 
base de ces écueils qui souvent ne sont pa» 
d'origine volcanique j et que cet engouffre-' 
ment continuel détermine les molécules 
d'eau à remplacer le vide qui se forme '. 

' On est surpris de lire dans mi ocrrrage d^^ilkurs 
trës- utile qui se Vtowwt entre les mains de Umn les 
marins , dans la neiirieme édition do PrcUical Ncu^i" 
gator de Hamilion Mottre^ p. 200, que cVftt par JVfTet 
de Patlraction des masies oo de la graTÎtati'/n uni- 
Terselley <{a'iin Taisceau s'éloigne difTicilement ries 
côtes, et que la chaloupe d'une frégate est attirée par la 
frégate même. 



1^ LIVRE I. 

Le vent ayant fraîchi un peu le 18 au 
matin, nous réussîmes à passer par le canal. 
Nous noris approchâmes beaucoup une 
seconde fois de \Jnfierno, et nous recon- 
nûmes de grandes crevasses par lesquelles les 
fluides gazeux se sont probablement fait jour 
lors du soulèvement de cette butle basaltiqne. 
Nous perdîmes de vue les petites îles de l'Ale- 
granza , Montana Clara et Graciosa , qui 
paroissent n'avoir jamais été habitées par les 
Guanchcs. On ne les fréquente aujourd'hui 
que pour y recueillir de l'orseille ; cette 
production est cependant moins recherchée 
depuis que tant d'autres plantes licheneuses 
de l'Europe boréale offrent des matériaux 
précieux pour la teinture. Montana Clara est 
célèbre par les beaux serins qu'on y trouve. 
. Le chant de ces oiseaux varie par peuplades , 
comme celui de nos pinçons qui souvent 
n'e,stpasle même dans deux cantons voisins. 
Monlafia Clara nourrit aussi des chèvres, ce 
qui prouve que l'intérieur de cet îlot est 
moins aride que les cotes que nous avons 
observées. Le nom d'Alcgranza est formé sur 
celui de La Joyeuse , que donnèrent à cette 
terre les premiers conquérans des Canaries, 



CHiiPiTaE I* 191 

deux barons normands , Jean de Béthencourt 
el Gadifer de Salle. Cétoil le premier point 
auqoel ik ayoient abordé* Après avoir 
demeuré plusieurs jours à la Graeiosa » dont 
nous avons examiné une petite partie» ik 
Qoncurent le projet de s'emparer de Ttle 
voisine de Lancerote , où Guadarfia > lé 
souverain des Guanches, les accueillit avec 
cette même hospitalité que Gortez trouva 
dans le palais de Montézuma. Le roi pas* 
teur, qui n'avoit d'autres richesses que ses 
chèvres, fut aussi lâchement trahi que le 
sultan mexicain. 

Nous longeâmes les côtes de Lancerote , 
de Tile Lobos et de Fortaventure. La seconde 
de ces îles paroit avoir tenu andennement 
aux deux autres. Cette hypothèse géologique 
a déjà été énoncée au dix-septième siècle, 
par un religieux franciscain, Juan Galin^lo* 
Gel écrivain supposa même que le roi Jol^ 
n'avoit nonuné que «x ile» Can^ri^, p^ce 
c[ue, de son temps , tr€«s d'en lie t]le% nUftHui 
contiguës. Sam admetUt: cett^ hj\ttAJitmt 
peu probaUe, de wtm» yt^j/iÇt4\A^^ *mi 
cru reconnoilie^ dU» IVid^ij^ iU^t/49à»- 
ries, les deux fle» i^ot^jM^ , U Snén^t 



ig2 LIVRE I. 

rOmbrios, la Caiiam et la Copraria dés 
anciens '. 

L'horizon étant brumeux , nous ne pûmes, 
pendant toute la traversée de Lancerote à Té- 
ïiérifTe, découvrir la cime du Pic de i eyde. 
Si la hauteur de ce volcan est de igoS toises , 
comme l'indique la dernière mesure tri^ono- 
métrique de Borda, sa cime doit être visible 
à une distance de 43 lieues marines, en sup- 
posant l'œil au niveau de l'Océan et une ré- 
fraction éçale à 0,079 *^^ '■' distance. -On a 
révoqué en doute ' que le Pic ait jamais été 
aperçu dans le canal qui sépare Lancerote de 
Fortaventure, et qui est éloigné du volcan, 
d'après la carte de Varela, de a" 29', ou de 
près de So lieues. Ce phénomène paroît cepen- 
dant avoir été vérifié par plusieurs officiers 
de la marine royale d'Espagne : j'ai eu entre 
les mains, à bord de la corvette le Pizarro, 
un journal de route dans lequel il étoit marqué 
que le Pic de Ténériffe avoit été relevé à 

' Gosi^etiii, Bevh. sur la Gèogr. des anciens, 
Tom. I , |). l'iG, i5f^, , i63. 

- /'oyuge de la Flore , Tom. I, |>. 38o. Mon rhro- 
nonii'lrc m'adnnoé, la cole nonj-oucst de I.aiicerole, 
de j5"5a' 10" à l'ouest du uicridieu de Paris. 



CHAPITRE I. 19s 

i35 milles de distance > près le cap mérî- 
dional de Lancerote, appelé Pichiguera. Soo 
sommet se présenta encore sous un angle 
assez considérable pour faire croire à Tob- 
servateur , Don Manuel Baruti , que le volcan 
auroit pu être visible 9 milles plus loin. G'étoit 
au mois de septembre, vers le soir, et par un 
temps très -humide. En comptant i5 pieds 
pour Téiévation de l'œil, je trouve que, pour 
rendre compte de ce phénomène, on doit 
supposer une réfraction égale à 0,1 58 de Tare, 
ce qui n'est pas très-extraordinaire pour la 
cône tempérée. D'après les observations du 
général Roj , les réfractions varient en Angle* 
terre de ts k {; et s'il étoit vrai que sur les 
côtes d'Afrique elles atteignissent ces limites 
extrêmes, ce dont je doute beaucoup, le Pic, 
dans de certaines circonstances, pourroit être 
visible sur le pont d'un vaisseau, jusqu'à la 
distance de 61 lieues marines. 

Les navigateurs qui ont beaucoup fréqucnUf 
ces parages, et qui réfléchissent sur le^ c^u%ft% 
physiques des phénomènes , sont ^urpri^ qui5 
le Pic de Tejde et celui de^ A/ore* ' i^/usui 

' La hanUsar de ce Vie eft, isàftttt Fl/rwrî^u . *\^ 
1100 t-; d'arts Ferrer, de ï'jSH t j d'afr*^ 7 '^t'^» , 

I. *5 



194 LIVRE I. 

quelquefois visihles de irès-loïn, quand d'autres 
fois on ne les découvre pas à des distances 
beaucoup moins grandes , quoique le ciel 
paroisse serein, et que l'horizon ne soit pas 
embrumé. Ces circonstances sont d'autant 
plus dignes de fixer l'attention du physicien, 
que plusieurs bàlimens , à leur retour en 
Europe, attendent avec impatience la vue de 
ces ntontagnes pour rectifier leur point en 
longitude , et qu'Us s'en croient plus éloignés 
qu'ils ne le sont effeclivement , lorsque , 
par un temps clair , ils ne les aperçoi- 
vent pas à des distiinces auxquelles les 
angles soutendus devroient dé-jà être très- 
considérables. La constitution de l'almos- 



(le ia6o t. : mais ces mesures ne soiil que des évalua- 
tions par approsiinntion. Le capitaine du Pizarro, 
Don Manuel Cagîgal, m'a prouvé, par son ioumal, 
qu'il a relevé le Pic des Açores à 3? lieues de distance, 
à une époque uù il étoit sur de sa latitude , au moins à 
deuï mlimtes près. Le volcan fut relevé au S. 4" E. , 
de sorte que l'erreur en. longitude ne pouvoit iniluer 
qu'insensiblement sur l'évaluation de la distance. Ce- 
pendiinll'angle que soulendolt le Pic des Açores étoit 
si grand, que M. Cngigal pqnse que ce volcan doit èire 
visible à plu; de 4n ou 'ia lieues. La distance de 07 lieues 
suppose une élévation de i43i toises. 



CHAPITRE I. I9ÎÎ 

pbèrc influe sincjulièrement sur la visibilité 
des objets éloignés. On peut admettre ea 
général que le Pîc de TénérilTe s'aperçoit 
assez rarement de très-loin par les temps 
chauds et secs des mois de juillet et d'août, 
et qu'au contraire on le découvre à des dis- 
tances extraordinaires dans les mois de janvier 
et de février, quand le ciel est léfjèremçnt 
couvert, et immédiatement après une pluie 
abondante, ou bien peu d'heures avant. Il 
parott que la transparence de l'air aug-mente 
prodigieusement, comme nous l'avons déjà 
remarqué plus haut, lorsqu'une certaine quan- 
tité d'eau eSt uniformément répandue dans 
l'atmosphère. D'ailleurs il ne faut pas être 
surpris que le Pic de Tcyde soit plus rarement 
visible de très-loin , que les sommets des Andes 
que j'ai eu occasion d'observer si long-temps. 
Ce Pic , moins élevé que les parties de l'Atlas 
auxquelles est adossée la ville de Maroc, n'est 
pas, comme elles ', couvert de neiges per- 
pétuelles. Le Pitnn, ou Pacn de Suc/'e, qui 
termine le Pic, réfléchit sans doute beaucoup 

f * D'après Haest et /iiiitso/j, Account of the cmpirt; 
ff Marocco, p. 'j3, 

i3* 



ig6 tivRE I. 

de lumière, à cause de la couleur blanchâtre 
de la pierre ponce rejetée par le cratère ; 
muis la hauteur de ce petit cône tronqué ne 
forme qu'un vingt-deuxième de la hauteur 
totale. Les flancs du volcan sont couverts 
ou de blocs (!e laves noires et scorifiées, ou 
d'une végétation vigoureuse , dont les masses 
renvoient d'autant moins de lumière, que les 
feuilles des arbres sont séparées les unes des 
aulres par des ombres d'une étendue plus 
considérable que celle de In partie éclairée. 

Il résulte de là , qu'abstraction faite du 
Piton , le Pic de Teyde appartient à ces mon- 
tagnes que, d'après l'expression de Bouguec, 
on ne voit, à de grands éloignemens, que 
d'une manière négative j parce qu'elles inter- 
ceptent la lumière qui nous est transmise des 
limites extrêmes de l'atmosphère, et que nous 
nous apercevons de leur existence seulement 
à cause de la différence d'intensité qui subsiste 
entre la lumière aérienne qui les entoure et 
celle que renvoient les molécules d'air placées 
entre la montagne et l'œil de l'observateur '. 

' TViïf/i; cfO/jiiyi/e, p. 365. 11 suit des expériences ■ 
du mi'me auteur que, pour que celte différence d^ 
Tienue sensible pour nos organes et que la moutagiUi - 



CHAPITltB l. \tff 

En s'âoignaiit de Fde de Tënérifl^^ le Piton 
mi Fûn de Sacre se Toît assex lon^tem{)% 
d'oM numière positix^ , parce quHI n^fltk^lut 
«ne faimière blanchâtre et qu*il se détache dti 
del en dair ; mais ce cône n'ayant que Sa ti\ht% 
d'élévation sur 4û toises de largeur h son 
sommet, oo a agité récemment la question * dft 
savoir si par la petitesse de sa masse il peul 
être visible^ à des distances qui excèdent 
4o lieues, et s'il n'est pas plutôt probable» ([ne 
les navigateurs ne distinguent le Pio , cumule» 
un petit nuage au-dessus de l'hori/on i c|ue 
lorsque la base du Piton commci)06 h h y mon» 
trer. Si Ton admet que la largeur itioyonnd 
du Pain de Sucre est de loo toises , on trouva 
que le petit cône , à 4o lieues de dUtancci i 
soutend encore, dans le sens hori/^ululi un 
angle de plus de trois minutes» Ct't ari((lr) t^ni 
assez considérable pour rendre un ol>j«tt vi« 
sible; et si la hauteur du Pilon (txi'Muii dft 
beaiicoup la largeur de sa hune , Târif^la , tlant^ 
le sens horizontal, pourroit être |ilu4 p^tif; 

piûsie se détacher dhtim^Utm^jU ^ur l« ci«^i , untt i\t*n 
bmifcres doit être au moitié d^un boixMui'mu^ |>lii« 
Urte que Vautre, 
' f^V^^ ^ MarcîuMnd , Tina. II ; p- lo* 



içjS i-ivni: I. 

encore , sans que l'objet cessât de faire une 
impression sur nos organes : car des obser- 
vatioDS mie roni étriqués ont prouvé que la 
limite lie la vision n'est d une minute que lors- 
que les dimensions des objets sont les mêmes 
dans tons les sens. On distingue do loin, à la 
simple vue, des troncs d'arbres isolés dans 
une vaste plaine , quoique l'angle soutendu 
soit au-dessous de 25 secondes. 

Comme la visibilité d'un objet qui se dc- 
tacbe en brun dépend des quantités de lumière 
que l'œil rencontre sur deux lignes, dont l'une 
aboutit à la jnontagne , et dont l'imlre se pro- 
longe jusqu'à la surl'ace de l'Océan aérien, 
il en rtsnlte que plus on s'éloigne de l'objet, 
et plus aussi devient petite la différence entre 
la lumière de l'atmosphère circonvoisine et 
celle des coucbes d'air placées devant la mon- 
tagne- C'est pour cela que des cimes moins 
élevées, lorsqu'elles commencent à paroître 
au-dessus de l'horizon , se présentent d'abord 
sous une teinte plus obscure que les cimes 
que l'on découvre à de Ircs-grands éloigne- 
ïiiens. De nu'nie la visibilité des montagnes 
qui ne s'aperçoivent que d'une manière né- 
gative, ne dépend pas uniqueiiienl de l'état des 



hzsscs irgioBS de Taîr . anso^pdfes se borscnl 
DOS <i h&Ci i JÛ ops mgteoroiogiyies , mabaossi 
de sa tratt^arenoe et de sa constitiilioQ pkj- 
siqne dans les parties les plas éleTees : car 
1 ima^ se détadie d^aatant mieiix que la lu- 
ndèfe aérienne qot Tient des Hmiles de 1 al* 
moqphère a été originaifemenl plos intense» 
ou bien qn'dle a éproové moins de perte 
dans scm trajet. Cette considération e^qidicpe 
jusqu'à nn certain point pourquoi > par un 
cid également serein , Tétat du thermomètre 
et de l'hygromètre étant exactement le même 
dans fair qui aToisine la terre, le Pic est 
tantôt Tisible, tantôt invisible aux naTigateurs 
qui en sont également éloigoés. H est même 
probable que la chance d'apercevoir ce volcan 
ne seroit pas plus grande , si le c5ne de cendre 
au sommet duquel se trouve Fouverture du 
cratère égalent , comme au Vésuve , le quart 
de la hauteur totale. Ces cendres, qui sont 
de la pierre ponce réduite en poussière , ne 
réfléchissent pas autant de lumière que la 
neige des Andes. Elles font que la montagne, 
vue de très^oin, sans se détacher en clair, 
se détache beaucoup plus foiblement en brun. 
Elles contribuent, pour ainsi dire, à égaliser 



200 I.IVIIE I. 

les portions de lumière aérienne dont la dif- 
férence varialile rend l'objet plus ou moins 
distinctement visible. Des montajjnes cal- 
caires, dénuées de terre végétale, des som- 
mets couverts de sable granitique, les hautes 
savanes des Cordillères ' , qui sont d'un jaune 
doré, se distinguent mieux sans doute à de 
petites dislances que les objets qui se voient 
d'une manière négative; mais la théorie in- 
dique une certaine limite an delà de laquelle 
ces derniers se détaclient plus distinctement 
sur la voûte azurée du ciel. 

Les cimes colossales de Quito et du Pérou, 
élevées au-dessus de la limite des neiges ]>er- 
pétuelles , réunissent tous les avantages qui 
peuvent les faire apercevoir sous des angles 
très-pelils. Nous avons vu plus haut que le 
sommet arrondi du Pic de Ténériffe n'a que 
près de cent toises de diamètre. D'après les 
mesures que j'ai faites à Riobamba, en iSo.'î, 
le dôme du Cliimborazo, i53 toises au-dessous 
de sa cime , par conséquent dans un point 

' Los Pfjonales , Af. pajii, paille. C'est le nom de 
la région des graminées qui entoure la zone des neiges 
jierpcluelles. Uùogr. ^Vjj. ,ji. jo. 



CHAPITRE I. 20 i 

qui est de i3oo toises plus élevé que le Pic , a 
encore 673 toises (1312") de largeur. De 
plus^ la zoûe des neiges perpétuelles forme 
le quart de la hauteur de la moutagne; et la 
base de cette zone, vue du côté de la mer 
du Sud^ occupe une étendue de 3437 toises 
(6700"* ). Mais y quoique le Cbimborazo soit 
de f plus élevé que le Pic , on ne le voit 
cependant 9 à cause de la courbure de la terre, 
que de 38 milles et un tiers plus loin K L'éclat 
duquel brillent ses neiges^ lorsqu'au port de 
Guajaquil , à la fin de la saison des pluies , il 
se montre à l'horizon 1 peut faire supposer 
qu'on doit Tapercevoir de très-loin dans la 
mer du Sud. Des pilotes très-dignes de foi 
m ont assuré l'avoir vu près du rocher du 
MuertOy au sud-ouest de File de la Punà, à 
une distance de 47 lieues "". Chaque fois qu'il 

* Sans aroir égard à la réfraction , le Pic de Téné- 
riffe (1904 toises) est visible à i" 5f 22"; le Mont- 
Blanc (24^0 toises) k 2^ i3' o'^ , et le Chîmboraso 
(355o toises) à 2® 35' 3o". La réfraction moyenne 
supposée de -^ n'augmente cette dislance, pour le 
Cbimborazo^ que de i4 milles. 

*. D'après les cartes du Deposito Jiydrografico de 
Madrid. En admettant 1^ i3' 32'^ pour la différence 



20-2 LIVRE I. 

a été vu de plus loin, les observateurs, in- 
certains de leur lonLjitude, n'ont pas été en 
étut de fournie une donnée exacte. 

La lumière aérienne, projetée sur les mon- 
tagnes, augmente la visibilité de celles qui se 
voient positivement ; son énergie diminue au 
contraire la visibililé des objets qui, comme 
le Pic de Ténérîffe et celui des Açores , se 
détachent en brun. Bouç^-uer, en se fondant 
sur des consitlé rations théoriques , a trouvé 
que, d'après la constitution de nuire atmos- 
phère, les montagnes, vues négativement, 
ne peuvent s'apercevoir à des dislances qui 
excèdent 5iï Heues '. Il est important de faire 

(les méridiens (!t; Guav.iquil et clp Oinh». te!le que je 
l'iii trouït'e (06... mIi: , 'i\mi. Il, |). ai^S, ^Sj et 
433), le Mucrto est un peu moins tdoigné du Cliim- 

' SI , d'après la tlii'orie de Bougucr { Trailé d' Op- 
tique, p. 3Co) , l'inlcnsilé de la couleur aérienne , que 
ràlitcliit la totalité de i'ittmosplière vers riiorïzon, 
dans une direction déterminée, est égale à -iVoVV '!■ » 
J'iritensiLé, aprïis un trnjet de 3o lieues mannes , se- 
■""'■ TzJ!u:i 1- Celte ([unntité dilfère de l'oulre d'uu 
peu plus dey;, tandis iju'aprèg un trajet de 45 lieues, 
l'intensité de la eoLileiir acrîenue eift déjà de T^-z-h l' i 



CHAPITRE I. 2o5 

observer ici que Texpérience est contraire jt 
ces calculs. Le Pic de TéaériflFe a été souvent 
vu de 36 , de 38 ^ et même de I\o lieues. De 
plus y éxùs les atlérages des îles Sandwich y la 
cime de Mowna-Roa ', à une époque où elle 

ce qui diffère trop peu de i^— q. pour que la diffé- 
rence puisse être sensible pour nos organes. D'après 
ces données , on trouve, pai* interpolation, que la vi- 
abilité devroît déjà cesser à 35 lieues de distance. 

*■ La baoteur de Mowna-^oa est, d'après Marcband^ 
de plus de 2698 toises -y d'après King , elle est de 
25/7 toises ; mais ces mesures, malgré leur accord 
accidentel, ne se fondent pas sur des moyens très-pré- 
cis. C'est un pbénomène assez extraordinaire que de 
▼oir se dépouiller entièrement de se^ neiges une cime 
placée par les 19^ de latitude, et dont l'élévation ex- 
cède probablement 25oo toises. La forme très-aplatie 
de Mowna-Roa , la Mesa des anciennes cartes espa-* 
gnôles, son isolement au milieu de l'Océan, et la fré- 
quence de certains vents qui , modifiés par le courant 
ascendant, soufQent obliquement, peuvent en être les 
causes principales. 11 est difficile de croire que le capi- 
taine Marcl^nd se soit trompé de beaucoup dans l'é- 
Taluatîon dé la distance à laquelle il vit, le 10 octo- 
bre 1791 , le sommet de Mowna-Roa. Il n'a voit quitté 
l'île d'O-Whyhee que le 7 au soir; et, d'après le mou- 
vement des eaux et les observations lunaires du 19,1! 
est probable que la distance excédoit même 53 lieues. 



2o4 L1VHB I. 

éloit déponrvue de neiges, a été aperçue rasant 
l'horizon, dans un éloignement de 53 lieues. 
C'est l'exemple le plus frappant que l'on con- 
noisse jusqu'ici de la visibilité d'une mon- 
tagne ; et, ce qui est d'autant plus reiiiarquable, 
c'est uu objet vu négativement qui ofi're cet 
exemple. 

J'ai cru devoir réunir ces considérations à 
la fin de ce chapitre, parce qu'en touchant 
de près un des problèmes de l'optique les 
plus importans, celui de raffoibhssement de 
la lumière par son passageà travers les couches 
de l'atmosphère, elles offrent en même temps 
quelque utilité pratique. Les volcans de Té- 
ncriflè et des Açores, la Sierra Nevada de 
Sainte-Marthe , le Pic d'Orizaba , la Silla de 
Caracas, Mowna-Roa et le Mont-Saint-Élie, 
isolés dans la vasle étendue des mers, ou 
places sur les côtes des contînens, servent de 
balises pour dii iger le pilote qui est dépourvu 

D'ailleurs un navigateur espérimenté , M. de Fleorieu , 
rapporte que, dans un cioignemeut de 35 ou 3G lieues, 
le Pie de Ténériffe est visible , même par un temps qui 
n'est pas parfaitement clair, ( Voyage de Marchand , 
Tom. I,p. 4o8et427;Tom. II, p. 100178}. 



CHAPITRE I. 205 

de moyens propres à déterminer la position 
du vaisseau par Inobservation des astres ;^ 
tout ce qui a rapport à la visibilité d.e ces 
balises naturelles intéresse la sûreté de la 
navigation. 



»m0i 



CHAPITRE II. 

Séjour à Ténér'iffe. — Voyage de Sainte- 
Croix à l'Orotava. — Ij^jccursion a la 
cime du Pic de Tejde. 

Depuis notre départ delà Graciosa, l'horizon 
resta si embrumé que , malgré la hauteur 
considérable des montagnes de Canarie ', nous 
n'eûmes connoissance de cette île que le i8 
juin au soir. C'est le grenier de l'archipel 
des îles Fortunées ; et, ce qui est un phéno- 
mène bien remarquable pour une région 
située au-delà des limites des tropiques, on 
assure que , dans quelques cantons , on y 
obtient deux récolles de froment par an , 
l'une en février, et l'autre en juin ". Canarie 
n'a jamais été visitée par un minéralogiste 
instruit; cette île en seroit cependant d'autant 

' I.'ila de la Gran Canaria. 

'' Ledrii , Voyage h Ténèriffe , Tom. J, p. 3/. 



CHAPITRE IT. * 207 

plus digne 9 que la physionomie de ses mon- 
tagnes , disposées par chatnes parallèles, 
m'a paru différer entièrement de celle que 
présentent les cimes de Lancerote et de 
Ténériffe, Rien de plus intéressant pour le 
géologue, que d'observer les rapports dans 
lesquels se trouvent, sur un même point du 
globe , les terrains volcanisés avec les terrains 
primitifs et secondaires. Lorsque les îles Cana- 
ries auront été un jour examinées dans toutes 
les parties qui composent le système de ces 
montagnes, on reconnoîtra qu'on s'est trop 
hâté en regardant le groupe entier comme 
soulevé par Taction des feux sous-marins. 

Le 19 au matin , nous découvrîmes la 
pointe de Naga * ; mais le pic de Ténériffe 
resta encore invisible. La terre se dessinoit 
mal : une brume épaisse en enveloppoit 
toutes les formes. A mesure que nous ap- 
prochâmes de la rade Sainte -Croix, nous 
remarquâmes que celte brume , poussée 
par le vent, s'approchoit de nous. La nier 
étoit fortement aj^ilée , conmie elle Test 
presque toujours dans ces parages. Nous 

* Punta de Naga , Anaga ou Nago, 



208 LI^RE I. 

Kiouillùines après avoir sondé plusieurs fois; 
car le brouillard éloit si épais qu'on dislin- 
guoit avec peine les objets , à quelques câbles 
de disUuice; mais, au moment oii l'on com- 
mença à saluer la place, la brume se dissipa 
lotalemeiit. Le pic de Tejde se montra alors 
dans une éclaircie au-dessus des nuages; les 
pi'euiiers rayons du soleil qui n'étoit point 
encore levé pour nous , éclairoient le sommet 
du volcan. Nous nous portâmes vers la proue 
de la coivelle pour jouir de ce spectacle 
majestueux, lorsqu'au même instant on si- 
gnala quaire vaisseaux anglois qui se tenoient 
en panne tout près de la poupe. Nous les 
avions ranges sans en être aperçus ; et la même 
brunie qui nous avoit dérobé la vue du Pic, 
nous avoit soustraits au danger d'être ramenés 
en Europe. 11 auroit été bien pénible pour 
des naturalistes d'avoir vu de loin les côtes 
de Téucrille sans pouvoir toucher un sol 
boulevejsé par des volcans. 

Nous relevâmes aussitôt l'ancre, et le Pi- 
z.iri'o approcha autant qu'il étoit possible du 
fort pour être sous sa défense. C'est sur cette 
plage que, dans le débarquement tenté par 
les Anglois, deux ans avant notre arrivée, 



CHAPITRE II. 309 

Famiral Nelson eut le bras emporté ' par un 
boulet. Le gouverneur-général des Canaries * 
envoya Tordre au capitaine de la corvette 
de faire déposer de suite à terre les dé- 
pêches de la cour pour les gouverneurs des 
colonies y l'argent embarqué et la corres- 
pondance du public. Les vaisseaux anglois 
s'éloignèrent de la rade : ils avoient donné 
chasse la veille au paquet-bot XAlcudia , qui 
étoit parti peu de jours avant nous de la 
Gorogne. Il s'étoit vu obligé de relâcher au 
port de Palmas, dans File de Canarie; et 
plusieurs passagers^ qui alloient, dans une 
chaloupe à Sainte-Croix de Ténériffe^ avoient 
été faits prisonniers. 

La position de cette ville ressemble beau- 
coup à celle de la Cuajra, le port le plus 
fréquenté de la province de Caracas. La cha- 
leur est excessive dans les deux endroits, 
et par les mêmes causes; mais Taspect de 
Sainte-Croix est plus triste. Sur une plage 
étroite et sablonneuse , des maisons d'une 
blancheur éclatante y à toits plats et à fenêtres 

. '/ Au mois de juOlet 1797* 
> Don Andrès de Perlasca. 



310 LIVRE I. 

sans TÎlrage, se trouvent adossées à un mur 
de rochers noirs tailles à pic et dénués de 
végétation. Uo beau môle construit eu pierre 
de taille, et la promenade pubUrjue plantée 
en peupliers, sont les seuls objets qui inter- 
rompent la monotonie du paysage. La vue 
du Pic, tel qu'il se présente au-dessus de 
Sainte-Croix , est beaucoup moins pitto- 
resque que celle dont on jouit au port de 
rOrolava. Là, une plaine riante et richement 
cultivée contraste avec l'aspect sauvage du 
volcan. Depuis les groupes de palmiers et 
de bananiers qui bordent la côte jusqu'à 
la région des Arbutus , des lauriers et des 
pins , la roche volcanique y est couverte d'une 
yégétalion vigoureuse. On conçoit comment 
même des peuples qui habitoient sous le 
beau climat de la Grèce et de l'Italie, ont 
cru reconnoître une des îles Fortunées dans 
la partie occidentale de TénériiTe. La cote 
orientale, celle de Sainte-Croix, au contraire, 
porte partout le caractère de la stérilité. 
Le sommet du Pic n'est pas plus aride que 
le promontoire de laves balsaliques qui se 
prolonge vers la pointe de Naga , et sur lequel 
des plantes grasses, fixées dans les lentes du 



wièehexr commeacent ù peine <^ préparer du 
iDTesiu. Aa port de TOrotava^ hi ciaie d«i 
|HliQa soatenil aa angle de hauteur de plus 
Jkseàze deffcés^ et demi: tandis eu au mùht 
i^ Sainte-Croix S cet ifto^Iie e^Lct^de i pei&e 

4»' 36/- 

Malgré cette diférence. e( cpoîqiie. dau» 
k dernier endroit» le volcan :» élève au- 
éBSBos de lliorixoa^ à peine autant i^ue le 
TésLure YU du mole de îVaples^ r<ie>pet:t du 
fie est encore très-majestnenx lors4:jue« 
Binmll» dams kl rade, on le découvre p%L^ur 
b pvemîiere fois. Le piton seul étoil visible 
pour noos; aoo cône ^e projetoit ^r un 
fond da bien le plus pur, taudb> quo \les 
nnage» noîrs et épais enTeloppoieut le re»te 
de h montagne jusqu'à iSoo toises d élévu* 
lion. La pierre ponce, éclairée par les \nx- 
mâea rayons du soleil, réilétoit uue Unuière 
roogeatre^ semblable à celle qui teint S4>uvent 
les sommets des hautes Alptrs« Peu à pea 
cette Inmière devint du blanc le plus écla- 
tauit; et, trompés, comme la plupart des 

' Les (fistaaces obliques de la cime du Tolcan k 
POntaiTa et à Saîate-Cn>isL $4>nt à pru pK-» 14» 
ttoo toises, et de auioo ti>i:»o«. 

U 



212 LITRE I. 

voyageurs, nous crûmes que le Pic étoït 
encore couvert de neiges , et que nous au- 
rions bien de la difficulté à parvenir au bord 
de son cratère. 

Nous avons observé, dans la Cordillère 
des Andes, que les montagnes coniques, 
comme le Cotopaxi et le Tungurahua , se 
présentent plus souvent dégagés de nuages 
que les montagnes dont la crête est hérissée 
de beaucoup de petites inégalités, comme 
FAntisana et le Pichinçha ; mais le Pic de 
Ténériffe, malgré sa forme pyramidale, est, 
une grande partie de Tannée, enveloppé^ 
dans les vapeurs, et Ton reste quelquefois 
pendant plusieurs semaines dans la rade de 
Sainte-Croix sans Tapercevoir une seule fois. 
Sa position à Fouest d'un grand conûnent, 
et son isolement au milieu des mers , sont 
sans doute les causes de fce phénomène. Les 
navigateurs savent très-bien que même les 
îlots les plus petits et les plus dépourvus 
de montagnes rassemblent au-dessus d'eux 
et retiennent les nuages. En outre, le dé- 
croissement du calorique est diflFérent au- 
dessus des plaines de FAfrique ' et au-dessus 

* Obs, astr., Tom. I, p. 126. 



CH4PITHE II. 210 

delà surface de l'Océan; et les coDches d'air, 
amenées par les vents alises , se refroidissent 
à mesure qu'elles avancent vers l'ouest. Si 
l'aira été d'une sécheresse extrême au-dessus 
des sables brûlaos du désert , il s'est saturé 
rapidement dès qu'il est entré en contact 
avec la surface de la mer ou avec l'air qui 
repose sur cette surface. Il est donc aisé 
de concevoir pourtjuoi les vapeurs deviennent 
visibles dans des couches atmosphériques 
qui, éloignées du continent, n'ont plus la 
même température à laquelle elles se sont 
uturées d'eau. De plus, la masse cousidé- 
rable d'une montagne qui s'élève au milieu 
de l'Atlantique , oppose un obstacle aux 
nuages que les vents poussent au large- 
Noos attendîmes long-temps, et avec im- 
patience , que le gouverneur de la place 
nous donnât la permission de descendre i 
terre. J'emplojai ce loisir à faire les < 
servations nécessaires pour détermin 
longitude du môle de Sainte-Cw 
l'ioclioaison de l'aiguille aimantée. 
Domètre de Louis Bertboud donna i 
première, 18" 53' lo*^. Celte position^ 
de 5à 4 nuDutes ea arc de celle ipn| 




21 f^ LIVRE I. 

des ancîenles observations de Fleurieii , Pin- 
gré, Borda, Vancouver et La Pejrouse. 
M- Quenot avoil cependant aussi obtenu 
18° 55' 56", et t'iniortuné capitaine Bligh 
18" 54.' 20". La précision de mon résulEat 
a été confirmée, trois ans plus tard, par 
l'expédition du chevalier Krusenstern, dans 
laquelle CD a trouvé Sainte-Croix de j6" 12' 
45" à l'ouest de Greenwich , et par consé- 
quent de 1 S** 55' o" à l'ouestde Paris. Ces don- 
nées prouvent que les longitudes que le capi- 
taine Cook attribuoil à Ténériffe et au cap de 
Bonne-Espérance sont de beaucoup trop 
occidentales '. Le même navigateur avoit 
trouvé l'inclinaison magnétique , en 1799, 
de 61° 32'. Nous l'observâmes, M- Bonpland 
et moij deG2"2/|.', résultat conforme à celui 
qui a été obtenu , en 1791 , par M. de Rossel, 
dans l'expédition de d'HntrecasIeaux '. La 
déclinaison de l'aiguille varie de plusieuis 
degrés, selon qu'on l'observe au môle ou 

' Caleano, ViagealSTagellangs, p. 8. Krusenstern, 
Keiseumdie rVeU,1\i.l,S. 78, et mes Obs. a^tr. , 
Tom. X , p. XXXVII, et p. 27 et 7>1). 

' Voyage à la recherche de l.a Peyrouse , Tom, II, 
p. 291. 



CHAPITRE II. 2l5 

sur plusieurs points au nord, le long du 
rivage. On ne sauroit êlre surpris de ces 
changemens dans un lieu entouré de roches 
volcaniques. J'ai observé, avec M. Ga j-Lussac, 
que, sur la pente du Vésuve et dans Tintérieur 
de son cratère , l'intensité des forces magné- 
tiques est modifiée par la proximité des kves '• 
Après avoir été fatigués , par les questions 
multipliées des personnes qui visitoient notre 
bord pour recueillir des nouvelles politiques , 
nous descendîmes enfin à terre. Le canot 
fut aussitôt renvoyé vers la corvette , de peur 
que le ressac, qui est très-dangereux dans 
cette rade, ne le brisât contre le môle. Le 
premier objet qui frappa nos regards , étoit 
une femme d'une taille élancée, extrême- 
ment basanée et mal vêtue , qu'on . appe- 
loit la Capitana. Elle étoit suivie de plusieurs 
autres , dont le costume n'étoit pas plus décent : 
toutes demandoient avec instance de pouvoir 
aller à bord du Pizarro, permission qui natu- 
rellement ne leuf fut pas accordée. Dans ce 
port , si fréquenté par les Européens , le 
dérèglement des mœurs prend les formes 

' Mém. de la Société d^Arcueily Tom. I ; p< 9. 



2l6 I,IVRE r. 

de l'ordre. La Capitann est un chef choisi 
par ses compagnes , sur lesquelles elle exerce 
une grande autorité. Elle empêche ce qui 
pourroit nuire au servicedes vaisseaux; elle 
engage les matelots à retourner à leur bord 
aux heures qui leur sont prescriles. Les offi- 
ciers s'adressent à elle lorsqu'on craint que 
quelque personne de l'équipag'e ne se cache 
pour déserter. 

En entrant dans les rues de Sainte-Croix, 
nous sentîmes une chaleur suffocante, quoique 
le thermomètre ne s'élevât pas au-dessus de 
25 degrés. Quand on a long-temps respiré 
l'air de la mer, on souffre chaque fois qu'on 
débarque, non parce que cet air contient 
plus d'oxygène que l'air de terre, comme 
on l'a faussement avancé, mais parce qu'il 
est moins chargé de ces combinaisons ga- 
zeuses ' que les substances animales et végé- 
tales, et le terreau, qui est le résultat de 
leur décomposition , versent continuelle- 
ment dans l'atmosphère. Des miasmes, qui 
échappent à l'analyse chimique , agissent 
puissamment sur nos organes , surtout lorsque 

' Nouv.-Efp., Tom. IV, p. 56i <le l'édît. iD-8°. 



CHAPITRE II. 31 J 

cts derniers n'ont pas éprouvé depuis long* 
temps le même genre d'irritaticm. 

Sainte-Croix de lénériffei VAnaza des 
Goaadies, est uoe ville assez jolie ^ et dont 
h papoladon s'élève à huit mille âmes. Je 
n j ai pas été frappé de ce grand nombre 
de moines et d'ecclésiastiques séculiers que 
les Tojageurs se croient obligés de voir dans 
tons les pays soumis à l'Espagne. Je ne 
m'arrêterai pas non plus à décrire les églises, 
la hibliothéqne des Dominicains , qui s'éieve 
à peine à quelques centaines de volumes, 
le m^ où les habita ns s'assemblent le :>oir 
pour chercher la fraîcheur, et ce £ameux 
momunent de marbre de Carare , de trente 
pieds de haot, dédié à Noire-Dame de la 
Candelaria^ en mémoire de l'apparition mi- 
racoleiise qu'elle fit, en 1^92 , à Cbimisay, 
près de Goimar. Le port de Sainte-Croix 
peut être considéré comme un graiid cara- 
vansenuy sitoé sur la route de VKuvhvUi^^ 
et de flnde. Presque toutes le^ reUi(ii:/iis de 
Toraiges commencent par uiie descripilon 
de la^f^K et de Teoéfifie : et $i ihivtoiie 
pbvsiqae de ces jles offie eoccr^ nu cltairip 
iimnense à exploiter^ il laui canveiâi que 



2lS LIVRE I. 

la topographie des petites villes de Funchal, 
de Sainte-Croix, de lu Layirna et de l'Oro- 
tava, ne laisse presque rieo à désirée'. 

Les recommandations de la cour de^VIadrid 
nous procurèrent aux Canaries, comme dans 
lonlesles autres possessions espagnoles, la ré- 
ception la plus satisfaisante. Le capitaine géné- 
ral nous fil délivrer d'abord la permission de 
parcourir l'île. Le colonel Armiaga , chef 
d'un régiment d'infanterie, nous logea chez 
lui et nous combla de politesses. Nous ne 
pûmes nous lasser d'admirer, dans son jardin , 
cultivés en plein air, le Bananier, le Papayer, 
le Poinciana pulcherriraa, et d'autres végé- 
taux que jusqu'alors nous n'avions vus que 
dans les serres. Le climat des Canaries n'est 
cependant pas assez chaud pour mûrir le 
véritable P lalano  rlon , à fruît triangulaire, 
de 7 à 8 pouces de longueur, et qui, deman- 

' Borda, royale de la Flore, Tora. I, p. 86. 
fiera, NoUcias lihtoricas , Tom. It, p- i34; Bory de 
Saint- Vincent , Essai sur les île» Forlunéesj p. 23o; 
Bedru, Voyage aux Ues de Ténèrljfe el de Porto Rico, 
Tom. l , p. 3? ; MilbeTt, Voyage pittoresque à l'Ile- 
de-Friincc , Tom. \, p. g. Voyage de Macartney , 
Tom. Ij p. 74, 



trsijpêr,rt2Z3re KLOjmzie de pr» fie 
24 dlc^ii» cewflfTfmiCT, Kbe wat pis laèmis 
dans Ia ^aBêc de Guricas. Les Biizunes de 
Têacnfe sont cette» qnœ les Colons e$p4r- 
gaob dcss^eal par les noos de CamS-tàns 
OB CoÔMes ci de DoMmète^s^ Le Gunburi, 
^ souffre le boibs an fmd, est K^ètiie 
Cflkivé aiec soccès a JfjJj^ "": nuis les firaks 
que Foo toà de taa|» ea temps à Cadix 
fini i M'yl des iles Canaiies. par des tûsscsiux 
qû fiwDt le trajet en trocs 00 cpiatre four^ 
En général, le Mnesa, conno de tons les 
peuples de la 100e tonide . et qne jnsques 
ki on n'a trovré noUe part à letat saura^e, 
Taiie dans ses fruits, comme nos pommiers 
d nos poîrîen. Ces Torietês '. que la plu- 
part de natoralstes confondent . quoiqu'elles 
exigent nn dimat três-different . sont de^e- 
nues eottçtantes par nne lonsTue culture. 

Nous fîmes le soir mie herborisation vers 
le fort de Passo Alto . le Ion? des rochers 
basaltiqoes qui ferment le promontoire de 
Naga. Noos fumes trê&-pea contens de notre 

' La tempêntcre mojeime de cette TÎlle n'est qua i 

de i8^ * ' 

^ Nowr\-Eip. j Tom. III, p. aS de Tcdit. iii-8*. 



220 MVRE I. 

récolte ; car la sécheresse et la poussière 
avoient pour ainsi dire détruit la végétation. 
Le Gacalia Kleinia, l'Euphorbia canarieusis 
et plusieurs autres plantes grasses qui tirent 
leur nourriture plutôt de l'air que du sol 
sur lequel elles sont fixées, nous rappeloient 
par leur port que ce g'roope d'îles appar- 
tient à l'Afrique et même à la partie la plus 
aride de ce continent. 

Quoiquelecapilaine delà corvette eût ordre 
des' arrêter assezlong-temps à Ténériffe, pour 
que nous pussions monter à la cime du Pic, 
si toutefois les neiges le permetloient , on nous 
avertit, à cause du blocus des vaisseaux an- 
glois , de ne pas compter sur un dékii de plus 
de quatre à cinq jour^ Nous nous hâtâmes 
par conséquent de partir pour le port de l'O- 
rotava, qui est situe sur la pente occidentale 
du Volcan , et dans lequel nous devions trou- 
ver des guides. Je ne pus découvrir personne, 
à Sainte-Croix , qui eût gravi le Pic : je n'en 
fus pas surpris. Les objets lesplus curieux nous 
intéressent d'autant moins qu'ils sont plus rap- 
prochés de nous, et j'ai connu deshabitans 
de la ville de Schafhouse , en Suisse , qui n'a- 
voient jamais vu de près la chute du Rhin. 



CHAPITRE II. 221 

Xie 20 juin , avant le lever du soleil , nous 
BOUS mîmes en route pour monter à la Villa 
de laLaguna , élevée de 55o toises ^ au-dessus 
du port de Sainte-Croix. Nous ne pûmes vé- 
lifier cette détermination de hauteur ; car le 
ressac de la mer ne nous avoit pas permis de 
retourner , pendant la nuit , à notre bord , 
pour chercher les baromètres et la boussole 
d'inclinaison. Gomme nous prévoyions que 
notre voyage au Pic seroit très -précipité, 
QoQS nous consolâmes facilement de ne pas 
exposer des instrumens qui dévoient nous 
servir dans des contrées moins connues des 
Européens. Le chemin par lequel on monte 
à la Lagmia est sur la droite d'un torrent ou 
baranco qui , dans la saison des pluies , forme 
de belles cascades : il est étroit et tortueux* 
On m'a asssnré j depuis mon retour , que M. de 
Perlasca est parvenu à faire tracer une nou- 
velle route sur laquelle peuvent rouler des 
voitures. Près de la ville nous rencontrâméf 
des chameaux blancs qui paroissoient trèi- 
peu chargés. L'emploi principal de ces aoi'» 

' Cette éralnatkm n'est qu'appraximatiire* TofP^ 
Bote & la fin da trasîênie chapitre. 



maux est de porter des marchandises de la 
douime aux magasins des néf^ocians. Oq les 
charge ordinairement de deux caisses de sucre 
de la Havane, qui pèsent ensenrihle 900 livres : 
mais on peut augmenter celle charge jusqu'à 
10 quintaux ou 53 arrobes de CastiUe. Les 
chameaux ne sont guère communs à Téné- 
riffe, tandis qu'ils existent par milliers dans 
les deux îles de Lancerote et de Fortaven- 
ture. Ces dernières , plus rapprochées de l'A- 
frique , ont aussi un climat et une végétation 
plus analogue à celle de ce continent. D esl 
bien extraordinaire que ctl animal utile , qui 
se propage dans l'Amérique méridionale, ne 
le lasse presque jamais à Téuériffe. Seulement 
dans le district fertile d'Adexe, où les plan- 
tations de la canne à sucre sont les plus con- 
sidérables ', on a vu les chameaux se multi- 
plier quelquefois. Ces bêtes de somme, de 
même que les chevaux , ont été introduites 
aux îles Canaries au quinzième siècle , par 
les conquérans normands. Les Guanches ne 
les connoissoient pas , el ce fait paroît s'ex- 

' Elles ne produisciit cependaut aujourd'hui pas au 
tlelà de 3oo quialaus, de sucre terré par un. 



mwi, 1*11, 



TyfcvyrrtH: x;. *:*j^ 

irjtiiiijMiBr irj^Wt .animgr' -ik- ^ ifcrif- Xiiilir ^ai^ 
«db Ëréhe csmal&..i£aDs^ oij oc nia Itifsinin iir ?t^ 

|iBiipfaa& £k:XJÉitiai]iui&.. £ nranmr iîr rn^- ^iif^ 

4e &m tfitirKtttnxij iti ît La^^iouî ^^ji^iTiirnri) 
i ce ^^gftenijb c^ JUiinatrsi» ^ Kitâs;jîb&r <pYi ^ 
iaoégBSSDQcaii^ au i^sisinf die wvènr^ >ivik\j^ 

miACiin ai Î*j: ^ T^isnirjSt^ l jt Iv-- 
sur ièigiKL sicos- siuervijj^'cre^ tf^vn.: £^;ut 

Noos ir wsrjmmim^s- ce L^iarcèiboà? • ôf Jv-v 

sore pcxiaÉfimfêiÊ I;iiiie2e;ise . i" i-^. ^^er*; .-•'.^* 
peo toiece « *:ir»<»at •:r!staiîîî?ff tri c-7'^'V-c?i i 
six faces* La pr«»asiere <îe ces 5~j:si:,ir.«:i^. ^l 
extréiDflBesl raïre ^ T.*ïierid:e ; e r..^ j^- ^- 
maîs tnwrt^ «ims les U^-îs ia V^s»/^^ : r- -^ 
de l'Etna «estes la cnat*ena*^nt ^*v^.4»<Urir»rf,er4., 

* Peridot :n'aau li û>raie . ?î-« • * ' 

* Amphigêne ; îiÂii j 



:!2^ tivnn I. 

Malgré le grand nombre de blocs que nous 
nous arrêtâmes à casser , au grand ennui de 
nos guides, nous ne pûmes découvrir ni né- 
pbeline, ni leucite ', ni feldspatb. Celui-ci, 
qui est si commun dans les laves basaltiques 
de l'île d'Ischia , ne commence à paroîtte à 
Ténériffe que lorsqu'on s'approctie du volcan 
mênie. La roche de la Laguna n'est pas co- 
lonnaire, mais divisée en bancs de peu d'épais- 
seur, et inclinés à l'est sous un angle de 3o à 
4o degrés. Nulle part elle n'offre l'aspect d'un 
conrant de laves sorti des flancs du Pic. Si le 
volcan actuel a donné naissance à ces basaltes, 
illaut supposer que, semblables auxsubslances 
qui composent la Somma , adossée au Vésuve, 
ils sont l'effet d'un épanchement sous-marin 
dans lequel la masse liquide a Ibrmé de véri- 
tables couches. Quelques Euphorbes arbo- 
rescentes, le Cacalia Kleinia et des Raquettes 
(Cactus), qui sont devenues sauvages aux îles 
Canaries , comme dans l'Kurope australe et 
dans tout le continent de l'Afrique, sont les 
seuls 1 egétaux que l'un observe sur ces rochers 
avides. Nosmulels glissoient à chaque instant 



CHÀrtTRE li. 225 

fturclcislits de pierre fortement inctiDes* Nous 
reconnûmes cependant les restes d'un ancien 
paré. Dans ces colonies on découvre à chaque 
pas quelques traces de l'activité que la nation 
espagnole a déployée au seizième siècle. 

A mesure que nous approchâmes de la 
liaguna nous sentîmes la température de l'at- 
mosphère s'abaisser graduellement. Cette sen^ 
sation est d'autantplusdouce que l'air de Sainte- 
Croix est très-suffocant. Comme nos orgranes 
sont plus affectés par les impressions désagréa^ 
blés f le changement de température devient 
encore plus sensible quand on retourne delà 
Laguna au port : on croit alors approcher de 
Touverture d'une fournaise. On éprouve la 
même chose lorsque , sur les côtes de Caracas, 
on descend de la montagne d'Avila au port 
de la Gaajra. Selon la loi du décroissement du 
calorique , trob cent cinquante toises de hau- 
teur ne produisent y sous cette latitude y que 
trois à quatre degrés de différence de tempé- 
rature. La chaleur , qui accable le voyageur 
en entrant à Sainte-Croix de Ténériffe ou à la 
Guajra, doit par conséquent être attribuée à 
la réyerbération des rochers auxquels ces villet 
•ont adossées. 



3a6 LIVRE 1. 

C'esl la fraîcheur perpétuelle que l'on trouve 
à laLaguna qui la fait reg'arder, aux Canaries, 
comme un séjour délicieux. Située dans une 
petite plaine, environnée de jardins ^ dominée 
par une colline qui est couronnée d'un bois 
de lauriers, de myrtes et d'arbousiers, la ca- 
pitale de TénérilTe a en elTet une exposition 
des plus riantes. On se tromperoitsi, d'après 
le récit de queltjues voyageurs, on la crojoit 
placée au bord d'un lac. Les eaux de pluie y 
forment de temps en temps un marais étendu; 
et le géologue qui voit partout plutôt l'état 
passé que l'état présent de la nature , ne peut 
douter que toute la plaine ne soit un grand 
bassin desséché. La Laguria, déchue de son 
opulence, depuis que les éruptions latérales 
du volcan oui détruit le port de Garachico , 
et que Sainte-Croix est devenue le centre du 
commerce de ces îles, ne compte plus que 
gooo liabitans, parmi lesquels il y a près de 
4oo moines répartis en sixcouvens. Quelques 
voyageurs ont assuré que la moitié delapo- 
piilalion portoit le froc. La ville est entourée 
d'un graïul nombre de moulins à vent, qui 
annoncent la culture du froment daus ces 
contrées élevées. J'observerai à cette occasioB 



CHAPITRE n. 227 

qae les graminées céréales éloîenl connues des 
Gnanches. Ds appeloient le blé, à Ténérifle» 
tano j à Lancerote , triffa j i orge , à Tile Ga- 
narie , portoit le nom à^ aramoianoque ^ et à 
Lancerote , celui de tamoscn. La farine d'orge 
torréfié ( gojio ) et le lait de chèvre étoient la 
nourriture principale de ce peuple , sur l'ori- 
gine duquel on a fait tan t de rêyessjstématiqaes. 
Ces alimens indiquent assez que les Guanches 
tenoient aux peuples de Tancien continent , 
peut-être même à ceux de la race du Gaucase» 
et non , comme le reste des Adantes S aux 
babitans du nouveau monde ; ces derniers , 
avant l'arrivée des Européens , ne connois- 
soient ni céréales^ ni lait ^ ni fromage. 

Un grand nombre de chapelles, que les 
Espagnols nomment ermitaSy entourent la ville 
de la Laguna. Ombragées par des arbres tou- 
jours verts et placées sur de petites éminences, 
ces chapelles ajoutent ici , comme partout, à 

' Sans entrer ici dans aucune discussion sur Texis- 
tence de l'Atlantide, je rappellerai l'opinion de Diodore 
de Sicile, d'après lequel les Atlantes îgnoroîent l'usage 
des céréales , parce qu'Us avoient été séparés du reste 
du genre humain avant que ces graminées fussent cul- 
tivées. Diod. Sicul., Tom. III, p. Wessel. i3o. 

i5* 



3a8 LIVRE I. 

l'effet pittoresque du paysage. L'intérieur de 
la ville ne répond pas k son extérieur. Les 
maisons sonl d'une consiruclion solide , maïs 
très-anlique , et les rues paroisseiit déserles. 
XJa botiiniste ne doit pas se plaindre de cette 
vctuslé des édifices. Les toits et les murs sont 
couverts du Sempervivum canariense et de 
cet élégant Trichomanes dont tous les voya- 
geurs ont parlé : des brouillards fréquens 
alimentent ces végétaux. 

M. Andersen , le naturaliste de la troisième 
expédition du capitaine Cook, conseille aux 
médecins de l'Iùirope d'envoyer leurs malades 
à l'île de Ténériffe, non sans doute par les 
motilis qui font préférera quelques gens de 
l'art les eaux iherinales les plus éloignées, mais 
à cause de l'exlrcmedouceuret de l'égalité du 
climat des Canaries. Le soi de ces îles s'élève en 
amphithéâtre, et présente à la fois, comme 
le Pérou elle Mexique , quoique sur une petite 
échelle , tous les climats , depuis les chaleurs 
de l'Afrique jusqu'au froid des hautes Alpes. 
Sainte-Croix, le port dcl'Orotava, la ville du 
même nom et celle de la Laguna, offrent quatre 
endroits dont les leinpératures moyennes for- 
meat une série décroissante. Dans l'Europs 



^ CHAPITpE II. 129 

australe, le changement des saisons est encore 
trop sensible pour qu'elle puisse présenter les 
mêmes avantages. TénériiTe , au contraire , si- 
tuée pour ainsi dire à l'entrée des tropiques , 
quoiqu'à peu de journées de navigation de l'Es- 
pagne , participe aux beautés que la nature a 
prodiguées dans lés régions équinoxiales. La 
végétation y développe déjà quelques-unes de 
ses formes les plus belles et les plus imposantes, 
celles des bananiers et des palmiers. L'homme 
sensible aux beautés de la nature trouve, dans 
cette île délicieuse , des remèdes encore plus 
puissans que le climat. Aucun séjour ne me 
paroit plus propre à dissiper la mélancolie , 
et à rendre la paix à une ame douloureusement 
agitée , que celui de Ténériffe et de Madère. 
Ces avantages ne sont pas uniquement l'effet 
de la beauté du site et de la pureté de l'air ; 
ils sont dus surtout à l'absence de l'esclavage, 
dont l'aspect est si révoltant aux Indes et par- 
tout où les Colons européens ont porté ce 
qu'ils appellent leurslumières et leur industrie. 
En hiver, le climat de la Laguna est extrê- 
mement brumeux , et les habi tans se plaignent 
souvent du froid. On n'y a cependant jamais 
TU tomber de la neige , ce qui pourroit faire 



230 LivnE r. 

croire que la température moyenne de celte 
ville doit être au-dessus de \^",~ (i5o" R.), 
c'est-à-dire qu'elle excède encore celle de 
Niiples : je ne donne pas celte conclusion 
comme rinjoureuse; car, en hiver, le refroi- 
dissement des nuages ne dépend pas autant de 
la température moyenne de l'année entière 
que de la diminution instantanée de chaleur 
à laquelle un district est exposé par sa situation 
locale. La lempérature moyenne de la capitale 
duMexiqne, par exemple, n'est que de i6",8 
( i.t",!) r.); cependant en cent ans on n'y a 
"VH tomber de la neige qu'une seule fois, tandis 
que , dans l'Europe australe et en Afrique, il 
neige encore dans des endroîls dont la tem- 
pérature moycnneest au delà de 19 degrés. 

C'est le voisinage de la mer quirend la La- 
guna plus tempérée en hiver qu'elle nedevroit 
l'ètie, à cause de son élévation au-dessus du 
niveau de l'Océan. J'ai même été étonné d'ap- 
prendre que M. Broussonet a planté , au 
milieu de celte ville , dans le jardin du marquis 
de Nava,des arbres à pin (Arlocarpus incisa) 
et des cannelliers ( Laurus Cinnamomum ). 
Ces prodiîcltons précieuses de la mer du Sud 
et des Grandes-Indes s'y sont acclimatées aussi 



CHAPITRE n. 201 

bien qu'à l'Orotava. Cet essai ne prouTeroit-il 
pas que l'arbre à pin pourroit, végéter en 
Calabre y en Sicile et en Grenade ? La cul- 
tare du caffîer n'a pas également réussi à 
la Laguna , quoique ses fruils mûrksent à 
Tegueste , comme entre le port de TOrotava 
et le village de Saint- Jean de la Rambla. Il est 
probable que quelques circonstances locales , 
peut-être la nature du sol et les vents qui souf- 
flent lors de la floraison^ sont la cause de ce phé- 
nomène. Dans d'autres régions , par exemple 
auic environs de Naples , le cadSer produit 
assez abondamment y quoique la température 
moyenne s'élève à peine au-dessus de 18 degrés 
centigrades. 

Personne n'a déterminé , à l'île de Téné- 
nSe y la moindre hauteur à laquelle on voit 
tomber annuellement de la neige. Cette déter- 
mination, facile à exécuter par des mesures 
barométriques, a été en général négligée jus- 
qu'ici sous toutes les zones ; elle est cependant 
d'un grand intérêt pour l'agriculture des colo- 
nies et pour la météorologie 9 et tout aussi 
importanteque la mesure de la limite inrérleiiro 
à laquelle se maintiennent les neigr's per|ir; - 
tuelles. Mes observations m'ont fourni les <iofi - 
nées que je vais réunir dans le tableau suivant : 



r 






1 

1 










?53 


LIVRE I 










( = 


^ 


« 


^^ 






« 














S - 
























































"t. g 


. 




ir, 










.ï" 












s 


S 


s^ 


n 


i:r 






\ " 












f ' 


























H a - 














u -2 £ 




IC 




= 






^; 3 = 














E ^ 






















































































■o = 






" 




















?□ / - 












C 1 - 












B ^ 1 "^ 












H " û 1 a 






to 






f E = 1 ° 












3 M 


- 




















- £ a. 




O 










J 3 5; 


s 


<a 










.î Ë. 














^ 






































g ^- S 


ir- 


o 


„ 
















?" 'S -ï 













U ^ = S 












* S."î j ^ 












^. ?^-S < — ;- 












3 - " l ïï 












? ' 1 i 


"S 


i" 








- 2 f - 


M 






















S r: l 2 










w 


































H -d 


"a 


s 


■S 






5 c 












A ° 

















CHAPITRE II. 253 

Cette table ne présente que Tétat mojea 
de la nature , c'est-à-dire les phénomènes tels 
qu'on les observe annuellement. Il existe des 
exceptions fondées sur des localités particu- 
liëres. Ainsi, il neige quelquefois, quoique 
très-rarement, à Naples, à Lisbonne, et même 
à Malaga , par conséquent jusqu'au ^y"" degré 
de latitude ; et, comme nous venons de l'obser- 
ver , on a vu tomber de Ja neige à Mexico , 
ville dont l'élévation au-dessus du niveau de 
la mer est de iijS toises. Ce phénomène, 
qui ne s'étoit pas présenté depuis plusieurs 
siècles, eut lieu le jour de l'expulsion des 
Jésuites , et fut naturellement attribué par le 
peuple à cet acte de rigueur. Une exception 
plus frappante encore nous a été offerte pour 
le climat de Valladolid , capitale de la province 
de Méchoacan. D'après mes mesures , la hau- 
teur de cette ville , située par les 19^^ 4^' ^^ 
latitude , n'est que de mille toises ; et cependant 
peu d'années avant notre arrivée à la Nouvelle- 
Espagne , les rues y ont été couvertes de neige 
pendant quelques heures. 

On en a vu tomber aussi à Ténériffe dans 
un terrain situé au-dessus de l'Esperanza de 
la Laguna , tout près de la ville de ce nom » 



2.14 LITIIE I. 

doDt les jardins renfeiment l'arbre à pin. Ce 
f.iit extraordinaire a été rapporté à M, Brons- 
sonet par des gens très-âgés. L'Erîca arborea, 
leMiricaFayaetrArbutnscallycarpa" nesoof- 
li'irent pas de cette neige; mais elle fit périr 
tous les porcs qui étoient en plein air. Cette 
observation est intéressante pour la physio- 
logie végétale. Dans les pays chauds, les plantes 
sont si vigoureuses que le froid leur est moins 
nuisible , pourvu qu'il soit de courte durée. 
J'ai vu cultiver, à l'île de Cuba, le Bananier 
dans des sites où le thermomètre descend à 
7° centésimaux , et quelquefois très-près du 
jiointdelacongélation. En Italie etenEspagne, 
les orangers et les dattiers ne périssent pas , 
quoique le froid pendant la nuit soit de deux 
degrés au-dessous de zéro. En général , les ciil- 
livaleurs observent que les arbres qui croissent 
dans un sol fertile sont moins délicats, et par 
conséquent moins sensibles à de grands abais- 
semens de température , que ceux qni végètent 



' Ce bplarbousifir, rap|iorté par M. Brou5soiiet,est 
Bien différent de l'Arbiitus laurifolîa avec lequel il a 
été confondu , et qui appartient à la Flore de l'Amé- 
rique septeatrionale. 



CHAPITIIE II. 235 

dans on terrain duquel ils ne peuvent lirer que 
peu (le sucs nourriciers '. 

Pour passer de la ville de la Lagiina au port 
de rOrotavaetàla côte occidentale de Téné- 
riffe , on traverse d''abord une région moD- 
tueuse couverte d'un terreau noir et argileux, 
dans lequel on trouve quelques petits cristaux 
de pyroxène. Les eaux détachent vraisem- 
blablement ces cristaux des rochers vobins, 
comme à Frascati près de Rome. Malheureu- 
sement des couches de terre ferru^'ioeose 
dérobent le sol aux recherches du géologue. 
Ce n'est que dans quelques ravins que l'on 
découvre des basaltes colonnaires un peu 
courbés, et au-dessus d'eux des brèches très- 
récentes et analogues aux tufs volcaniques. Ces 
brèches ench<îssent des iragmens du même 

' Les mâriers, cultivés dans les terrains maigr^'B 
et sablonneux des pays limitrojihes de tu mer Bal- 
tique, oDrent des exemples de cette foiltlesse d'oi 
nitation. Les gelées tardives leur font beaiil 
de mal qu'aux mAriers du Piémont. En 
froid de 5° au-dessous du point de c 
bit pas périr des orangers robustes. Selon ] 
ces arbres, moins délicats qae les Umoiu etfl 
DC gilent qu'à — lo" ceat£>ims.ux. 




256 LIVRE I. 

basalte qu'elles recouvrent j et , à ce que l'on 
assure , on y observe des pélrifi calions uéla- 
giques : le nièine pliénomcue se répèle dans 
le Vicenlin , près de Montechio-Maggiore. 

En desccndanl dans la vallée de Tacoronte 
on^enlre dans ce pays délicieux, donl les voya-i 
geurs de toutes les nalions ont parlé avec 
eotlionsiasme. J'ai trouvé, sous la zone torride, 
des sites où la nature est plus inajesluense, plus 
riche danslc déveioppenienl des l'ormes orga- 
niques ; mais après avoir parcouru les rives 
de rOrénoque, les Cordillères du Pérou et 
les belles vallées du Mexique, j'avone n'avoirva 
nulle part un tableau plus varié , jdus attrayant, 
plus harmonieux par la distribution des masses 
de verdure et de rochers. 

Le bord de la mer est orné de dattiers et 
deajcoliers. Plus haut, des groupes de Musa 
contrastent avec les dragonniers, donl on a 
justement comparé le tronc au corjis d'on-ser- 
pent. Les coteaux sont cultivés en vignes qui 
étendent leurs sarmens sur des treillages très- 
élcvcs. Des orangers, chargés de fleurs , des 
myrleset des cyprès entourent les chapellesque 
la dévotion a élevées sur des collines isolées. 
Partout les propriétés sont séparées par det 



CHAPITRE n. tdf 

clôtures formées d'Agave et de Cactus. Une 
innombrable (luanlllé de plantes crylîlogames, 
surtout de fougères , tapissent les murs , 
humectés par de petites sources d'une eau 
limpide. En hiver , tandis que le Tolcan est 
couvert de neige et de glace, on jouit dans 
ce canton d'uri printemps continuel. En été, 
au déclin du jour , les vents de mer y répandent 
une douce fraîcheur. La population de celte 
côte est très-considérable; elle paroît .l'être 
encore davantage , parce que les maisons et 
les jardins sont éloignés les uns des autres , ce 
qui augmente la beauté du sile. Malheureu- 
sement le bien-être des habilans ne répond 
ni aux efforts de leur industrie, ni aux avan- 
tages dont la nature a comblé ce canton. Les 
cultivateurs né sont généralement pas proprié- 
taires : le fruit de leur travail appartient à la 
fioblesse , et ces mêmes institutions féodales 
qui, pendant long-temps, ont répandu la 
misère sur toute l'Europe , entravent encore 
le bonheur du peuple dans les îles Canaries. 

Depuis Teguesle et Tacoronte jusqu'au vil- 
lage de San JuandelaRambla, qui est célèbre 
par son excellent vin de Malvoisie , la cote est 
cultivée comme un jardin. Je la comparerois 



SZS LIVIIE I, 

aux environs de Capoiie ou de Valence, si 
la parlie occidentale de Ténériffe n'étoit in- 
finiment plus belle à cause de la proximité 
du Pic qui offre à chaque pas des points de 
vue nouveaux. L'aspect de cette montagne 
n'intéresse pas seulement par sa masse impo- 
sante ; il ocL'upe vivement la pensée en la faisant 
remonter à la source mystérieuse de l'action 
volcanique. Depuis des milliers d'années , 
aucune llamme , aucune lueur n'ont été aper- 
çues au sommet du Piton , et cependant 
d'énormes éruptions latérales, dont la der- 
nière a eu lieu en 1798, prouvent l'activité 
d'un feu qui est loin de s'éteindre. Il y a d'ail- 
leurs quelque chose d'attristant dans la vue 
d'uncriitcre placé au centre d'un pays fertile et 
bien cultivé. L'histoire du globe nous apprend 
que les volcans détruisent ce qu'ils ont créé 
dans un long espace de siècles. Des îles , que 
l'action des feux sous-marins a fait paraître 
au-dts.sus des flots , se parent peu à peu d'une 
riche et riante verdure ; mais souvent ces 
terres nouvelles sontdécbirées parTaclion des 
mûmes forces qui ont soulevé le fond de 
l'Océan. Peut-être des îlots, qui n'offrent 
aujourd'hui que des amas' de scories et de 



CHAPITRE II. 239 

cendres volcaniques y ont été jtidis aussi fertiles 
que les coteaux de Tacoronte et du SauzaL 
Heureux les pajs où rhomme n'a pas à %q 
défier du sol qu*il habite ! 

En suivant notre route au port de TOrotava » 
nous passâmes par les jolis hameaux de Ma- 
tanza et de Victoria. Ces noms se trouvent 
iréunis dans toutes les colonies espagnoles ; ils 
contrastent désagréablement avec les senti- 
mens de paix et de calme qu'inspirent ces 
contrées, àlatanza signifie boucherie ou car-' 
nage ^ et le mot seul rappelle à qoel prix la 
victoire a été achetée. Dans le nouveau monde^ 
fl indique généralement la défaite des indi- 
gènes ; à Ténérifie , le village de Matanza a 
été fondé dans un lieu ' où les EspagmJs 
forent vaincus par ces mêmes Guanches qoe , 
bientôt après , on vendit comme esclaves 
dans les marchés de l'Europe. 

Avant d'atteindre rOrota va , nous nous ren- 
dîmes au jardin de botanique situé à une ^^vcûie 
distance du port. Noos j trouvâmes M. Le- 
gros 9 vice-consul francoi». qt^i a^oit ^i .t^ 
souvent le sommet du Pic, et q<ii fut [p^jrir 



1 ¥' 



L ancien Acantiro. 



a^O ltT*E I. 

nous lin guide très-précieux. Il aVoit suIï! 
Je capitaine iJaudin dans une expédition aui 
'Antilles , (|ui a beaucoup contribué à enricbii 
le jardin des Plantes à Paris. Une borriBIe 
tempête, dont M. Ledru a donné les dé- 
tails dans la relation de son voyage à PorliJ 
Rico, l'orca le bâiiment de relâcber à Téné- 
riffe; la beauté du climat de celle île engagea 
M. Le Gros de s'j établir. C'est lui qui a 
fourni aux savans de l'Europe les premières 
notions exactes sur la grande éruption latérale 
duPic, quel'on a nommée très-'in)propreaieDt 
l'explosion du volcan de Chahorra '. 

L'établissement d'un jardin de botanique à 
Ténériffé est une conception extrèmemeot 
heureuse à cause de la double influence que 
ce jardin peut exercer sur les progrès de la 
botanique et sur l'introduction de végétaux 
utiles en Europe. La première idée en est due 
au marquis de iNava ^, dont le nom mérite 
d'être placé à coté de celui deM.Poivre, et qui, 
guidé constamnientparramour du bien, afait 
un noble emploi de sa fortune. C'est avec des 

' Le 8 juin 1798. 

" Marcjuia de 'Villamicva di:) Pi'ado. 



CHAPITRE II. 2^1 

frais immenses qu'il est parvenu à aplanir la 
colline du Durasno ^ qui s'élève en amphi- 
théâtre et où les plantations ont été commto- 
cées en 1795. M. de Nava a pensé que les 
iles Canaries^ par la douceur de leur climat 
et par leur position géographique j oflTroient 
Fendroit le plus propre pour acclimater les 
productions des deux Indes , et pour servir 
d'entrepôt aux végétaux qui doivent s'accou- 
tumer graduellement à la température plus 
froide de TEurope australe. En effet ^ les 
plantes de l'Asie, celles de l'Afrique et de 
l'Amérique méridionale peuvent arriver faci- 
lement au jardin de l'Orotava ; et , pour in- 
troduire l'arbre du Quinquina ' en Sicile, 
en Portugal ou en Grenade, il faudroit le 

' Je parle des espèces de Quinquina qui , au Pérou 
et dans le royaume de la Nouvelle-Grenade , rc(;Mcrit 
sor le dos des G>rdilleres, entre 1000 et i5rx> Unsen 
de hauteur dans les endroits ou le thermomètre fte 
soutient le jour entre 9 et 10 degrés , et la nuit entre 

et 4 degrés. Le Quinquina orangé (Cinchona lauci- 
folia) est beaucoup moins délicit que le Quinquina 
ronge (C oblongifolia ). Voyez le Mémoîr.^ sur les 
forêts de Quinquina , que j'ai publié en 1807 , dans le 
Magazin der Nalurkunde , B. I , p. 1 18. 



2^2 LIVRE I. 

planter d'abord au DurasnoouàIaLaguna,el 
transporter ensuite en Europe les rejetons du 
Quinquina des Canaries. Dans des temps plus 
heureux, lorsque les fjuerres maritimes n'en- 
traveront plus les communications, le jardÎD 
de Ténériffc pourra aussi devenir très-utile 
pour le grand nombre de plantes que l'on 
envoie des Indes en Europe. Avant d'atteindre 
nos côtes , elles périssent souvent à cause de 
la longueur d'une navigation pendant laquelle 
elles respirent un air chargé d'eau salée. Ces 
végétaux trouveroient à l'Orotava les soins 
et le climat nécessaires à leur conservatioD. 
L'entretien du jardin de botanique devenant 
d'année en année plus coûteux, le marquis 
de Nava l'a ccdc au gouvernement. Nous y 
trouvâmes un jardinier instruit , élève de 
M. Alton , directeur du jardin royal de Kew. 
Le terrain est élevé en forme de terrasse et 
arrosé par une source naturelle. On y jouit de 
la vue de l'île de Palma, qui s'élève comme un 
château au milieu de l'Océan. Nous trouvâmes 
cet établissement peu riche en plantes : on 
avoit suppléé aux genres qui manquoient, 
par des étiquettes dont les noms sembloient 
pris au hasard dans le Sjslema vegetabitium 



CHAPITRE ir. 24.5 

de Linné. Celle distribution des végétanx, 
d après les classes du système sexuel , que Toa 
rielrouve malheureusement aussi dans plu- 
sieurs jardins de TEurope, est très-contraire 
à la cnlture. Au Durasno, des Protées, le 
Goyavier, le Jambosier^ la Chirimoya du • 
Pérou ', des Mimoses et des Heliconia, végètent 
en plein air. Nous y recueillîmes des graines 
mûres de plusieurs belles espèces de Glycine 
de la Nouvelle-Hollande, que le gouverneur 
de Cumana, M. Emparan, a cultivées avec 
succès , et qui depuis sont devenues sauvages 
sur les côtes de l'Amérique méridionale. 

Nous arrivâmes très-lard au port de FOro- 
tava % si Ton ose nommer port une rade dans 
laquelle les bâtimens sont obligés de mettre à 
à la voile lorsque le vent souffle avec violence 
du nord-ouest. Il est impossible de parler de 
rOrotava , sans rappeler aux amis des sciences 
le nom de M. Cologan, dont la maison^ d' 
tout temps , a été ouverte aux voyageurs 
toutes les nations. Plusieurs membres de 

' Annona Cherimolia , Lamarch, , 

* Puerto de la Cniz. Le seul beau port d 

Canaries est celui de Saint-Sébastien , dans Vfik 

Gomère. 



2/|4 LIVRE !. 

famille respectalile ont été élevés à Londres 
et à Paris. Don Bernardo Cologan joint à des 
connoissances solides et variées le zèle le plus 
ardent pour ie bien de sa patrie. On est agréa- 
blement surpris de trouver, dans un groupe 
d'îles situées près des côtes de l'Afriqae, 
cette amabilité sociale , ce goût pour l'instruc- 
lion , ce sentiment des arts qu'on croît appar- 
tenir exclusivement à une petite partie de 
l'Europe. 

Nous aurions désiré pouvoir séjourner quel- 
que temps dans la maison de M. Cologan , et 
visiter avec lui , près dé l'Orotava , les sites 
délicieux de San Juan de la Eambla et de 
Rialexo de Abaxo '. Mais, dans un voyage 
conmie celui que je venois d'entreprendre, 
on jouit peu du présent' Tourmenté sans cesse 
de la crainte de ne pas exécuter les projetsdu 
lendemain , on vit dans une inquiétude perpé- 
tuelle. Les personnes qui aiment passionné- 
ment la nature et les ar Ls , éprou vent ces mêmes 
sensations en parcourant la Suisse ou l'Italie. 
Ne pouvant voir qu'une petite partie des 

' Le dernicir de ces deiiit villages est placé au pied 
de la liaule montagne de Tïg.Tjg.i. 



CHAPITRE II. 245^ 

qbjets qui les attirent , ils sont troublés dans 
leurs jouissances par les privations qu'ils s*im- . 
posent à chaque pas. 

. Le 21 juin au matin ^ nous étions déjà en 
route pour le sommet du volcan. M. Le Gros, 
dont nous ne pouvons assez louer la politesse 
prévenante , M. Lalande , secrétaire du con- 
sulat François à Sainte-Croix de TénériflPe , et 
le jardinier anglois du Durasno, partagèrent 
les fatigues de cette excursion. La journée 
nétoit pas très-belle; et le sommet du Pic, 
qui est généralement visible à TOrotava, 
depuis le lever du soleil jusqu'à dix heures, 
étoit couvert de nuages épais. Un seul chemin 
conduit au volcan par la Villa de Orotas^a , 
la Plaine des Genêts etle Malpajs^ c'est celui 
qu'ont suivi le père Feuillée , Borda , M. La- 
billardière,Barrow, et tous les voyageurs qui 
n'ont pu séjourner que peu de temps à Té- 
nériffe. Il en est de Texcursion au Pic comme 
de celles qu'on fait communément dans la 
vallée de Ghamouni et à la cime de l'Etna, 
où l'on est forcé de suivre ses guides \ partout 
on ne voit que ce qui déjà a été vu et décrit 
par d'autres voyageurs. 

Nous fumes agréablement surpris du 



3^S i.ivrtE r. 

coiilraste que la végoUtlion de celle parliede 
TéncriiTe offroit ;tvec celle des environs de 
S.iînte-Croix, Sous l'influence d'un clîmal frais 
et humide, le sdI y éloil couverl d'une belle 
verdure ; tandis que , sur le chemin de Sainte- 
Croix à lu Laguna les phniles ne présentoient 
que des capsules dont les graines étoient déjà 
tombées. Près du port de la Cruz, la force 
de la végétation entrave les recherches géolo- 
giques. Nous passâmes au pied de deux petites 
collines qui s'élèvent en forme de cloche. 
Des observations faîtes au Vésuve et en Ali- 
vergne font croire que ces mamelons doiveot 
leur origiite à des éruptions latérales du grand 
volcan. L.t colline appelée la MnntaTiita de 
la f-^il/n j yavoU en eiïet avoir Jelé jadis des 
la\ es ; selon les tradilions des Gnanches , celle 
érnphdii cul lieu en i/j-jo. Le colonel Franqui 
assura à Borda qu'on distin|^noil encore l'en- 
droit uù les matières fondues étoienl sorties, 
et que les cendres qui couvroîenl le terrain 
voisin n'étoient point encore productives '■ 

' Ce fait tst tiré H'im manuscrit intéressant con- 
servé aii^ounl'hui il Paiis, au Dépôt de^ Cartes de la 
Maiiiie. Iljioitele titre de R ■su/né ihn opérations de la 
campagne de luBousiole (en iTj&), pour déterminer 



ÇHiPITRK II. S47 

Partout où la roclie paroît au jour, nous dé- 
couvrîmes de Taiiiygdaloïde basallique ' re- 
couverte d'une argile endurcie " qui enchâsse 
des rapilii ou fragmens de pierre ponce. Cette 
dernière formation ressemble au tuff du Pau- 
-silippe et aux couches de pouzzolane que 
j'ai trouvées dans la vallée de Quito , an 
pied du volcan de Pichincha. L'amygdaloïde 
a des pores très-alongés , comme les couches 
supérieures des laves du Vésuve. On croit y 
reconnoitre l'action d'un fluide élastique qui 
a percé la matière en fusion. Malgré ces ana- 
logies, je dois répéter ici que, dans toute la 
région basse du Pic de Ténériffe , du coté de 
l'Orotava j je n'ai reconnu aucune coulée de 

les positions géographiques des côtes d'Espagne et de 
Portugal sur rOrHan, d'une partie des côtes occi- 
dentales de l' Afrique et des îles Canaries , par le che- 
valier de Borda. C'est le manuscrit dont parle M. de 
Fleurieu dans les notes tju'il a aîoutàcs an Voyage de 
Marchand, Tom. II , p. ii , et que M. de Borda m'a- 
Toit déjà communiqué en partie avant mon départ. 
Gimme j'en ai estraît des observations importantes, 
qui u'ont jamais été puLliées, je le citerai dans cet 
ouvrage sous le titre du Manuscrit du Dépôt, 

' Basaltartiger Mnndehtein , PVerner. 

î Bimsteia-Conglamerat , JV, 




248 LIVRE r. 

laveSj auciiit courant dont les Uiiiites fussent 
bien Irancliées. Les lorrens et les inondations 
changent la surface du globe ; et lorsqu'un 
grand nombre de coulées de laves se réu- 
nissent et sVpanchent dans une plaine, comme 
je l'ai vu au Vésuve , dans V Atrio dai Cavalh, 
elles semblent se confondre les unes avec les 
autres, et prennent l'apparence de véritables 
couches. 

La f^iila de Orotava s'annonce agréable- 
ment de loin, par la grande abondance des 
eaux qui en traversent les rues principales. La 
source d'^guei ninnsn , recueillie en deux bas- 
sins spacieux , sert à mettre en mouvement 
plusieurs moulins, et est distribuée ensuite 
aux vignobles des coteaux voisins. On jouit à 
la f^i//a d'un climat encore plus frais qu*au 
port de la Cruz, la brise j soufflant avec 
force depuis dix heures du matin. L'eau qui 
a été dissoute dans l'air , à une température 
plus élevée , se précipite fréquemment et rend 
le climat très-brumeux. La Villa est à peu 
près élevée de 160 toises (jia'".) au-dessus 
de lasurf,.ce de l'Océan, par conséquent deux 
cents toises de moins que le sol sur lequel est 
construite la Laguna ; aussi observe-t-on que 



CHAPITRE II. 249 

les mêmes espèces de plantes fleurissent un 
mois plus lard dans ce dernier endroit. 

L'Orotava , r;incien Tjoro des Guanches , 
est pliicée sur la pente très-rapide d'une col- 
line : les rues nous ont paru très-désertes; les 
maisons, solidement construites, mais d'un 
aspect luf^ubre , appartiennent presque toutes 
à une noblesse que l'on accuse de beaucoup 
d'orgueil , et qui se désigne elle-même sous le 
nom fastueux de dose casas. Nous longeâmes 
un aqueduc très-élevé et tapissé d'une iuBnité 
de belles fougères. Nous visitâmes plusieurs 
jardins dans lesquels lesarbres fruitiers de l'Eu- 
rope septentrionale sont mêlés aux Orangers, 
aux Grenadiers et aux Dattiers. Ou nous a 
assuré que ces derniers portent aussi peu de 
fruits ici qu'à la Terre-Ferme , sur les côtes de 
Guniana. Quoique nous connussions, par le 
récit de tant de voyageurs , le Dragonnier du 
jardindeM.b'rauqui, nous n'en lûmes pas moins 
frappés de son énorme grosseur. On assure 
que le tronc de cet arbre , dont il est question 
dans plusieurs docutnens très-anciens , comme 
désignant les limites d'un champ, étoit déjà 
aussi monstrueux au quinzième siècle, qu'il 
l'est aujourd'hui. Su hauteur nous parut de 




25o LIVRE 1. 

5o à 60 pieds; sa circonférence près des ra- 
cines est de ^5 pieds. Nous n'avons pas pu 
mesurer plusLaut ; mais sir Georges Sta union 
a trouvé que, 10 pieds au-dessus du sol, le 
diamètre du tronc est encore de ispiedsan- 
glois, ce qui s'accorde bien avec rassertion 
de Borda , qui trouva la grosseur moyenne 
de 35 pieds 8 pouces. Le tronc se divise en 
un grand nombre de branches qui s'élèvent 
en forme de candélabre, et qui sont termi- 
nées par des bouquets de feuilles , comme 
dans le Yucca qui orne la vallée de Mexico. 
C'est celle division qui lui donne un port bien 
différent de celui des Palmiers '. 

Parmi les cires organisés , cet arbre est sans 
doute, avecl'Adansonia ouBaobabduSénégal, 
un des babitans les plus anciens de notre globe. 
Les Baobabs excèdent cependant encore la 
grosseur du Dragonnier de la Villa d'Orotava. 
On en connoît qui , près de la racine, ont 
34. pieds de diamètre , quoique leur bauteur 

' J'ai donné, dans l'Atlas pittoresque qui a( 
pagne cette relation (PI. lviii), la figure du Dragonniei 
de Franqui, d'après une esquisse faite en 1776, pai 
M. d'OEoiinc, lors de l'espcdition de MM. de Bordi 

cl Varela. 



CHAPITRE II. sSl 

totale ne soit que de 5o à 60 pieds'. Mais il 
faut observer que les Âdansonia , comme les 
Ochroma et toutes les plantes de la famille 
du Bombax , croissent beaucoup plus rapide-* 
ment ' que le Dragonnier, dont la végétatioa 

' Âdanson est surpris que les Baobabs n'aient pas 
été cités par d'autres voyageurs. Je trouye , dans le 
Recueil de Grynaeus, qu'Aloysio Gadamosto parle 
déjà du graud âge de ces arbres monstrueux qu'il yit 
en i5o4, et dont il dit très-bien <c eminentia altitur- 
dinis non qiiadrat magnitudini, » Cadam. Navîg. , 
Cap. XLii. Au Sénégal et près de Praya , aux îles du 
cap Verd , MM. Adanson et Staunton ont observé des 
Adansonia dont le tronc avoit 56 à 60 pieds de circon- 
férence. Voyage au Sénégal, Tom. I, p. 54. Le Baobab 
de 34 pieds de diamètre a été vu par M. Golberry, 
dans la vallée des deux Gagnack. Fragmens d'un 
Voyage en Afrique^ Tom. II, p. 92. 

* 11 en est de même des Platanes (Platanus occi- 
dentalis) que M. Michaux a mesurés à Marietta ^ sur 
les bords de TObio, et qui, 20 pieds au-dessus du 
sol, conservoient encore un diamètre de i5 1^' pieds. 
[Voyage à V ouest des Monts- Alhghany , i8o4 , p. 93), 
Les taxus , les cbâtaigners , les cbénes , les platanes , 
les cyprès cbauyes^ les Bombax, les Mimoses, les 
Gaesalpinia , les Hymenaea et les Dragonniers me pa- 
roissent les végétaux qui , souâ les différens climats j 
offrent les exemples de l'accroissement le plus extrait 



sSa LIVRE I. 

est Irès-lenle. Celui du jardin de M. Franqui 
porte encore tous les ans des fleurs et des fruits. 
Son aspect rappelle vivement « cette jeunesse 
élernelle ' de la nature « qui est une source 
intarissable de mouvement et de vie. 

Le Dructenu . que l'on n'observe que dans 
des endroits cultivés aux îles Canaries, à 
Madère et à Porto Sauto , offre un phénomène 
curieux sous le rapport de la migration des 
vcfïclaux. Il n'a point été trouvé dans l'état 
sauvage , sur le continent de l'Afrique ', et les 

ordinaire. Vn chôue, trouvé conjointeinent avec des 
c-isques ç.iu'oi», en 1809, dans les tourbières de la 
Siiinmo , près du TÎUage d'Yscu5 , à 7 Leues d'Abbe- 
TÎUi', ne le cède pas en grosseur au Dragoanier de 
l'OroUiva. 5elon la notice donnée par M. TrauUée, 
le Ironc de ce chêne avoit i4 pieds de diamètre. 

' Aristot. d* ZAïngii. fllœ, Ca|>. ti (éd. Casanb. , 
p. 4^3). 

SI. Si'bousiwe. dans sa Flore de Maroc (Oojub 
nJ<-nst^è'^r.,S,:tl\ilsSlrrUlfr, B. /'., p. -i.nel'iD- 
dicine [OS seulement parmi les pl.intes cultivées , tandis 
<]u'd fait nienlion du Gietus, de l'Agave et dn Yuccju 
La foruic dti Cr.i^onnier se rclrouvc dans diSecentçs 
csj^êi-csdugenreDracrna.au cap de Bonne-Espérance, 
l'ii Chine et à la îiou(e'!e-Zêlaui!c: mats dans le noi|- 
re^iu inonde, elle est i eiuplacée par la forme du Tucct) 



CHAPITRE II. 253 

Indes orientales sont sa yéritable patrie. Par 
quelle voie cet arbre a-t-il été transplanté à 
Ténériffe où il n'est guère commun? Son 
existence prouve-t-elle qu'à une époque très- 
reculée y les Guanches ont eu des rapports 
avec d'autres peuples originaires de l'Asie? 

En sortant de la Villa de Orotava^ un sen- 
tier étroit et pierreux nous conduisit , à travers 
une belle forêt de châtaigniers ( el Monte de 
Castahos ) ^ dans un site qui est couvert de 
broussailles , de quelques espèces de lauriers 
et de la bruyère en arbre. Le tronc de cette 
dernière plante atteint ici une épaisseur extra- 
ordinaire ; et les fleurs dont die est chargée 
pendant une grande partie de l'année , con- 
trastent agréablement avec celles de l'Hype- 

car le Dracaena borealls d'Alton est un ConvalIariA 
dont il a aussi tout le port. Le suc astringent , connn 
dans le commerce sous le nom de sang de Dragon p 
est , selon les recherches que nous ayons faites sur les 
lieux , le produit de plusieurs régétaux américains qui 
n'appartiennent pas au même genre ^ et dont qndques 
uns sont des lianes. A la Laguna , on fabrique , dafl 
des courens de religieuses^ des cure-dents teints d 
suc du Dragoonier j el dont on nous a ranté l'usaf 
comme très-utile pour la conservation des gencivif 



256 LIVRE I. 

suite. L'accord que nous venons d'observer 
entre les mesures baroraélriqnes et thermo- 
métriques est d'autant plus frappant qu'en 
f^cneral , comme je l'ai exposé ailleurs ', dans 
les pays inontagoeux^ à penles rapides, les 
sources indiquent un décroisse m eut de calo- 
rique trop grand, p;irce qu'elles réunissent 
de pelils courans d'eau qui s'infiltrent à diflFé- 
renles liîtuteurs, et que leur température est 
par conséquent la moyenne entre les tempé- 
ratures deces courans. Les eaux du Dornaiito 
sont célèbres dans le pays; ce sont les seules 
que l'on connût à l'époque de mon voyage 
dims le chemin qui conduit à la cinre duYolcan. 
La formation des sources exig'e une certaine 
i-é^iiliirité dans la direction et l'inclinaison des 
couches. Sur un sol volciinique, les roches 
poreuses cl fendilli'es absorbent les eaux plu- 
viales et les conduisent ;'i de g-randes profon- 
deurs. De là, cette aridité dans la pltipart des 
îles] Canaries , njal^ijié la bauteur considérable 

' Oli!ifn:asCr.,\6\. I,p. 1 5a. Cesl ainsi que, dan» 
1rs Montagnes Bleues de la Jiiiiiaïijiie , M. Hiinter a 
trouvé les sources constninmeiit plus froides qu'elle) 
ne (levroîeiit rétii; d'apiùs la bauteur à laquelle elle> 

SQUidi'sriit, 



CHAPITRE II. 957 

de leurs montagnes et la masse de ntiages que 
les navigateurs voient sans cesse amoncelés 
au-dessus de cet archipel. 

Depuis le Pino du Dornajito jusqu'au cra- 
tère du volcan , on continue de monter sans 
traverser une seule vallée ; car les petits ravins 
( barancos ) ne méritent pas ce nom. Aux jeux 
du géologue , toute Tîle de Ténériffe n'est 
qu'une montagne dont la base presque ellip«- 
tiqueest alongée vers le nord-est^ et dans 
laquelle on distingue plusieurs systèmes de 
roches volcaniques formées à des époques dif- 
férentes. Ce que dans le pays on regarde 
comme des volcans isolés , tels que Chahorra 
ou Montana Colorada et la Urca y ne sont que 
des monticules adossés au Pic et qui en mas- 
quent la forme pyramidale. Le grand volcan, 
dont les éruptions latérales ont donné nais- 
sance à de vastes promontoires, n'est cepen- 
dai|t pas exactement au centre de l'île , et cette 
particularité de structure paroit moins surpre- 
nante , si Ton se rappelle que , d'après les 
observations d'un minéralogiste distingué *, 
ce n'est peut-être pas le petit cratère du Piton 

* M. G>rdier. 



258 EITBE I. 

qui a joué le rôle principal dans les reTolu- 
tions qu'a éprouvées l'ile de TénérifiFe. 

A la réfjion des brujères arboresceates , 
appelée Monte- f'ei'de, succède celte des fou- 
gères. Nulle part, sous la zone lerapërée,je 
n'ai vu celte abondancedePtcris, de Bleehnum 
et d'Asplenium : cependant aucune de ces 
plantes n'a le port des fougères en arbre qui, 
à cinq ou six cents loises de hauteur, font 
l'ornenient principal des forêts de l'Amérique 
équinoxiale. La racine du PterLs aquilioa sert 
de nourriture aux habitans de Palma et de 
Gomera; ils ia réduisent en poudre, et ils y 
mêlent un peu de farine d'orge. Ceraélanffe 
grillé s'appelle gofioj l'usage d'un aliment si 
grossier anuonce l'extrême misère du bas- 
peuple dans les îles Canaries. 

Le Monte- Verde est entrecoupé par plu- 
sieurs petits ravins (ca/ïrtrfflj) très-arides. En 
sortant de la région des Ibugères on tra- 
verse un bois de genévriers (cedm) et de 
sapins qui a beaucoup souffert par la vio- 
lence des ouragans. C'est dans cet endroit 
désigné par quelques voyageurs ' sous le nom 

• Lerojagesefitau mois d'août 1715. /"AïV-rrons., 
Vol. XXIX, p. 317. Carabela est le nom d'une em- 



CHAPITRE II. 2 $9 

de la Caravela , que M. Edens prétend avoir 
vu de petites flammes que^ d'après la physique 
de son temps , il attribue à des exhalaisons 
sulfureuses qui s'enflamment d'elles-mêmes. 
Nous continuâmes de monter jusqu'à la Roche 
de la Gajrta et au Portilloj c'est en traver- 
sant ce passage étroit entre deux collines 
basaltiques 9 qu'on entre dans la grainde Plaine 
des Genêts \ Lors de l'expédition de Lapé- 
rouse , ]VL Manneron avoit réussi à niveler 
le Pic, depuis le port de l'Orotava jusqu'à 
cette plaine élevée de près de quatorze cents 
toises au-dessus du niveau de la mer , mais le 
manque d'eau et la mauvaise volonté des 
guides l'empêchèrent de continuer le nivel- 
lement jusqu'à la cime du volcan. Les ré- 
sultats de cette opération , qui a été terminée 
aux deux tiers, n'ont malheureusement pas 
été envoyés en Europe, et c'est un travail 
à recommencer depuis la cote. 
Nous mimes près de deux heures et deâ 

m 

barcatlon à roile latine. Les pins da Pic sem 
)adb pour la mâture des Taîsseaox, et la marine jr 
faisoit ses coupes (cortex de 3Iadera) dans le Ht 
Verde. 

' Loê LLinos d^l Rétama, 



36o MTRB I. 

à traverser la Plaioe des Genêts qui n'offre 
à la vue qu'une immense mer de sable. 
Malgré l'élévation de ce site, le thermomètre 
centigrade s'élevoil à l'ombre, vers le cod- 
cher du soleil, à i3",8, c'tst-à-dire à S°,y 
de plus que vers le milieu du jour dans le 
Monte-Vertie. Celle aug'nientation decbnleur 
ne pouvoit être attribuée qu'à la réverbé- 
ration du sol el à l'étendue du plateau. Nous 
souffrîmes beaucoup de la poussière suffo- 
cante de pierre ponce, dans laquelle nous 
étions sans cesse enveloppés. Au miUen de 
ce plateau s'clèvenl des touffes de Rétama j 
qui est le Spartium nubigenuni d'Aiton. Cet 
arbuste charmant, que M. de Martinière' 
conseille d'introduire en Languedoc où le com- 
bustible est rare, acquiert jusqu'à neuf pieds 
de hauteur : il est couvert de fleurs odori- 
férantes, dont les chasseurs de chèvres, que 
nous rencoD trames sur la route , avoient 
orné leurs chapeaux de paille. Les chèvres 
du Pic, qui ont le poil d'un brun très-foncé, 
sont regardées comme un mets délicieux : elles 

* Un des botanistes i^I ont péri dans l'expédition du 
Lapécouse. 



CHAPITRE II. i6t 

se nourrissent des feuilles du Spartiapi, et 
sont sauvages âaaa ces déserts depuis un 
temps immémorial. Ou tes a même trans- 
portées à Madère, où elles sont préférées 
aux chèvres veunes d'Europe. 

Jusqu'à la Roche de la Gajta, ou à l'en- 
trée du vaste plateau des Çenets, le Pic de 
Ténériife est couvert d'une belle végétation : 
rien n'y porte le caractère d'une destruction 
récente. On croiroit gravir la pente d'un 
volcan dont le feu est aussi anciennement 
^int que celui du- Monte - Gavo , près de 
Rome. A peine arrive-t-on dans la plaine 
couverte de pierre ponce, que le passage 
change d'aspect; à chaque pas on rencontre 
d'immenses blocs d'obsidienne lancés par le 
volcan. Tout y annonce une solitude pro- 
ibnde,- quelques chèvres et des lapinai pacx 
courent seuls ce plateau. La partie stérile 
du Pic occupe plus de dix lieiifs < 
et, comme les régions inférieures vues < 
l'éloignement se rétrécissent ^ l'Ue paroîKJ 
immense amas de matières brûlées^ aatO 
duquel la végétation ne forme qu'une 1 
étroite. 

En sortant de la région du .Spartium i 




j^UMM , Boos puTinmes , par des gorges 
resserrées et pu* de petits ravim que les 
torre&soatcTeasestrès-ancieaDeDieDt, d'abord 
à on pbteiu plosélefé {et ifonlom de Tn'go), 
paê j l'etidroit où ooas devions passer la 
■ail. Cette stittoo, qtii a plu5 de i^5o toises 
dl'êtevadoo au-dessus des côtes , porte Je nom 
Ai b H»be dtï ^M^iois y £stiiacia de los 
Imgiesfs'. Sans doute parce que jadis lesToja- 
^ups ao^Iois etoieut l'Alix qui visîtoient le 
pluï ïrvqueiuiuent le Pic. Deux rochers în- 
<iùies formeul une sorte de caverne qui offre 
un jhri coulre le Teot. Cerf jusqu'à ce point, 
dt-jj plus élevé qiie le sommet du Canigou, 
que lou peut monter à dos de mulets; aussi 
beaucoup de curieux qui , en partant de 

' C«lt^ ^Doaûnitioa étoïl c*iê)à oàtée an commen' 
onKOl <1« tVrairr siè<:i<>. M. Yâetm, qui corrompt 
to<t$ les BMls iKpasniolj. comme l'on*, encore de dm 
îi«tirs U plupart des »ovageur> , l'appelle U S:amcAa : 
<'cit U Stj.'.'on ifci Rochm de M, de Borda, comme 
Vf (ivuxrnt le* hauteurs barométriques qni j OBt éi* 
obét^Mïrs. Ces lualeure éloieol , d'après M. Cordier, 
en i8.^, île 19 pouc. 9,5 li^. , et, d'après U M. Bord* 
ei ^ areU, en fé, de 19 ponc. g,8 lig. , le barCK 
mètre w soutenant â TOrotaTa , à une ligne près, â la 
uiênK élévation. 



CHAPiTRË n. s65 

rOrotava, avoient cm parvenir jusqu'au bord 
du cratère, s'arrétent-ils à cet endroit. Quoique 
au fort de l'été et sous le beau ciel de l'Afrique, 
□ous souârlmes du froid pendant la nuit. 
Le thermomètre baissa jusqu'à 5°. Nos guidés 
firent un grand feu avec des branches sècheâ 
de Rétama. Dépourvus de tentes et de man- 
teaux, nous nous étendîmes sur un amas 
de roches brûlées, et nous fûmes singuliè- 
rement incommodés par la fiamme et U 
fumée que le vent chassoit sans cesse vers 
Dous. Nous avions essaj^é d'établir une sorte 
de paravent avec des draps liés ensemble- 
mais le feu prit à celte clôture , et nous ne nous 
en aperçûmes que lorsque la phis grande 
partie en étoit conmmée par le» fiaiumefi< 
Nous n'avions jamais passé la nuit à une 
à grande élévation , et je ne me doutois i 
alors que, sur le dos des Gordillëres, 
habiterions un jour des villes dont le soï 6St' ' 
plus élevé que la cime du volcaa i 
devions atteindre le leodemain. ] 
pérature diminuoit, et plus le E 
de nuages épais. La uuit iotet 
du courant ascendant qui, pefld 
a'élève des plaines vers les : 




264 LIVRE I. 

de l'atmosphcre, et l'air, en se refroidissant, 
perd de sa force dissolvaule pour l'eau. Le 
\ent du nord chassoit avec beaucoup de 
force les nuages; la lune perçoit de temps 
en temps à travers les vapeurs , et son disque 
se montroit sur un fond d'un bleu extrê- 
mement foncé : l'aspect du volcan donnoit 
un caractère majestueux à cette scène noc- 
turne. Tantôt le Pic étoit entièrement dérobé 
à nos )eiix par le brouillard, tantôt il pa- 
roissoit dans une proximité effrayante; et, 
semblable à une énorme pyramide, il pro- 
ietoit son ombre sur les nuages placés au- 
dessous de nous. 

Vers les trois heures du matin, à la lueur 
lugubre de quelques torches de pin , nons 
nous mîmes en route pour la cime du Piton. 
On attaque le volcan du coté du nord-est, 
où les pentes sont extrêmement rapides, et 
nous parvînmes, après deux heures, à ua 
petit plateau qui , à cause de sa situation 
isul'e , porte le nom à'jiUa J^ista. C'est 
aussi iit station des N'-xieros, c'est-à-dire des 
indigènes qui font le métier de chercher 
de la glace et de la ueige qu'ils vendent 
dans les villes voisines. Leurs mulets, plus 



CHAriTBE II. 



265 



accoiitamés à gravir les montagnes que ceux 
que l'on donne aux vojageurs, arrivent à 
Va ha Vista, et les Neveros sont obligés 
de porter jusque-'làles neiges sur leurs'dos. 
Au-dessus de ce point commence le Malpays ^ 
dénooiination par laquelle on désigne ici, 
comme au Mexique, au Pérou et partout 
où il y a des volcans, un terrain dépourvu 
de terre végétale et couvert de fragmens 
de laves. 

Nous fîmes un détour vers la droite pour 
examiner la Caverne de glace, placée à 1 728 
toises de hauteur, par conséquent au-dessous 
de la limite où commencent les neiges per- 
pétuelles sous cette zone. Il est probable 
que le froid qui r^fne dans cette caverne , 
est à^ aux mêmes causes qui perpétuant 
les glaces dans les crevasses du Jara et dca 
Apennins, et sur lesquelles les opinions dâ 
pbjsicieos sont encore assez partagées', i^ 

■ Saussure, Voyage dans ha 
Prévost , du calorique rayonnant , 
U plupart des cofea de glace , par e 
de Saint-George, entre Niort et Ro! 
minca de glace limpide se forme mèi 
paroii da rocher nlicaîre. M. Pictel 




266 LIVRE I. 

glacière naturelle tlu Pic n'a cependant pas 
de ces ouvertures perpendiculaires par les- 
quelles l'air chaud peut sortir, tandis que 
l'air froid demeure immobile au fond. 11 
paroit que la glace s'y conserve à cause de 
son aecninulation , et parce que sa Fonte est 
ralentie par te froid que produit une éva- 
puration rapide. Ce petit glacier souterrain 
se trouve dans une région dont la tempé- 
ture moyenne n'est vraisemblablement pas 
an -dessous de ô", et il n'est pas, comme 
les véritables glaciers des Alpes, alimenté 
par des eatix de neige venant du sommet 
des monlagnes. Pendant l'hiver, la oave se 
remplit de glace et de neige; et, comme 
les rayons du soleil ne pénètrent pas au-delà 
de l'ouverture, les chaleurs d'été ne sont 
pas sufiîsiinfes pour vider le réservoir. L'exis- 
tence d'une glacière naturelle dépend, par 
conséquent, moins de l'élévation absolue de 
la crevasse et de la température moyenne 
de la couche d'air dans laquelle elle se 

cette époque le tliermo mètre ne descend pas , dans 
l'air de la cave , au-dessous de 2 à 3 degrés , de sorte 
qu'il fant altribiier la congélation à une évaporntion 
locale et extrêmement rapide. 



CHAPITRE II. -267 

trouve ; que de la quantité de neige qui y 
entre en hiver et du peu d'action des vents 
chauds qui soufflent en été. L'^air renfermé 
dans Fintérieur d'une montagne est diffici- 
lenfient déplacé, comme le prouve leMonte*^ 
Testaeeo à Rome, dont la température est 
si différente de celle de lair environnant. 
Nous verrons par la suite qu'au Ghimborazo ^ 
d'énormes monceaux de glaces se trouvent 
couverts de sables, et, de même qu'au Pic, 
bien au-dessous de la limite inférieure des 
neiges perpétuelles. 

C'est près de la cave de glace ( Cueva del 
Hielo ) que, dans l'expédition de Lapérouse^ 
MM. Lamanon et Mongès ont fait leur expé-^ 
rience sur la température de l'eau bouillante. 
Ces physiciens l'ont trouvée de 88^,7 ^ le baro- 
mètre se soutenant à 19 pouces i ligne. Dans 
le royaume delà Nouvelle-Grenade , à la cha-* 
pelle de la Guadeloupe , près de Santa-Fe de 
Bogota, j'ai vu bouillir l'eau à ^'\^ sous une 
pression de 19^' i'',9. A Tambores, dans hn, 
province de Popayan , M. Caldas a trouvé la 
chaleur de l'eau bouillante de 89^,6, le baro- 
mètre se soutenant à 18^' ii ^,6. Ces résultats 
pourroient faire soupçonner que , dans l'ex-» 



s 



aCS LITRE I. 

périence de M. Lamaoon , l'eau n'avoit pw 
toiit-à-fiiil atteint le maximum de sa tempé- 
rature '. 

11 comraencoit à faire jour lorsque dous 
quiltâoies la caverne de glace. Nous obser- 
vâniesalors, pendant le crépuscule, unphéno- 
mène assez commun sur les hautes montagnes , 
mais que la position du volcan sur lequel nous 
nous trouvions rendil singulièrement frappant. 
Une couche de nuages blancs et floconneux 
nous déroboit la vue de l'Océan el celle des 
basses régions de l'île. Cette couche ne pa- 
roissoit élevée que de 800 toises; les nuages 
éloiciil si uiiirormémenl répandus , et se sou- 
tenuient dans un niveau si parfait , qu'ils 
oÛToienl l'aspect d'une vaste plaine couverte 
déneiges. La iiyraniide colossale du Pic, les 
cimes volcaniques de Lancerote, de Forla- 
venltue oldul iie dePalmas'élevoienl comme 
dus écueils au milieu de cette vaste mer de 
vapeurs. Leurs teintes noirâtres contrasloieot 
avec la blancheur des nuées. 

Tandis que nous gravissions sur les laves 

' Le calcul fait d'après les tables de M. Dahao , 
lionne pour la CuKva, 89°, 4, et pour la Guadeloupe, 

Sij", 5. 



CHAPITRE II. ï6ç) 

brisées du Malpays , en dous aidant souvent 
des mains j nous aperçûmes un phénomène 
d'optique très-curieux. Nons crûmes voir du 
côté de l'est de petites fusées lancées dans 
l'air. Des points lumineuxélevés de ;: à Sdegrés 
au-dessus de l'horizon, paroissoient d'abord 
se mouvoir dans le sens vertical; mais peu à 
peu leur mouvement se convertissoit en une 
véritable oscillation horizontale , qui duroit 
pendant huit minutes. Nos compagnons de 
voyage , nos guides même , furent surpris de 
ce phénomène , sans que nous eussions besoin 
de les en avertir. Nous pensâmes au premier 
coup d'œil que ces points lumineux , qui vol- 
tigeoient çà et là , étoieut l'indice de quelque 
nouvelle éruption du Grand Volcan de Lan- 
cerote. Nous nous rappelâmes que Bouguer 
et Lu Gondamine , en montant sur le volcan 
de Pichincha, avoient été témoins de l'érup- 
tion du Cotopaxi ; mais l'illusion cessa bientôt, 
et nous reconnûmes que les points lumineux 
étoient les images de plusieurs étoiles agran- 
dies par les vapeurs. Ces images restoient im- 
mobiles par intervalles; puis elles sembloient 
s'élever perpendiculairement , se porter de 
côté en descendant , et revenir au point d'où 



S^O LIVRE I. 

elles étoient pnrtîes. La durée de ce momt- 
ment étoit d'une ou de deux secondai 
.Quoique dépourvus de ruojens assez précis 
pour mesurer ]a grandeur du déplacement 
latéral , nous n'en observâmes pas moins dis- 
tinctement la marche du point lumineux. Il 
ne paroissoit pas double par un effet de 
mirage , et il ne laissoit aucune trace lumi- 
neuse derrière lui. En mettant, dans la lunette 
d'un petit sextant de Trought-on , les étoiles 
en contact avec le sommet élancé d'une mon- 
tagne de Lancerote , j'observai qae l'oscilla- 
tioa étoit dirigée constamment vers le même 
point , c'est-à-dire vers la partie de l'horizon 
où le disque du soleil devoit paroître , et que, 
faisant abstraction du mouvement de l'étoile 
en déclinaison , l'image revenoit toujours à la 
même place. Ces apparences de réi'raction 
latérale cessèrent long-temps avant que la 
clarté du jour rendît les étoiles entiërement 
invisibles. J'ai rapporté fidèlement ce que 
nous avons vu pendant le crépuscule , sans 
enlicprcndre d'expliquer un phénomène si 
extraordinaire, que j'ai déjà fait connoître, ily 
a douze ans , dans le journal astronomique de 
M. de Zach. Le mouvement des vapeurs vési- 



CHAPITRE II, 271 

culaires , causé par le lever du soleil , le 
mélaDge de plusieurs couches d'air dont la 
température et la densité sont très-différentes, 
çontribuoieQt sans doute à produire un dépla- 
cement des astres dans le sens horizontal. 
Nous voyons quelque chose d'analogue dans 
les fortes ondulations du disque solaire lors- 
qu'il rase l'horizon : mais ces ondulations 
excèdent rarement vingt secondes , tandis 
que le mouvement latéral des étodes , observé 
au Pic , à plus de tSoo toises de hauteur, se 
distinguoit facilement à la simple vue , et 
paroissoit excéder tout ce que l'on a cru 
pouvoir regarder jusqu'ici comme un effet 
de la réfraction de la lumière des astres. 
Sur le dos des Andes , à Antisana , je me 
suis trouvé , au lever du soleil et pendant 
une nuit entière, à 2100 de hauteur, mais 
je n'ai rien aperçu qui ressemblât à ce phé- 
nomène. 

Je désirois pouvoir observer exactement 
l'instant du lever du soleil à une élévation 
aussi considérable que celle que nous avions 
atteinte au PicdeTénériffe. Aucun voyageur, 
muni d'insErumens , n'avoit encore fait une 
telle observation. J'avois une lunette et un 



173 LIVRE I. 

chronomètre dont je connoissois la marche 
avec beaucoup de précision. Dans ta partie 
où le disque du soleii devoit paroître, l'hori- 
zon étoil dégagé de vapeurs. Nous aperçûmes 
le premier bord à 4' 48' â:V' en temps vrai, 
et, ce qui est assez remarquable, le premier 
point lumineux du disque se trouvoit immé- 
diatement en contact avec la limite de l'hori- 
zon ; par conséquent nous vîmes le véritable 
horizou , r'esl-à-dire une partie de la mer, 
éloignée de plus de 4^ lieues. Il est prouvé 
par le calcul que , sous le même parallèle, 
dans la plaine , le lever auroit dû commencer 
à S"! 1' 5o",4 ou ii'5i",3 plus tard qu'à la 
hauteur du Pic. La différence observée étoit 
de i 2 ' 55", ce qui provient sans doute de Tin- 
cerlilude des réfractions pour une distance au 
zénith où l'on manque d'observations '. 

' On a supposé dans le calcul, pour fjx" 54' dedû- 
tance apparente au zénitli, 67' 7" de réfractiou. he 
soIpîI levant paroît plutôt au Pic de Ténériffe qiw 
dans la plaine du temps qu'il lui faut pour parcourir 
uu arc de 1° 54'. La grandeur de cet arc n'augmeute 
que de 4i' pour le sommet de Chiinboraïo. JjCs an- 
ciens avoieul des idûes si exagérées sur l'accélératiott 
du lever du soleil à la cime des Itautea moutagues, 



cnApiTr.Ë II. 373 

Nous fûmes surpris de l'extrême lenteur 
avec laquelle le bord inférieur du soleil 
paroissoit se détacher de l'horizon. Ce bord 
ne devint visible qu'à 4'' S6' 5 .". Le disque 
du soleil , très-aplati , éto t bien terminé ; il 
b'j eut, pendant le lever, ni double image, ni 
alongement du bord inférieur. La durée ' du 
lever du soleil étant triple de celle à laquelle 
nous devions nous attendre à cette latitude, 
il faut croire qu'un banc de brume très- 
uniformément répandue cachoit le véritable 
horizon , et suivoit le soleil à mesure que cet 
astre s'élevoit. Malgré le balancement des 
étoiles % que nous avions observé vers l'est, 

qu'ils admetto'ient que cet astre itoît yisible au Mont- 
Atlios trois heures plus tôt que sur les côtes de la 
mer Egée. {Straho, edit. Almdoven , Llb. Vil, p. 5io). 
Cependant l'Atlios, d'après M. Dclaïubre, n'a que 
713 toises d'élévation. Choiseul Gouffier , Vay. pitt. 
de la Grèce , ïtim. II , p. i4o. 

• La durée apparente fut de 8' i", au lieu de a' 4i". 
Quoique mes journaus renferment près de quatre- 
vingts observations du lever cl du coucher du soleil, 
faites , floit pendant la narigation , soit sur les côtes , 
je n*ai jamais vu un relard très-sensible, 

* Un astronome célèbre (Mon. Corree. , 1800, 
p. 396) a comparé ce pliénomëae d'un balancement 



374 tivnE 1. 

on ne saiiroit attribuer la lenteur du lever 
à une rcl'rarlion exlraordinaire des rayons 
que nous renvoyoit I horizon de la mer; car 
c'est jii^lement au lever du soleil , comme Le 
Gentil l'a observé journellement à Pondi- 
cht'i'V ■ el roinme )e l'ai remarqué plusieurs 
fois à Ciniiana . que l'horizon s'abaisse à cause 
de l'élévalion de teiiipéraliire qu'éprouve la 
couche d'air ' rjiii repose iuimédialeinent sur 
la surface de l'Océan. 

La roule que nous fûmes obligés de nous 
frayer à travers le Malpays, est extrêmement 
fatigante. La montée est rapide , et les blocs 
de laves fiiyoient sous nos pieds. Je ne puis 
comparer cette pyrlie du chemin qu'à la 
moraine des Alpes ou à cet amas de pierres 
roulées que l'on trouve à l'extréniilé infé- 

apparent des étoiles a celui décrit dnus les Géor- 
giques ( I.ib. I , v. 3 5 }. Mais ee passage n'a rapport 
qu'aux, ituiies litanies (jue les anciens, de même que 
ztos marias , regafOoieiit coii]nie un pronostic du vent. 
Le poi^le latin paraît avuir imilé les vers d'Aratus. 
Diusem., y. yafi , eilit. Buhla I, p. 2ol> {Lucret. II, 
V. i'(3}. 

' Biat , Jierh. sur les réfractions extraordinaires, 
p. 318, 333 et 238. 



CIIiPlTllE II. 2^5 

rieure des glaciers : au Pic , les débris de 
laves ont les arrêtes tranchantes, et laissent 
souvent des creux dans lesquels on risque de 
tomber à nii-corps. Mal lieu reusemeut la 
paresse et la mauvaise volonté de nos guides 
contribuoienl beaucoup à nous rendre cette 
montée pénible ; ils ne ressenibloient ni à 
ceux de la valkîe de Cliamouni , ni à ces 
Guancbes agiles dont on rapporte qu'ils pre- 
noietit un lapin ou une chèvre sauvage à la 
course. Nos guides canariens étoient d'un 
flegme désespérant ; ils avoient voulu nous 
persuader la veille de ne pas aller au delà de 
la station des Rochers ; ils s'asseyoient de dix 
en dis minutes pour se reposer : ils jetoient 
à la dérobée les échantillons d'obsidienne et 
de pierre ponce que nous avions recueillis 
avec soin, et nous découvrîmes qu'aucun 
n'étoit encore allé à la cime du volcan. 

Après trois heures de marche, nous arri- 
vilmes, à l'extrémité du Malpays, à une petite 
plaine appelée la Rambleta : c'est dans son 
centre que s'élève le Pilou ou Pain de Sucre. 
Du côté de l'Orotava , la montagne ressemble 
à ces pyramides à gradins que l'on retrouve 
dans le Fcjoum et au Mexique : car les plateaux 
j8' 



2-j(i LITHE I. 

du Rétama et de la Raraldeta forment deuï 
étages , dont le premier est quatre (ois plus 
élevé que le second. Si l'un suppose la hau- 
teur totale du Pic de igo^ toises, la Rambleta 
est élevée de 1820 toises au-dessus du niveau 
de la mer. C'est là que se trouvent les soupi- 
raux que les indigènes désignent sous le nom 
des Narines du Pic '. Des vapeurs aqueuses 
et chaudes sortent par intervalles de phisieurs 
fentes qui traversent le sol ; nous y vîmes 
monter le ihermométre à 45",2 : M. Labîllar- 
dière avoit trouvé la température de ces 
vapeurs, huit ans avant nous, de 55°,j ; diffé- 
rence qui ne prouve peut-cire pas autant une 
diminution d'activité dans le volcan , qu'un 
changement local dans réchaulfenient de ses 
parois. Les vapeurs n'ont aucune odeur et 
paroisscntde l'eau pure. Peu de temps avant 
la grande éruption du Vésuve, en i8o5, nous 
avons observé aussi, M. Ga^-Lussac et moi, 
que l'eau dégagée sous forme de vapeurs, 
dans l'inlérieurdu cratère, ne rougissoit point 
le papier leinl en tournesol. Je ne snurois 
admellre cependant 1 hjputhcse hardie de 

* Narices del P:co. 



</ w 



|n]iSKiisgAroK<<ffi^ 

les mv^QittiiTfs dHin wbiw i m» nmiiiml 
ToAxâse., fdtnti le £hiii1 est pluné jb-^iIc» 

les «vdlcais av*»r pl«» dr sim , ci «pe 
1 atuDur du rmenrieSncE fe &■! moie 

Cfuer cboH» Us €Hnnr3Ccs de i:<cioli]U!:tte « km 
cummeooé i jj^^ieT' d» Auxêê» tnès fûwdlèr 
ces comaniincciDrooLis «SômExtas et oanstuiites 
eutre les «euis «de Li ■acr et les £:4veTf> ém ttm 

m 

Tolcaniqiie ^ Ob pénal tsiowier vae expii- 
caÛQD lrè«^tD}(illc cTon phenonêoe qui n'a 
xien de Inbn «arpresKoiiS. Le Pic est ooiinrcit 



' Cetie quesiivii ii âé grii^'niée: itiFse bmaosnp «le 
(agacité par IflL Dirfiîiibi , «Autt^ i«Mi tn^uJjcz.ijme m^ 
QtsoUtg'utj TuHDL. 11 . j»- 3ia-i, S^'' «fi 14*- Le O.C9^>l2Î 
k PopocatapenS^ gaç '"^m ^tb "<*» «A*: k fomét et ôe» 
cendres eu < 8o4 ^ iiub. pAai» dâûpi^» .Ab Grubd^Aota» 
et de la mes* à» A&iS]^ €^ G tesAUc sue F«it <ik U 
Méditerranée, t4 Osit»ia ^ rAdbeu^u^K:. Il m; Cwid 
pas ooaaidérer cmnoie jpurifair^jil acicik)itwiutl k ÊMt 
^|tte Fou u'ait pM::^ «xieiw^ (iL^^«^-.^rvt an» t^^^cim MtMp 
ékAçné de plu^ <•»: <o> ;Ht>tu» aurviu^yi #i<e?i #^4A* 4f 
FOcéan; ms<H» >»• yftg,Wî4iî: (^ymMui^ firkir^^mUc^<^ VUf^ 
fodiese que W «ir^-s i^ 11» Mt»? <i.vtvS Hfin^f^t^i^ ^ iKfi 



eyS LivnE 1. 

de neiges une partie de l'année ; nous-mêmes 
nous en irouvAmes encore dans la pclite plaine 
de la RambleU : de plus, MM. Odonell et 
Annstrong ont découvert , en 1806 , une 
source très-:ibondante dans le Malpajs , à 
cent toises au-dessus tlela caverne des glaces, 
qui elle-même peut être alimentée en partie 
par cette source. Tout , par conséquent, fait 
présumer que le Pic de Ténériffe , comme les 
volcans des Andes et ceux de l'île de Lucon , 
renferme dans son intérieur de grandes cavités 
qui sont rempiles d'eaux atmosphériques , 
ducs à la simple iniiltralion. Les vapeurs 
aqueuses qu'exhalent les JSarincs et les cre- 
vasses du cratère , ne sont que ces mêmes 
eaux rliaufTécs par les parois sur lesquelles 
elles coulent. 

Il nous restoit à gravir la partie la plus 
escarpée de la montagne, le Piton, qui en 
forme la sommité, La penLe de ce petit cône, 
couvert de cendres volcaniques et de fragmens 
de pierre ponce, est tellement incline qu'il 
seroit presque impossible d'atteindre la cime, 
si l'on ne suivoît un ancien courant de laves 
qui paroît être sorti du cratère, et dont les 
débris ont résisté aux injures du temps. Ces 



CHAPITRB n. Sjg 

àArk forment qo mur de roches scorîfiées 
qui se prolonge au milieu des cendres mobiles. 
Noos moalàmes le Piton en nous accrochant 
i ces scories dont les arrêtes sont tranchantes, 
et qui y à demi-décom posées, nous restoient 
sourent à la main. Nous employâmes près 
d'aœ demi-heure a gravir une colline dont 
Il hauteur perpendiculaire est à peine de 
qaatre-Yingt-dix toises. Le VésuTC % qui est 

* D'après les mesures barométrîqaes que nous 
tTonsfatîes, M. Léopold de Boch, M. Gaj-Lussac et 
WH, en i8o5 y le Vésuve a diminué de hauteur du 
côte du sud-ouest y depuis l'aDuée 1794, où une partie 
du cône s'écroula deui. jours après que les cendres 
aToient été lancées. Saussure aToit trouvé le Vésuve , 
en 1775 y de 609 toises, à une époque on les bords du 
cratère conservoient partout à peu près la même élé- 
vation. Shuckburgb mesura, en 177^), une colline 
placée au milieu du gouOre; elle avoit 61 5 toises de 
bauteur : elle existoit à peine lors du vojage de Saus- 
sorc, et elle disparut dans l'éruption de 1779. C'est 
Téraption de 1794 qui a causé la grande inégalité des 
deux bords du cratère : cette inégalité éloit , en 1 8o5, 
de 71 toises. M. Poli trouva le Vésuve , peu de temps 
avant ^ de 606 toises d'élévation. Sliuckburgb donne 
À la pointe la plus élevée de la Somma, celle del 
rUello, 584 toises. Cette observation ne s'accorde 



aSo LIVRE I. 

trois fois plus bas que le volcan de Tcnériffe, 
est terminé par un cône de cendres presque 
trois fois plus élevé , mais dont la penle est 
plus douce et plus accessible- De tous les vol- 
cans que j'ai visités, il n'y a que celui de 
Joi'ullo , au Mexique , qui offre de plus grands 
obstacles que le Pic, parce que la montagne 
enlière est couverte de cendres mobiles. 

Quand le Pain de sucre {td Pilon) est cou- 
vert de neige, comme à l'entrée de l'hiver, 
la rapidité de sa pente peut mettre le voya- 
geur dans le plus grand danger. M. Le Gros 
nous montra l'endroit oii le capitaine Baudin 
avoitmanqué dépérir lors de son voyage àrîJe 
de la Trinité. Cet officier avoit eu le courage 
d'entreprendre , conjoinleinentavec les natu- 
ralistes Adicfiier, Maugeret Riedlé, une ex- 
cursion à lu cime du volcan , vers la fin de 

pas Irop Lien avec la hauteur que M. G.fj-Lussac as- 
BÎtjne an bord le plus (jIpïô du cratùre : cor, en i8o5, 
cette partie du bord senibloit avoir la même élévalio» 
que la l'uitta dcl Fittllo. J'ignore où SliucVburgh a 
placé son iastruoieut uu pied du cône de cendres; car 
il ne donne à ce point que 3i6 tjises d'élévation ab- 
solue. Voici le délai] des mesures faites par un tcmipa 
irés-calmcjavec un baroiactrc pottatif de Ramadea: 



CHAPITHE n. 28 i 

déoembre de Fanoée 1 797. Parrenu à la moitié 
delà hauteur du cône , il fit une chute ^ et il 




roula jusqu'à la pelile plaine de la Rambleta ; 
heureusement un monceau de laves, couvert 



I ' S r V ïï ■S % -S 

H 

si I S : "^ : : : 
■5 = : : Ë ^ 



M. tic la Jiimûllc 



CHAPITRE II. 383 

de neiges, Tempêcha de descendre plos bas 
arec une yitesse accélérée. On m'a assuré 
avoir tronvé, en Suisse , nn voyageur qui a 
élé suffoqué en roulant sur la pente du col 
de Balme , tapissée du gazon serré des Alpes, 
ibrrivés au sommet du Piton , nous fumes 
surpris d'jr trouver à peine assez de place 
poQS nous asseoir à notre aise. Nous fûmes 
arrêtés par un petit mur circulaire de laves 
porphjriques à base de de pechst^n : ce mur 
noas déroboit la vue du cratère '. Le vent 
d'cNiest souiSoit avec tant de violence , que 



dans le Moniteiir , aToîr troaré, par dix me* 
sares gL?Qiiiétriqaes^ la bau teur do VésoTe de 597 toises. 
n acroît à désirer qae Ton connàt le détail de ses 
opérations. Nos mesures donnent : pour le bord le 
j^as éferé da cratère , 606 toises ( 1 181 mètres); poor 
le ikord inférieiir , 655 toises ( io4a mètres] ; poar le 
fueé é^ cône de cendres^ 570 toses (7121 mètres); 
ponv Fberaitage de S«i SalTador> 3os toises (588 mè- 
tres). Tel étoit Fétat da Tésa^e pea de tem^ avant 
Férujptiaa de l'année iSo5, dans laquelle la laTe a 
£iit ane brèche au bord da cratère du coté de Torre 
è^L Greeo. 

^ Zm CàUàra on chaudière du Pic; dénominati^m 
^ vappeQe les Ouias des Pyrénées, Bamond , Voyfigi 
mit MonL-Psrduj p. i35. 



a84 LIVRE 1. 

nfiiis avions de la |)eine ànous tenir sur nos 
juniiics. Il éu>it liiiil heures dn niidin . et nous 
élLuDS triinsis de Irukl, quoique le iherino- 
mctre se soulînl un peu an-dessus du poist 
dti la con;,ff^liilioii. Depuis lung-teinps nous 
étions accoiiliiniés à une lenipéi'atiire très- 
e'Ievée , et le ven[ stT augnientoil la sensa- 
tion du i'iuid , parce tju'il eniportnil à chaque 
instant la petite couche d'air cband et Liiinide 
qui se lormoit autour de nous par l'elTet de 
la transpiration cutanée. 

Le cratère du Pîc ne ressemble point , par 
son bord, à ceux de la plu paît des antres vol- 
cans que j'ai visités^ par exemple, aux cratères 
du Vésuve , de Jarullo et de Pichincha. Dms 
ceux-ci, le Piton conserve sa (î'^urr coniqne 
jusqu'au sommet; toule leur pente est inclinée 
de la niénie quantité de deifrés, et couverte 
uniforméineiit d'une conrlie de pierre pniire 
extrênientent divisée : lorsqu'on paivient à la 
cirne de ces trois volcans , rien n'empêche de 
voir le fond du gouffre. Le Pic de TcnérifTe et 
le Colopaxi . au contraire , oui nue structure 
trèf-Jifiérente; ils présentent à leiirsoiiiniet une 
Crète ou nu mur ciicid.iire qui en^iro^ne le 
cratère : de loin, ce mur puroî t un petit cylindre 



CHAPITRE n* 285 

tabce smr un cône tronqué. Au Cotopaxi % 
reâte constmction particulière se distingue à 
k Ample Tue y à une distance de plus de 2000 
toîffes; aussi personne n'est jamais parrenn 
pncp'au cratère de ce y^lcan. Au Pic de Té- 
nériffe, la crête qui environne le cratère 
comme on parapet « e5t >i élevée qu'elle empé* 
ciieroit entièrement de parvenir à la Caldera 
si, du côté de l'est , il ne se trou voit une 
lirèirfae qui paroît l'effet d'un épancbement 
de taTCS très-anciennes. C'est par cette brèche 
qoe nous descendîmes vers le fond de l'cnton- 
Doir dcKit la figure est elliptique ; le grand 
axe en est dirigé du nord-ouest au sud-est, 
à peu près N. 35^ O. La plus grande largeur 
de l'ouverture nous parut de 3oo pieds ^ la 
plus petite de 200 pieds. Ces nombres s'ac- 
cocdeni assez avec les mesures de MM. Ver- 
^uin y Varela et Borda ' ; car ces voyageurs 
asNgDent 4o et 3o toises aux deux axes '. 

^ AtUu jâUoresque ^ PL x. 

* Voyage de la Flore , Tom. I, p. 94. Manuscrit 
dtk Dép&i de la Marine ^ cahier /^ p. i5. Voyage de 
McBTchand, Tom. Il , p. 11. 

'^ Bf . Cordier , qni a visité la cime du Pic quatre ans 
«ffift makj évalue le grand axe à 66 toises. (Joum. 



SSG LIVRE I. 

1! est aisé de concevoir que la grandeor 
d'un cratère ne dépend pas uniquement de 
la hanteur et de la niasse de la montagne 
dont il forme le soupirail principal. Cette 
ouverture est même rarement en rapport 
direct avec l'iotensifé du feu volcanique, ou 
avec l'activité du volcan. Au Vésuve , qui 
n'est qu'une colline en comparaison du Pic 
de Tcnérîfle, ie diamèlre du cratère est cinq 
fois plus giand. Quand on réfléchit que les 
Volcans três-élevés vomissent moins de ma- 
tières par leur sommet que par des crevasses 
latérales, on pourroit être tenté de croire que 
plus les volcans soûl bus, et plus aussi , leur 
force et leur activité étuntégales, leurs cratères 
devroient être considérables. Il existe en eifet 
d'immenses volcans aux Andes qui n'ont que 
de très-petites ouvertures , et l'on pourroit 
établir comme une loi géologique que les 
montagnes les plus colossales n'offrenl à leurs 
sommets que des cratères de peu d'étendue, 
si les Cordillères ne présentoient pas plusieurs 

dePhys. , Tom. LVn,p, 6a). Lamanon le croit de 

5o toises, mais M. Odonell assigneaucralèreSâoi'orfls 
(236to!ses] de circonférence. 



CHAPITRE II. 287 

scemples ' du contraire. J'aurai occasion , 
lans la suite de cet ouvrage , de citer un grand 
nombre de faits propres à jeter quelque jour 
lur ce que l'on peut appeler la structure 
extérieure des volcans. Celte structure est 
ans» variée que les phénomènes volcaniques 
eux-mêmes ; et , pour s'élever à des concep- 
tîons géologiques dignes de la grandeur de 
la nature , il faut abandonner l'idée que tous 
ks volcans sont formés d après le modèle du 
Vésuve y de Stromboli et de l'Etna. 

Le& bords extérieurs de la Caldera sont 
presque taillés à pic : leur aspect est analogue 
à celui cpi'offre la Somma y vue depuis FAtrio 
A4 GivallL Nous descendîmes au fond du 
cratère sur une traînée de laves brisées qui 
aboutit à la brèche orientale de l'enceinte. 
La chaleur n'étoit sensible que sur quelques 
fisKires desquelles se dégageoieot des vapeurs 
aqueuses avec un bourdonnement particulier. 
Quelques-uns de ces soupiraux ou crevasses 
se trouvent an-dehors de Teuceinte , sur le 

^ L» grandift volcans de Cotopaxi et de Bncupî- 
gfcni c fia oat des cratères iloat les diamètres, d^aprè.9 
■es mesures, s'élèvest à plus de quatre cents et A^ 
K]^ cent» toises. 



288 LIVHE I. 

bord extérieur du parnpet qiù environne le 
criitère. En y plongeant le tbermomètre, nous 
le vîmes mouler rapidement à 68 et j5 degrés. 
Il indiquoit sans donle une plus haute tem- 
pérature ; mais nous ne pouvions observer 
l'instrument qu'après l'avoir retiré , de peur 
de nous brûler les mains. M. Cordier a 
trouvé plusieurs crevasses dont la chaleur 
égaloit celle de l'eau bouillante. On pourroît 
croire que ces vapeurs, qui se dégagent par 
bouffées, contiennent del'acide murialique ou 
suli'ureux; mais, condensées contre un corps 
froid , elles ne présentent aucun goût particu- 
lier; elles essais que plusieurs physiciens ■ ont 
faits avec des réactifs , prouvent que les funia- 
roles du Pic n'exhiilent que de l'eau pure : ce 
phcnonicue , analogue à ce que j'ai observé 
danslecratèredu Joruilo, mérite d'autant plus 
d'attention, que l'acide muriatique abonde 
dans la plupart des volcans , et que M. Vau- 
quelin en a même découvert dans les laves 
porpliyriqucs du Sarcouj en Auvergne. 
J'ai esquissé sur les lieux ' la vue du bord 

' Woyage de. Lapérome , Tom, III, p. a. 
■ Atlas pittor., PI. wv. 



CHAPITRE II. 2S9 

iQtérieur du cratère, tel qu'il se présente en 
descendant par la brèche orientale. Rien de 
plus frappant que la superposition de ces 
couches de laves y qui offrent les sinuosités 
de la roche calcaire des hautes Alpes. Tantôt 
horizontaux , tantôt inclinés et ondulés , ces 
bancs énormes rappellent l'ancienne fluidité 
de la masse entière et la réunion de plusieurs 
causes perturbatrices qui ont déterminé la 
direction de chaque coulée. La crête du mur 
circulaire présente ces ramifications bizarres 
que Ton observe dans le charbon de terre 
désoufré. Le bord septentrional est le plus 
élevé ; vers le sud-ouest, Fenceinte est consi- 
dérablement affaissée , et une énorme masse 
de laves scorifiées y paroit collée à l'extrémité 
du bord. A l'ouest , le rocher est percé à 
)Our ; une large fente laisse voir l'horizon 
de la mer. C'est peut-être la force des vapeurs 
élastiques qui a formé cette ouverture au 
moment d'un débordement de laves sorties 
du cratère. 

L'intérieur de cet entonnoir atmonce ua 
volcan qui , depuis des milliers d'années, n'a 
vomi du feq que par les flancs. Cette asser- 
tion ne se fonde pas sur le manque de 



ago LIVRE I. 

^andes ouvertures que l'on pourroit s'at- 
tendre à trouver dans le fond de la Caldera. 
Les physiciens qui ont étudié la nature par 
eux-mêmes, savent quebeaucoup de volcans, 
dans les inlerviilles qui séparent une éruption 
de l'jiutre, paraissent comblés et presque 
éteints; mais que> dans ces mêmes mon- 
tagnes, le gouffre volcanique présente de» 
couches tic scories ex trêmementàpreSjSOnores 
et luisantes. On y dislingue de petites collines, 
des boursouflures causées par l'action des 
vapeurs élastiques , des cônes de scories 
menues et de cendres , sous lesquels des sou- 
piraux sont cachés. Aucun de ces phénomènes 
ne caractérise le cratère du Pic de Ténériffe; 
son fond n'est pas resté dans l'état qui résulte 
delà fin d'une éruption. Par le laps des temps 
et par l'aclion des vapeurs , les parois se sont 
détachées et ont couvert le bassin de grands 
blocs de laves lithoïdes. 

On parvient sans danger au fond de la 
Caliî-"i-a, D,iiis un volcan dont l'activité se 
dirige principalement vers le sommet comme 
dans le Vésuve , la profondeur du cratère varie 
avant et après chaque éruption ; mais au Pic 
de ïenéri'iie , cette profondeur paroit être 



CHAPITRE II. 201 

restée la même depuis long-temps. Edens^ 
en ,1716, l'évalua de ii5 pieds; M. Gordier, 
en.]8o5, de 110 pieds. A en juger d'après la 
«iinple vue, j'aurois cru Tentonnoir moins 
profond encore. Son état actuel est celui 
d'une solfatare ; il offre plutôt un objet de 
recherches curieuses qu'un aspect imposant. 
La majesté du site consiste dans son éleva- 
tion au-dessus du niveau de l'Océan, dans 
la solitude profonde de ces hautes régions , 
dans l'étendue immense que l'œil embrasse 
du sommet de la montagne. 

Le mur de laves compactes qui forme 
l'enceinte de la Caldera est d'un blanc d^ 
neige à sa surface. Cette même couleur règne 
dans l'intérieur de la solfatare de Puzzole. 
Lorsqu'on brise ce3 laves que l'on prendroit 
de loin pour de la pierre calcaire, 00 7 
reconnoît un noyau brun-noirâtre. Le pQ^ 
phyre à base de pechstein est blandbi ddéh . 
rieurement par l'action lente des vapeurs 
gaz acide sulfureux. Ces vapeurs se dégaf 
abondamment , et , ce qm est assez rc 
quable , par des crevasses qui semblent vl{ 
aucune communication avec les nuo^ 
que traversent les vapeurs aqueuse 



2q2 litre I. 

peut se convaincre de la présence de J'acide 
sulfureux, en examinant Jes beaux cristaux 
,de soufre que l'on trouve déposés partoat 
entre les fentes des laves. Cet acide, com- 
biné avec l'eau dont le sol est imprégné, 
se transforme en acide suU'uriqne par ie 
contact de l'oxi^'èue de l'atmosphère. En 
g-énéral, dans le cratère du Pic, l'humidité 
est plus à craindre que la clialeur, et l'on 
trouve ses vêtemens rongés , si l'on reste 
long-temps assis sur le sol. L'action de l'acide 
sullurique se porte sur les laves porphy- 
riqnes; l'alumijie, la magnésie, la soude et 
les oxides niélalliques sont emportés peu à 
peu, et il ne reste souvent que la silice qui 
se réunit en plaques mamelonnées opali- 
formes. Ces concrétions siliceuses ' , que 
M. Cordier a fait connoître le premier, sont 
analogues à celles que l'on trouve à l'ile 
dischia', dans les volcans éteints de Santa- 

' Opalartiger Kiesekinter. Le gurk siliceux AeS 
volcans d'île de France contient, d'après M. Rlaprolli, 
0,72 de silice et 0,21 d'eau, et se rapproche par là 
de l'opale que M. Karsiein considère connue une 
iilîce lydratée. jlf/ner. Tubi^Uen , 1800, p. 70. 

" Bnislact, Introd. alla Geologia, Tom. II, p. 338. 



CUAPTTRE n. 393 

Flora et dans la soUiitare de Puzzole. Il 
n'est pas facile de se faire une idée de l'ori- 
gine de ces incrustations. Les vapeurs aqueuses, 
dégagées par les grandes fumaroles, ne con- 
tiennent pas d'alcati en dissolution, comme 
les eaux du Geyser en Islande ' ; peut-être 
la soude renfermée dans les laves du Pic 
joue-t-elle un rôle iinporlant dans la for- 
mation de ces dépôts de silice. Peut-être 
existe-t-il dans le cratère de petites cre- 
vasses dont les vapeurs ne sont pas de la 
même nature que celles sur lesquelles des 
voyageurs , occupés à la fois d'un grand 
nombre d'objets, ont fait des expériences. 
Assis sur le bord septentrional du cratère, 
je creusai un trou de quelques pouces de 
profondeur; le iherraomètre, placé dans ce 
trou , inonia rapidement à 42"- On peut 
conclure de là quelle doit être la chaleur 
qui règne dans cette solfatare à une profon- 
deur de trente ou quarante toises. Le soufre 
réduit en vapeurs se dépose en beaux cris- 
taux qui n'égalentcependant pas en grandeur 
ceux que le chevalier Dulomieu a rapportés 

' Black , daus les />////. Trans., 1794, p. :i4. 



i 



394 LIVRE I. 

de Sicile ' ; ce sont des octaèdres deini-di»- 
. phanes , très-éclatans à leur surface , et à 
cassure conchoïde. Ces masses qui fet*ont 
. peut-être un jour un objet d'exploitalion , 
sont constamment mouillées d'acide sulfu- 
reux. J'eus Timprudence de les envelopper 
pou r les conserver ; mais je m'aperçus bientôt 
que l'acide avoit rongé , non seulement le. 
papier qui les renfermoit^ mais malheureu- 
sement aussi une partie de mon journal 
.minéralogique. La chaleur des vapeurs qui 
sortent des crevasses de la Caldera n'est pas 
^assez grande pour combiner le soufre, extrè-, 
jtnement divisé , avec l'oxigène de Fair am- 
biant; et, d'après l'expérience que je viens 
de citer sur la température du sol, on peut 
•supposer que l'acide sulfureux se formera 
une certaine profondeur % dans des creux 
où l'air extérieur a un libre accès. 

' Ces cristaux ont quatre à cinq pouces de longueur. 
Drée, Cat, d'un Musée minéralogique y-^, 21 • 

* Un observateur, d^ailleurs très-exact, M. Breis- 
lack^ affirme {Geohgia^ Tom. II, p. aSa) que l'acide 
murîatique prédomine toujours dans les vapeurs du 
Vésuve. Cette assertion est contraire à ce que nous 
avons observé, M. Gay-Lussac et moi, avant la grands 



CHAl'lTRE n, 3t)J 

Les vapeurs d'esa chaude qui se portent 
«ip les frao^mens <Je laves éparses dans la 
Caldera, en réduisent quelques parties à un 
état pâteux- En examinant , après mon arrivée 
eo Amérique , ces masses terreuses et friables j 
J'y ai trouvé des cristaux de sulfate d'alumine. 
MM. Davy et Gay-Lussac ' ont déjà énoncé 
l'idée ingénieuse que deux corps érainem- 
jnent infiummaljles, les métaux de la soude 
, et de la potasse, jouent probablement un 
. rôle important dans l'action volcanique ; 
or la potasse, nécessaire à la formation du 

- Kulfale d'alumine, se trouve, non seulement 

- dans le feldspath , le mica , la pierre ponce 
. .et l'augite, mais aussi dans les obsidiennes'. 

érnptîoa de i8b5, et pendant que la lave sortoit du 
cratère. L'odeur de l'acide sulfurcus , si fucile à re- 
conaoitre, se faisoit sentir de lrÈ!s-la!a; et quand le 
volcan lauçoit des scories, il se mêloit à cette odeur 
celle du pétrole. 

' Davy, on tlie décomposition of fixed aihalics 
{PMI. Tr. 1808, PI. I,p. M). 

" Collet Descotils, dans les Annalea du Chimie, 
Tom. LUI, p. 260. Sur les traces de potasse dans 
l'augîte, Toye* Klaprolh , Beitrûge , B. 5, S. iSg , 
162 et i6'6. 



296 LIVRE T. 

Cette dernière substauce est très-commnne 
à Téoériffe, où elle fait la base de la plu- 
part des laves téphriniques '. ToQS ces rap- 
ports par lesquels le cratère du Pic res- 
semble à la solfatare de Pozzole, paroîlroient 
sans doule eocore plus nomfareox , si le 
premier étoît plus accessible et s'U av oit été 
frèqueiument visité par des Daturalistes. 

Le voyage au sommet du volcaa de Téné- 
riiJe n est pas seulement intéressant à cause 
du grand nombre de pheDomènes qui se 
présentent à nos recherches scientifiques; 
il l'est beaucoup plus encore par les beautés 
pittoresques qu'il offre à ceax qui 5ente[>t 
vivement la majesté de la nature. C'est une 
lâche difficile à remplir que de peindre ces 
sensations : elles agissent d'autant plus sur 
nous, qu'elles ont quelque chose de vague, 
produit par l'immensité de l'espace comme 
par la grandeur, la nouveauté et la multi- 
plicité des objets au milieu desqueb dous 
nous trouvons transportés. Lorsqu'un Toja- 
geur doit décrire les plus hautes cimes du 



' Lamétktrie , Minéralogie, Tom. Il, 
Journal de Phyaique, iâo6, p. 192. 



J 



CHAPITRE II. 297 

globe, les cataractes des grandes rivières, 
les vallées tortoeuses des Andes , il est exposé 
à fatigder ses lectënra par l'expression mono- 
tone- de son admiration. Il me paroit plus 
conforme ail pian que je me sais tracé dans 
cette Relation, d'indiquer le caractère par- 
ticulier qui distingue chaque zone. On fait 
d'autant mieux counoître la physionomie du 
pajsage, qu'on cherche à en désigner les 
traits individuels, à les comparer entre eux, 
et à découvrir, par ce genre d'analyse, les 
sources des jouissances que nous offre le 
grand tabléan de la nature. 

L'expérience a appris aux voyageurs que 
lés «mrtnets dés montagnes trè*-élevées pré- 
seafent rarement une vue aussi belle et des 
effbts pittoresques aussi variés que les cimes 
doflt la hauteur n'excède pas celles du Vésuve , 
do Rigi'ct dii Fuy^lç-Dâme. Des montagnes 



Il colossales, 


comme 


' le ChimborasD 


, i'Antisaoa 


Hou le Mont-Rose, 


ont une masse si considé- 


Blrable que 


'" r''"r r- iimfii 


^me riche 


P^TégélatioD 


, 'ii^É| 


^^^^^^^H 


■Itàa un 


F grandélob 




■ 


Kâtre 

u 



S()S LIVRE I. 

élancée et sa position locale , réunit les atan- 
lages qu'offrent les sommets moins élerés 
à ceux qui naissent d'une très-grande hau- 
teur. Non seulement on découvre de sa cime 
un immense horizon de mer qui s'élève an- 
dessus des plus hautes montagnes des îles 
adjacentes, mais on voit aussi les forêts de 
Téncriffe et la partie haijitée des côtes, dans 
une proximité propre à produire les plus 
beaux contrastes de forme et de couleur. 
On diroit que le volcan écrase de sa masse 
.la petite île qui lui sert de base : il s'élance 
du sein des eaux à une hauteur trois fois 
plus grande que celle à laquelle se trouvent 
suspendus les nuages en été. Si son cratère, 
à denii-cteint depuis des siècles , lancoit'des 
gerbes de feu comme celui de StromboU 
dans les îles Éoliennes, le Pic de Ténériffe, 
semblable à un phare , dirigeroil le navi- 
gateur dans un circuit de plus de 260 lieues. 
Quand nous fûmes assis sur le bord exté- 
rieur du cratère, nous dirigeâmes notre vue 
vers le nord-ouest, oii les côtes sont ornées 
de villages et de hameaux. A nos pïeds, 
des amas de vapeurs, constamment, agités 
par les vents, offroient le spectacle le plus 



CHAPITRE n. 39<) 

■ Tarie. Une couche unilbrine de nuages, la 
même dont nous avons parlé plus haut, et 
qui nous séparoit des basses régions de l'île , 
avoit été percée dans plusieurs endroits par 
l'effet des petits courans d'air que la terre 
échauffée par le soleil commençoit à renvoyer 
Ters nous. Le port de l'Orotava, ses vais- 
seaux à l'ancre, les jardins et les vignes, 
dont la ville est environnée, se présentoient 
à travers une ouverture qui sembloit s'agran- 
dir à chaque instant. Du haut de ces régions 
solitaires, nos regards plongeoient sur un 
inonde habile; nous jouîmes du contraste 
frappant qu'offrent les flancs décharnés du 
Pic, ses pentes rapides couvertes de scories, 
ses plateaux dépourvus de végétation , avec 
l'aspect riant des terrains cultivés : nous vîmes 
les plantes divisées par zone, selon que la 
température de l'atmosphère diminue avec 
la hauteur du site. Au - dessous du Piton , 
des lichens commencent à couvrir les laves 
scorifîées et à surface lustrée j une violette*fftj 
voisine du Viola decumbens, s'é 

' Viola cheiranthifblïa. P'oyex 
DOxialeB, Toi. I, p. M\^fl xiobi., 




5oo i.ivnE I. n 

pente du Toican jusqu'à 1740 toises tle hau- 
teur 1 elle devance , non seulement les autres 
plîintes herbacées, mais aussi les graminées 
<]ui, dans les Alpes et sur le dos des Cor- 
dillères, touchent immédiatement aux végé- 
taux de la Janiille des Cryptog'ames. Des 
touflcs de Rétama, chargées de fleurs , ornent 
les petites vallées que les torrens ont creusées, 
et (jiii sont encombrées par l'effet des érup- 
tions lalêralcs; au-dessous du Rétama vient 
la région des fougères bordée de celle des 
brujères arborescentes. Des forêts de lau- 
riers, de Rhamnus et d'arbousiers séparent 
les Erica des coteaux plantés en vignes et 
en arbres fruitiers- Un riche tapis de verdure 
s'étend depuis la plaine des Genêts et la zone 
des plantes alpiues jusqu'aux groupes de 
Daliers et de Musa, dont l'Océan semble 
baigner le pied. Je ne fais qu'indiquer ici 
les traits principaux de cette carte botanique : 
jt' donneiai dans la suite quelques détails 
sur la géographie des plantes de lîle de 
Ténériffe. 

L'apparence de proximité dans laquelle on 
Toil , du snnitnet du Pic , les hameaux , les 
vignobles el les jardius delà cote, est augraei 



CHAPITRE II. Sot 

tée par la prodigieuse triinsparence de l'at- 
Bjosphère. Miilgré le grand éloigneinent , nous 
ne dislinguions pos seulement les maisons, la 
■voilure des vaisseaux et le tronc des arbres , 
nous voyions briller aussi des plus' vives 
couleurs la riche végétation des plaines. Ces 
phénomènes ne sont pas dus uniquement à 
la hauteur du site ; ils annoncent des modi- 
fications particulières de l'air dans les climats 
chauds. Sous toutes les zones, un objet placé 
au niveau de la mer et renvoyant les rayons 
dans une direction horizontale, parott moins 
lumineux que lorsqu'on l'aperçoit du sommet 
d'une montagne, où les vapeurs arrivent à 
travers des couches d'air d'une densité décrois- 
sante. Des différences également frappantes 
sont produites par l'influence des cUnials ; 
la surface d'un lac ou d'une large rivière 
briUe moins lorsqu'on la voit à égale distance 
de la cime des hautes Alpes de la Suisse, que 
lorsqu'on l'aperçoit du sommet des Cordil- 
lères du Pérou ou du Mexique. Plus l'air est 
pur et serein , plus la dissolution des vapeurs 
est parfaite, et moins la lumière est éteinte à 
son passage. Lorsque du côté de la mer du Sud 
on arrive sur le plateau de Quito ou sur celui 



5o2 LIVRE I. 

d'Anlisana , on est frappé , les premiers jours, 
de la proximilé d;iiis laquelle on croit voir 
des objets éloignés de sept à huit lieues. Le 
Pic de Teyde n'a pas l'avantage d'être situé 
dans la région équinoxiale, mais la sécheresse 
des colonnes d'air qui s'élèvent perpétuelle- 
ment au-dessus des plaines voisines de l'Afri- 
que, et que les vents d'est amènent avec 
rapidité, donnent à l'atmosphère des îles Cana- 
ries une transparence qui ne surpasse pa» 
seulement celle de l'air de Naples et de Sicile, 
mais peut-être aussi la pureté du ciel de Quito 
et du Pérou. Celte transparence peut être 
considérée comme une des causes principales 
de la beauté du paysage sous la zone torride : 
c'est elle qui relève l'éclat des couleurs v^é- 
taies, et contribue à l'effet magique de leurs 
harmonies et de leurs oppositions. Si une 
grande n)asse de lumière, qui circule autouiï 
des objets, fatigue, pendant une partie du 
jour , les sens extérieurs , l'hidiilant des climats 
méridionaux est dédommagé par des jouis- 
sances morales. Une clarté brillante dans les 
conceptions , une sérénité intérieure ré- 
pondent à la transparence de i'air environ- 
nant. On éprouve ces impressions sans frapchir 



CHAPITRE II. So3 

les limites de l'Europe ; j'en appelle aux 
voyageurs qui ont visité les pays illustrés 
par les procliges de rimaginatioa et des 
arts, les climats heureux de la Grèce et de 
Htalie. 

En vaia nous prolongeâmes notre séjour 
sur le sommet 'du Pic, pour attendre le 
moment où nous pourrions jouir de la vue 
de tout l'archipel des îles Fortunées '. •Nous 
découvrîmes à nos pieds Palma, la Gomère 
et la Grande-Ganarie. Les montagnes de Lan- 
cerote , dégagées de vapeurs au lever du 
soleil , furent bientôt enveloppées de nuages 
épais. En ne supposant cjue l'efiet d'une réfrac- 
tion ordinaire , l'œil embrasse , par un temps 
serein , de la cime du volcan , une surface 
du globe de S^oo lieues carrées, égale au 
quart de la surface de l'Espagne. On a souvent 
agité la question s'il est possible d'apercevoir 

' De toutes les petiles îles Canaries, ia Boclie d^ 
l'Est est la seule qui ne peut pas être vue , inême 
[uir un temps serein, du haut du Pic. Sa distance est 
de 3" 5' , tandis que celle du Salvage n'est que de 
a" i'. L'ile de Madère, éloignée de 4° ag' , ne seroit 
visible que si ses monlagoes avoient plus de 3uoo toisu 
d'élévation. 



la côte tl'Afrique du haut de cette pyramide 
colossale ; mais les parties de cette côte les 
plus proches sont encore éloignées de Téné- 
riffe de 2" 49' en arc , on de 56 lieues; or le 
rayon visuel de l'horizon dn Pic étant de 
1° 57', le cap Bojador ne peut être tu 
qu'en lui supposant une hauteur de aoo toises 
au-dessus du niveau de l'Océan. Nous igno- 
rons Tihsoluinent l'élévation des Montagnes 
ISoires voisines du cap Bojador, de même 
que celle du Pic, appelé par les naTigateuH 
Pehon grande , et placé plus au sud de ce 
jiromonloire. Si le sommet du volcan deTéoé- 
riffe étoit plus accessible , on y observeroit 
sans doute, par de certains vents , les effets 
d'une réfraction extraordinaire. En parcou- 
rant ce que les auteurs espagnols et portugais 
rapportent sur l'existence de l'île fabuleuse 
de San Borondon ou Ântilia , on voit que 
c'est surtout le vent humide de l'oues-sud- 
oucirt qui produit dans ces parao'es des phé- 
liumènes de mirage : nous n'admettrons pas 
cependant avec M. Viera ' « que le jeu de* 

' " La rcfiaction da para todo. » Notic'uts hista- 
ricasj Tom. I, £). io5. JSûus ayons déjà inique plu* 



CHAPITRE II. ' * 3o5 

réfractions terrestres peut rendre visible^ aux 
liabitans des Canaries , les îles du cap Vert y 
e% même les montagnes Âpalacbes de rAmé- 
rique. » 

Le froid que nous éprouvâmes sur la cime 
du Pic étoit trës-considérable pour la saison 
dans laquelle nous nous trouvions. Le ther- 
momètre ^ centigrade , éloigné du sol et des 
fumaroles qui exhalent des vapeurs, chaudes , 
descendit, à l'ombre ^ à 2^,7. Le vent étoit 
ouest, et par conséquent opposé à celui qui 
amène à Téaéri£Pe , pendant une grande partie 
de l'année j l'air chaud qui s'élève au-dessus 
dts déserts brûlans de l'Afrique. Gomme la 
température de l'atmosphère, observée au 
port de rOrotava par M- Savagi, étoit de 

haut que les fruits de l'Amérique, jetés fréquem^ 
ment par la mer sur les côtes des îles de Fer et de 
Gomëre, étoîent attribués jadis aux végétaux de l'île 
de San Borondon. Cette terre, que le peuple disoit 
gouvernée par un archevêque et six évéques , et que 
le père Feijoo croit être l'image de l'île de Fer, ré- 
fléchie sur un banc de brume , fut cédée y au seizième 
«iëcle^ par le roi de Portugal, à Louis Perdigon, 
au moment où ce dernier se prépara à en faire la 
conquête. 

I. 20 



3o6 LITRE I. 

aa^S , le décrois?ement du calorique éloit 
d'un degré pargi tuises. Ce résiiltat s'accorde 
parfailemeut avec ceux qui ont été obtenus 
par Liimanon et par Saussure ' aux somoiet» 
du Pic et deVElna. quoique dans des saisons 
très-diOférentes '. La forme élancée de ce» 
montagnes offre l'aTjintage de pouvoir com- 
parer la température de deux couches de 
l'atmosplière qui se trouvent presque dan» 
un même plan peipendiculaire ; et, sous ce 
rapport , les observations faites dans un 
voy.ige au volcan de Tenériffe , ressemblent 
à celles que présente une ascension aéros- 
tatique. Il faut remarquer cependant que 
l'Océan , à cause de sa transparence et de son 
éraporalion, renvoie moins de calorique dans 

' MM. Odoncllet ArmstrongobKrïferent, lesaoï^t 
180G, à huit lieures du malin , sur la cime du Pic, 
le thermomètre à l'ombre, à i3'',8, et au soleil, 
à sa'rS. Uifiërvace ou force du soleil : 6*,7, degrés 
ceutésîmaux. 

' L'obserration de Ldmaaon donne 99 toiseï par 
degré du tbermomèlre centigrade, quoique 1b tem- 
pératnre du Pilon diirérât de i)" de celle que nous ot- 
■crTàmes. A l'Etna , le decroissement observé far 
Saussure fut degi toises. 



CHiPITRS U. S07 

les kanteB régions de l'air qoe oe le font les 
|4aiae8 : aii6ii les eimes qni sont environnées 
éè la mer sont-reUes plus froktss en- été mie 
les moolagne^ <pri ^'élèvent an niilien des 
terres; mais cette ciroonstance inÉoe peu snr 
leoecroissemept oela chaleur atmospaenque, 
la température des basses régions se trouYant 
^galemeot dîavlnuée par la proximité de 
rOcéan. 

fl n*en est pas de même de Hinftuence 
qu'exercent la direction du vent et la nipidité 
du courant ascendant : ce dernier augmente 
quelquefois d'une manière surprenante la 
température des. montagnes les plus élevées. 
J'ai vu monter le thermomètre , sur la pente 
du vdk^n d'Antisana, dans le royaume de 
QnilOy à 19^ lorsque nous nous trouvâmes 
à ^8^7 toises de hauteur. M. Labillardière ': 
Ta vu se scmtenir , au bord du cratère du Pic 
de TénériJfe, à 18*^,7, quoiqnHl eût employé 
toutes les précautions inuiginables pour éviter 
Teffet des causes accidentçUçs,. li^ t^mpératurç 
de la rade de jSiiâfMK'CrQiXt s^'^lgv^iilt ^or;» à 

' VoyaffÊ à la recherche de Lapérouse, Toi. 1, 
jp. 23 ; Vol. U , p. 65. 

30* 



3uS LIVRE T. 

aS*", ]a différence , entre l'air dé la cûte et le 
sommet du Pic, éloit de ij",^ au lieu de 20* 
qui correspoodent à un décroissetiieot de 
calorique de çf^ toises par degré. Je trouve, 
dans le journal de roule de l'expédilion de 
d'Entrecasleaux , qu'à telle époque le vent, 
à Sainle-Croix , étoil sud-sud-est. Peut-être 
ce même vent souffloil-il plus impétueu- 
sement dans les liaules régions de l'atmo- 
sphère ; peut-être fuisoil-il refluer , dans une 
direcliou oblique, l'air eliaud du continent 
voisin vers la cime du Pîlon. Le voyage de 
M- liabillardière eut d'aillems lien le 17 oc- 
tobre 1791 ; et, dans les Alpes de la Suisse, 
on a observé que la différence de tempéra- 
ture entre les montagnes et les plaines est 
moins grande en automne qu'en été. Toutei 
ces variations ' de la rapidité avec laquelle 



î les résultais de toutes les obser- 

Tatioiis lliermomé triques fniles nu Pic lie Ténériffe et 

qui sont propres à lîscr le nombre de toises qui cor- 

respondfint à un abaissement d'un degré ceutigrade t 

1." itorda (i»u mois de sepiembre ) , 

jusqu'iiu Pin de Dorn;iiîto, lo'i toises (matin); 
jusqu'à la Station desRocliCis, iot toises (soir); 
jusqu'à laglacière naturelle, 169 toises (matin)) 



CHAPITBE n. S09 

décroît Iç- calorique , n'influent sur les 
mesures faites à l^aide du baromèlre , qu'au- 
tant que le décroissement n'est pas uni«^ 
forme d^ns les couches intermédiaires , et 
<pi'il s'éloigne de la progression arithmé- 
tique ou harmonique que supposent les for- 
mules employées. 

Nîius ne pnnies nous lasser d'admirer, sur 
le sommet du Pic, la couleur de la voûte 
azurée du cieU Son intensité au zénith nous 
parut correspondre à 4 A^ du cyanomètre. Oa 
sait 9 par les expériences dé Saussure , que 
cette intensité augmente avec la rareté dô 
l'air, et que le même iustrument indiquoit 
à la même époque Sg® au prieuré de Cha-- 
mouni, et /^o^ à la cime du Mont-Blanc. 
Cette dernière mootagne est de 54.0 toises 

jusqu'au pîed du Piton , i5i toises (matin) ; 

jusqu'à la cime du Pic , iZj toises ( matin ) ; 
a.<^ Lamanon ( au mois d'août ) , 

jus(|u'à la cimp, 99 toises (matin); 
3.** Cordier (au mois d*avril), 

jusi^u^à la Station des Rochers, 122 toises (soir) } 

jusqu'à la cime , 1 1 1 5 toises (matin) ; 
. 4.** Notre voyage ( au mois de juin ) , 

}uftC[u'à la cime^ 94 toises. 



9lé LÎÏRE T. 

plus élevée que le volcan de Ténériffe ; et 
si , malgré cette différence , on y voit le 
ciel dWe teinte bleue moins foncée, il faut 
attribuer ce phénomène à la sécheresse 
de fair africain et à h proximité de la zone 
torride. 

Nons recueillîmes de l'air au bord da 
cratère pour en faire l'analyse pendant notre 
navij^ation en Amérique. Le flacon resta si 
bien bouché , qu'en l'ouvrant , après un 
espace de dix jours, l'eau y entra avec force, 
Plusienre expériences , faites au mojen da 
gaz nilrenx dans le tube étroit de rendiomètre 
de Foiitana, paroissoient prouver que l'air 
du cratère contenoit neuf centièntes d'oxy- 
^ènC de moins que l'air de la mer; mais j'ai 
peu de confiance dans ce résultat obtenu par 
un moyen que nous regardons aujourd'hui 
comme assez inexact. Le cratère du Pic a si 
pea de profondeur , et l'air s'y renouvelle 
avec tant de facilité, qu'il n'est guère pro- 
bable que la quantité d'azole y soit plus 
grande que sur les côtes. Nous savons d'ail- 
leurs , par les expériences de MM. Gay- 
Lussac et Théodore de Saussure, que, dans 
les plus hautes régions de l'atmosphère et 



dans les plus basses, Fair conlient égak-r 
ment 0,3 1 d'oxygeoe'. 

Nous ne vîmes, au sommet du Pic> aneiiQO 
mce dé Psora, de Leddée» ou d antres 
plantes cryplo^mes ; aucun iss^cte ae ¥olli- 
geoit dans les aies. On trouva cepetBidftfit 
quelques b jméaoplères celles sujp des masses 
de sou&e bumeotées d'acide snlfnreip:, et 
tapissant l'ouverture des lîunaroles. Ce sont 
des abeilles qui paraissent avoir été attirées 
par les fleurs du Spartium nnbigenum, et 
que des vents obliques ont portées dans ces 
ban tes régions, conune les papillons trouvés, 
par JML Ramond , à la cime du Mont-Perdu. 
Ces derniers périssent de froid, tandis que 
les abeilles du Pic sont grillées en s'apfiro^ 

* Penfldttt fe séjorn* qnc nous avons fait , M. Gay-* 
Lossac et moi , à nio8[uoe.da Mont^Cénis, an jBùiB,iù 
mars iBoSj nous avons recueilli de l'air au lu^i^a 
d'un nuage fortement éleclri^i^. Cet air^ anfijsé 
dans Teudiomètre de Volta , ne çontenoit pas d'fij* 
drogène, et sa purrt^ ne difFéroitpas de o^ooa d'oxy- 
gêne de Tair de Paris , que nous avoins porté avee 
nous dans des flacons hermétiquemebt fermés. Sor 
Tair qui a été recueilli m 34o5 toises de hauteur, voyez 
Ann, de Chimie ^Tom, LU, p. ^2. 



3r2 LIVRE I. 

chant imprudemment des crevasses auprès 
desquelles elles sont venues chercher de la 
chaleur. 

Malgré cette chaleur que l'on sent aux 
pieds, sur le bord du cratère, le cône de 
cendres reste couvert de neige pendant 
plusieurs mois de l'iiiver. Il est probable 
que, sous la calotte de neige, il se forme 
de grandes voûtes, semblables à celles que 
l'on trouve sous les glaciers de la Suisse, 
dont la température est conslamment inoius 
élevée que celle du sol sur lequel ils repo- 
sent '. Le vent impétueux et i'roid qui 
soufOoit depuis le lever du soleil, nous en- 
gagea à chercher un abri au pied du Piton. 
Nous avions les mains et le visage gelés , 
tandis que nos bottes éloient brûlées par le 
sol sur lequel nous marchions. Nous descen- 
dîmes, en peu de minutes, le Pain de Sucre 
que nous avions gravi avec tant de peine, 
et celte rapidité étoit en partie involontaire, 
car souvent on roule sur les cendres. Noua 
quitlàiues avec regiel ce lieu solitaire, ce 

' Voyez l'excellent oiiTrage de M. de Stapfer , 
Voyage pittoresque de l'Ohedandj p, 61. 



C&APITBB II. 5lS , 

site dans lequel la nature se montre dans 
toute sa majesté; nous nous flattions de revoir 
un jour les îles Canaries, mais ce projet, 
comme tant d'autres que nous formions alors, 
n'a pas été exécuté. 

Nous traversâmes lentement le Malpays : 
le pied ne repose pas avec sûreté sur des 
blocs de laves mobiles. Plus pi*ès de la 
StatioD des Rochers, la descente devient 
extrêmement pénible; le gazon, court et 
serré, est si glissant, que pour ne pas tomber 
il .faut continuellement pencher le corps 
en arrière. Dans la plaine sablonneuse du 
Rétama, le thermomèire s'élevoit à 22',5, 
et celte chaleur nous parut suffocante en 
la comparant à la sensation du froid que 
l'air nous avait fait éprouver au sommet da 
volcan. Nous étions absolument dépourvus 
d'eau; nos gtiides, non contens de boire à J 
la dérobée la petite provision de ' 
Malvoisie que nous devions àj 
voyante de M- Cologan, aw 
les vases qui renfermoient ] 
ment ils avoîent laissé intati 
lequel nous avions recueilli i 

Nous jouîmes enÛQ d'un | 




3l3 LIVRE I. 

chant imprudemment des crevasses auprès 
desquelles elies sont venues chercher de la 
chaleur. 

Malgré cette chaleur que l'on sent anx 
pieds, sur le bord du cratère, le cône de 
cendres reste couvert de neige pendant 
plusieurs mois de l'iiiver. II est probable 
que, sous la calotte de neige, il se forme 
de grandes voûtes, semblables à celles que 
l'on trouve sous les glaciers de la Suisse, 
dont la température est constamment moins 
élevée que celle du sol sur lequel ils repo- 
sent '. Le vent impétueux et froid qui 
souIQoit depuis le lever du soleil, nous en- 
gagea à chercher un abri au pied du Piton, 
Nous avions les mains et le visage gelés , 
tandis que nos boites étoient brûlées par le 
soi sur lequel nous marchions. Nous descen- 
dîmes, en peu de minutes, le Pain de Sucre 
que nous avions gravi avec tant de peine, 
et cette rapidité étoit en partie involontaire, 
car souvent on roule sur les cendres. Nous 
quittâmes avec regret ce Heu solitaire, ce 

' Voyez rexcellcnt oiiTroge de M. de Stapfer, 

foyage piuoresqa» de l'Oberland, p. Gi. 



CHAPITKE II. 3l5 

site dans lequel la nature se montre dans 
toute sa majesté ; nous nous flattions de revoir 
un jour les îles Canaries^ mais ce projet^ 
comiQde tant d'autres que nous formions alors, 
n'a pas été exécuté. 

Nous traversâmes lentement le Malpays: 
le pied ne repose pas avec sûreté sur des 
blocs dje laves mobiles. Plus près de la 
Station des Rochers, la descente devient 
extrêmement pénible; le gazon, court et 
serré, est si glissant, que pour ne pas tomber 
il #faut continuellement pencher le corps 
en arrière. Dans la plaine sablonneuse du 
Rétama, le thermomètre s'élevoit à 22",5, 
et cette chaleur nous parut suffocante en 
la comparant à la sensation du froid que 
Tair nous avoit fait éprouver au sommet du 
volcan. Nous étions absolument dépourvus 
d'eau; nos guides, non contens de boire à 
la dérobée la petite provision de vin de 
Malvoisie que nous devions à la bonté pré- 
voyante de M. Cologan , avoient aussi brisé 
les vases qui renfermoient Tean. Heureuse- 
ment ils avoient laissé intact le flacon dans 
lequel nous avions recueilli Tair du cratère. 

Nous jouîmes enfin d'un peu de fraîcheur 



5li ITVRE I. 

dans l;i belle réfjion des fougères et de 
l'Erica arborescent Une couche ép.:isse de 
Diiages nous enveloppoil; elle se soutenoit 
à six cents toises de liautenr au-dessus du 
niveau des plaines. En traversant cette 
cout:he , nous eûmes occasion d'observer 
un pliénocièrie qui , dans la suite , s'est 
présenté souvent à nous sur la pente des 
Cordillères. De pelils courans d'air pous- 
soient des traînées de nuages avec une vitesse 
inégale et dans des directions opposées. H 
nous sembloit voir des filets d'eau qui se 
meuvent rapidement, et en tous sens, au 
milieu d'une grande masse d'eaux dormantes. 
Les causes de ce mouvement , partiel des 
nuages sont probablement très-variées; oo 
peut les chercher dans une impulsion venue 
de trcs-loin, dans de légères inégalités du 
sol qui réfléchit plus ou moins le calorique 
rayonnant, dans une différence de tempéra- 
ture entretenue par quelque action chimique, 
ou enfin dans une forte charge électrique 
des vapeurs vésicnhiires. 

En nous approchant de lu ville de l'Oro- 
tava, nous rencontrâmes de grandes bandes 
de Canaris. Ces oiseaux , si connus en 



CHAPITRB II. SlS 

Europe % ëtment d^un vert assex Qnilonne; 
tpielques-iins avoient sur le tk)6 tiD6 teinte 
îaunlAre; leur chant «toit ie méim ^{ins celui 
^j0s canam domestiques : on observe cepen*- 
lAant c|ue ceux qm ont ^é pris à l'île de 
<2«m ^anar ia ^et au |>etit tlot de Mont^Clara , 
prte de Lattcerote^ ont la voix la plus forte, 
et e& même temps fo plus faaitnoniedse. Sou» 
toutes tes 20D6s^ pertifii les 'oiseaux de la 
même ^espèce , cka^ue bande a son langage 
particulier. Les4canArîs jaunes sont une variété 
iùjfii a pris 'uaissauoe en Europe; et ceux que 
nous vîmes dans des cages ^ à lX)rotava et à 
Sainte -Croix de Ténérifffe , avoient été 
Mè^*^ à Cadix et en d'autres ports d'Es«* 
pag^nti. MââSy de tous les oiseaux dtô îles 
Canaries > <eélui q^i a le chant te plus agréable 
test ineMfiiii en Europe; c'est le Capîrote 
«qu^^mi %'a jamais >pu apprivoiser^ tant il 
aime sa liberté. J'ai admiré son ramage doux 
et ttiéiodienx>, dates tm jardin près de ï'Oro- 

' FrîngtllA CanarMk lÀ Caille Tapptxrte , «bug la 
Aèlàikm «le #<m Toya^ au €ftp , qu'à Pile d« Sâl«' 
Vnge^ ce* èerkis sont «i «boadâ:iis <|Me du» vue ocxr^ 
taille «aismi on ne peut 7 marcher sans liriser kli 
4aiifs. 



5i6 LIVRE I. 

tava, mais je ne Val pus vu d'assez près pour 
prononcer à quel genre II jipparlieiit. Quant 
aux perroquets que l'on cruil avoir apcrciiS 
lors du séjour du capitaine Cook à Téné- 
riiTe, ils n'ont jamais existé que dans le 
récit de quelques voyageurs qui se copient 
les uns les autres. Il n'y a ni perroquets ni 
singes dans les îles Ciinaries; et, quoique, 
dans le nouveau continent, les premiers 
fassent des migrations jusqu'à l.t Caroline 
se|>lenIrionaIe, je doule que dans l'ancieu on 
en ait rencontré au nord du 28." degré de 
latitude boréale. 

Nous arrivâmes vers la fin du jour au port 
de rOiotava, où nous trouvâmes la nouvelle 
inattendue que le Pizarro ne mettroit à la 
voile que la nuit du 2^ au 35. Si nous avions 
pu coriipler sur ce retard, nous aurions ou 
prolongé notre séjour ' au Pic, ou entrepris 

■ Commn luiaiicntip de vovagpnrs, qui abordent à 
Saillie-Croix de TéiiûriiTe , ii'eiiirc|)rciineiit [las l'en- 
cursioti au Pic , parce ([ii'ils ignorent le tenips qu'il 
faut y emploser, ii scia util de consigner ici i« 
données suivantes : Kn se servant dr mulets iusqu'i 
la Siali 111 lies Aiiglois , on met , de 1 Orotava pour 
aller au Eouimet du Pic ei revenir au port, ai Iicures^ 



CHAPITRE ÏI. 5l7 

une excursion aii volcan de Ghabôrra. Nous 
passâmes la journée du lendemain à visiter 
les environs de l'Orolava, et' à jouir de la 
sociélé aimable' que nous offroit la maison 
de M* Gologan. INoiis sentîmes alors que le 
séjour de Ténériffe n*est pas seulement inté- 
ressant pour ceux qui s'occupent de l'étude 
de la nature: on trouve à TOrotava des per- 
sonnes qui ont le goût des lettres et de la 
musique, et qui ont transplanté, dans ceû 
climats lointains, Faménité de la société de 
l'Europe, Sous ces rapports, à Texception 
de la Havane, les îles Canaries ressemblent 
peu aux autres colonies espagnoles. 

Nous assistâmes , la veille de la Saint-Jean , 
à une fête champêtre au jardin de M. Little. 
Ce négociant 9 qui a rendu de grands services ^ 

savoir, de POrotava au Plno del Domajito, 3 heures \ 

4 

du Pin à la Station des Rochers, 6 heures; et de 
cette station à la Caldera, 3 heures et demie. Je 
compte 9 heures pour la descente. 11 ne s'agit, dans 
ces évaluations, que du temps employé à la niàrch^ 
et aucunement de celui qui est nécessaire, pour exa- 
miner les productions du Pic , ou pour prendre da 
repos. Une demi-journée suffit pour se transporter 
de Sainte-Croix de Xéa^iffe à l'QroUva. 



3l8 LIVRE I. 

aux CaDariens lors de la dernière disette de 
grains, a cultivé une colline couverte d^ 
débris volciiniques. Il » formé, dans ce sitft 
délicieui, un jiirdin «ugKiis ; on j jouit 
d'une vue magnifique sur la pyramide du 
Pic, sur ies villages de tu côte et sur l'île du 
Faluia qui borde la vaste éleiidue de l'Océan. 
Je ne saurois conijjiirer celle vue qu'à celles 
des golfes de Gènes et de Niiples : mais 
rOrotava l'emporte de beaucoup pour ta 
grandeur des masses et pour la richesse de 
la végétation. A l'entrée de la nuit, la peota 
du volcan nous ofi'ril tout-à-coup un aspect 
extraordinaire. Les patres , fidèles à uno 
coutume que sans doute tes EUpii^rni^s ont 
introduite, quoiqu'elle date delà plus haute 
aniiquilé, avoient iillunic les fi ux de la S;iint- 
Jean. Ces masses de lumières cparses, ces 
colonnes de fumée chassées par les tour- 
billons , contrastoient avec la son^bre verdure 
des forêts qui couvrent les fliuics du Pic. 
Des cris d'allégresse se faisoient entendre 
de loin, et seuiblolent seuls interrompre le 
silence de la nature d^ns ces lieux solitaires, 
La faimlie de M. Gologan possède une 
maison de campagne plus rapprochée de la 



CHAPITKE II. 2 19 

csbte qiTe celle que je viens de décrire. Le 
nom que lui a donné le propriétaire , désigne 
le sentiment qu'inspire ce site iàampétre. 
La maison de La Paz avoit d'ailleurs pour 
nous un inlérêt particulier. M. de Borda ^ 
dont nous déplorions la mort > Tatoil habitée 
pendant sa dernière expédition aux île^ 
Canaries^ G'e:^ dans une petite plaine voisine 
que ce savant avoit mesuré la base à l'aide 
de laquelle fl détermina la hauteur du Pic. 
Dans cette triangulation ^ le grand dragon- 
mer de rOrolava servoil de signal. Si quelque 
fojageur instruit rouloit un jour entre- 
premfare , avec plus de précision et an 
moyeti de cercles répétiteurs astronomiques^ 
une noiivelle mesure du volcan» il faodroh 
mesurer la base, non près de l'Orolava, 
mais près de les Silos , dans un endroit 
appelé Baritej selon M. Broussonet , il n'y 
a pas de plaine rapprochée du Pic , qui 
office plus d'étendue. En herborisant près 
de la Fa2 , nous trouvâmes abondamment 
le Lichen roccena sur les rochers basalti- 
ques baignés par les e^ux de la mer. L'or- 
seiUe des Canaries est une branche de 
commerce très-^aneienne ; on tire cependant 



â30 LIVRE t. 

ce Lichen moins de lile de Ténériffe que 
des îles désertes du Salvage, de la Gradosa, 
de l'Alegranza, et même de Canarie et de 
Hierro. 

Nous quilliîmes le port de l'Ororava, le 
24 juio au matin; nous dînâmes, en passant 
par la Laguna, chez le consul de France- Il 
eut la complaisance de se charger des col- 
lections géologiques' que nous avions faites 
et que nous destinions au cabinet d'histoire 
naturelle du roi d'Espagne. En sortant de la 
TÏlle et en fixant les yeux sur la rade de 
Sainte-Croix, nous fûmes alarmés par la vue 
de notre corvette le Pizarro qui étoit sous 
voile. Arrivés au port , nous apprîmes qu'elle 
louvoyoit à petites voiles pour nous attendre. 
Les vaisseaux anglois, qui cloient en station 
devant l'île de Ténériffe, avoîent disparu, et 
nous n'avions pas un moment à perdre pour 
quitter ces parages. Nous nous embarquâmes 
seuls; car nos compagnons de voyage étbient 
Canariens, et ne nous suivoient pas en Amé- 
rique. Nous regrettâmes, parmi eux, Doa 

M, Hergen. les a décrites dans les Annales de ciencia» 
mniiniln* qu'il a publlces avec l'abbé Cavanilles. 



CHAPITRE II. S21 

Francisco Salcedo, fils du dernier gouver- 
neur espagnol de la Louisiane, que nous 
retrouvâmes à l'île de Cuba après notre retour 
de rOrénoquc. 

Pour ne pas interrompre la relation du 
voyage à la cime du Pic, j'ai passé sous 
silence les observations géologiques que j'ai 
faites sur la structure de cette montagne 
colossale et sur la nature des roches vol- 
caniques qui la composent. Avant de quitter 
l'archipel des Canaries , il sera utile de nous 
arrêter encore un moment pour réunir, sous 
un même point de vue , ce qui a rapport au 
iaUeau physique de ces contrées. 

Les minéralogistes qui pensent que le but 
de la géologie des volcans est de classer des 
laves, d'examiner les cristaux qu'elles ren- 
ferment et de les décrire d'après leurs carac-" 
tères extérieurs, sont ordinisiirement très»- 
satis&its lorsqu'ils reviennent de la boocbf 
d'un volcan enflammé. Ils en rapportent dt$^ 
collections nombreuses qui sont l'objet pc 
cipal de leurs désirs. Il n'en est pas de méi 
des savans qui , sans confon(fre la minéi 
logie descriptive ' avec la géognosie , tende 

* Oryctognosie, 
I. 



it22 LIVSB I. 

4 s'élever à des idées d'un intérêt général, 
et cherchent, dans l'étude de la natore, des 
réponses aux questions suivantes : 

La montagne conique d'un volcan esl-elle 
entièrement formée de matières liquéfiées et 
amoncelées par des éruptions successives , 
ou renferme-t-elle daûs son centre un novau 
de roches primitives recouvert de laves, qui 
sont ces mêmes roches altérées par le feu? 
Quels sont les liens qui unissent les produc- 
tions des volcans modernes aux basaltes, aux 
phonolites et à ces porplivres à base feldspa- 
thique qui sont dépourvus de quartz, et 
qui recouvrent les Cordillères du Pérou et 
du IMexique, comme le petit groupe des 
M(mi-.-Durés, du Cantal et du Mézen en 
France? Le uovau ceniral des volcans a-l-il 
été chauffé eu place, et soulevé, dans un 
état de ramollissement, par la force des va- 
peurs cliisliques , avant que ces fluides eussent 
coîTimuniqué, par un cratère, avec l'air esté- 
rieni? Quelle est la substance qui, depuisdes 
milliers d'années, entretient celle combus- 
tion, l;int6l si lente, tantôt si active? Cette 
cause inconnue agit-elle à une profondeur 
immense, ou l'action chimique a-t-elle lieu 



CHAPITRE II. 523 

dans les roches secondaires superposées au 
granité? 

Moins ces problèmes se trouvent résolus 
dans les nombreux ouvrages publiés jusqu'ici 
sur l'Etna et sur le Vésuve, et plus le voja- 
geur désire A'oir de ses propres yeux. Il se 
flatte d'être plus heureux que ceux qui l'ont 
précédé; il veut se former une idée précise 
des rapports géologiques entre le volcan et 
les montagnes circonvoisines; mais que de 
fois il est trompé dans son espoir, lorsque, 
sur les limites du terrain primitif, d'énormes 
bancs de tuf et de pouzzolanes rendent im- 
possible toute observation de gisement et de 
superposition ! On parvient dans l'intérieur 
du cratère avec moins de difficultés qu'on ne 
le supposoit d'abord ; on examine le ( 
depuis son sommet jusqu'à sa base; 
frappé de la différence qu'offrent les p 
de chaque éruption , et de Vàttf 
existe cependant entre les \am 
volcan : mais , malgré le ! 
on interroge la nature j i 
d'observations partielles ^ 
chaque pas, on revient de laC 
enflammé, moins satisfait qii^ 




52^ LIVSB I. 

se préparant à y aller. C'est après qu'on les 
a étudiés sur les lieux que les phénomèDes 
volcaniques pHroissent plus isoles, plus t^- 
rùbles, plu5 ubscurs encore qu'on ne se les 
figure en consultant les récils des vojngeurs. 
Ces considérations se sont présentées à moi 
€0 revenant du sommet du Pic de Ténérifle, 
le premier volcan aclif que j'aye eu occasion 
de visiter; elles rn'onl frappé de nouveau 
cliaquefoib que, diins l'Amérique méridionale 
ou au Mexique, j'iii eu occasion d'examiner 
des montagnes volcaniques. En réfléchissant 
sur le peu de progrès que les travaux des 
mincralo^'istes et les déeouverlesen chimie ont 
l'ait i'aiie à la j^éologie physique des volcans, 
on no sauroit se défendre d'un senlimeot 
pénible : il l'est surtout pour ceux qui, inter- 
royeanl la nature sous les climats divers, 
sont plus occupés des problèmes qu'ils n'ont 
pu résoudre que du petit nombre de résultats 
qu'ils ont obtenu. 

Le Fie d'AyadyrniLi ou d'Eclieyde ' est une 
montagne conique, isolée, placée dans un 

Le mol echeyde, ijui signifie erif^r dans la langtic 
(Jes tiuaiiciieï , a élé trausrornté par les Européeus en 



CnAPITRE ir. 525 

Ilot d'une très-petite circonférence. Les sa vans 
qai ne considèrent pas à la fois la sarface 
entière du globe, croient qoe ces tfois cir- 
constances sont communes à la plupart de» 
volcans. Us citent, à l'appui de leur opinion ^ 
TËtna, le Pic des Açore», la soufrière de la 
Guadeloupe, les Trois - Sfilazes de l'île de 
Bourbon , et cet archipel de volcans que ren- 
ferment la mer de l'Inde et le Grand-Océan- 
En Europe el en Asie, autant qne l'intérieur 
de ce dernier continent a été reconnu , aucun 
volcan actif n'est situé dans une chaîne de 
montagnes; tons en sont plus ou moins t'Iui- 
gnés. Dans le nouveau monde , an contraire , 
et ce fait mérite la plus grande attention , les 
volcans les plus imposans par leurs masses 
fout partie des Cordillères cernes. Les mon- 
tagnes de schble micacé et de gtieiss du Pérou 
et de la Nouvelle-GrenadeJ 
dialement aux por] 
provinces de Quito e 
nord de ces c 
royaume de C 
groupés 
dire 




feu volcan: 



526 LI\BE I. 

éloignée des Cordillères , comme dans le 
Saogay et le JoruUo ' , on doit regarder ce 
phénomène comme une exception à la loi 
qae la nature semble s'être imposée dans ces 
régions. J'ai dû rappeler ici ces faits géolo- 
giques, parce qu'on a opposé ce prétendu 
isolement de tous les volcans à l'idée que le 
Pic de Ténériffe et les autres cimes volca- 
niques des îles Canaries sont les restes d'une 
chaîne de montagne*, submergée. Les obser- 
vations qui ont élé faites sur l'agroupement 
des volcans eu Amérique , prouvent que l'an- 
cien état de choses représenté dans la carte 
conjecturale de V lllnnlide , de M. Bory de 
Saint- Vincent , n'est aucuneinent contraire 

' Deux volcans des (irovinces de Quixos et de 
Méchoncaa , l'un de l'Iiémisphcrc austral , et l'autre 
de l'Iiémlsplière boréal, 

" I~i (guestioii si les Iradiiious des anciens sur l'At- 
lantide reposeut sur des faits historiques est entière- 
ment difiërente de celle-ci r si l'arcbipel des Canaries 
et les îles adjacentes sont lefî débris d'une chaîne de 
montagnes , décliiréc et sulimergée dans une dfs 
grandes catastrophes qii'a éprouvées notre globe. Je 
ne prétends émcllre ici aucune opinion en faveur de 
l'existence de l'Atlantide; mais ie lâche de prouver 



€HicPITRB II. 327 

aux lois reconnues de la nature , et que rieo- 
ne sfoppose à admettre que les cimes de Porto 
Santo^ de Madère et des îles Fortunées 
peuvent a^oir formé jadis ^ soit un système 
particulier de montagnes primitives , soit Tex* 
trémilé occidentale de la chaîne de FAtlas. 

Le Pic de Tejde forme une masse pyra- 
midale comme l'Etna, le Tungurahua et le 
Popocatepetl. H s'en- faut de beaucoup que* 
ce caractère physionomique soit commun à 
tops les volcans. Nous en avons observé dan» 
Thémisphère austral qui , au lieu d'ofiPrir la 
forme d'un cône ou d'une cloche renversée , 
sont prolongés dans un sens^ ayant la croupe 
tantôt unie y tantôt hérissée de petites pointes 
de rochers. Cette structure est particulière à 
TAntisana et au Pichincha^ deux volcans actifs 
de la province de Quitto; et l'absence de la 
forme conique ne devra jamais être consi- 
dérée comme une raison qui exclut l'origine 
volcanique. Je développerai dans la suite àm 
cet ouvrage quelques-uns des rapports* ^ 

que les Canaries n'ont pas jAus été formées pai 
volcans , que la masse entière des petites. Antilbs 
L'a> été par. des madrépores. 



je crois avoir aperçus entre la physionomie 
des volcans et l'ancienuelé de leurs roches. 
11 suffit|d'ohserver ici en général que les cimes 
qui vomissent encore avec le plus d'impé- 
tuosité, et aux ppo({ues les plus rapprochées , 
soutdes Pics élancés à forme conique ; que les 
montai^nes à croupes prolongées et hérissées 
de petiles masses pierreuses sont des volcans 
très-anciens el prés de s'éteindre, et que les 
sommités arrondies en forme de dômes on de 
cloches renversées annoncent ces porphyres 
problématiques qu'on suppose avoir été chauf- 
fés en place, pénétrés par des vapeurs, et 
soulevés dans un état ramolli , sans avoir 
jamais coulé comme de véritables laves 
Ijthoïdes, Au premier' de ces tipes appar- 
tiennent le Cotopaxi, le Pic de Ténériffe et 
celui d'Orizava au Mexique; le second ' est 
commun au Cargueirazo et au Pichincha , 
dans la province de Quito , au volcan de 
Puracé, près de Popayan, et peut-être aussi 
à l'Hecla en Islande. Le troisième' et der- 

' Atlas pUlorexque ,V\, -i.. 

'■ Ibid. , PI. I.XI. 

' Ibid.. PI. xvi. (Ml V.C l'édition iu-8°.) 



CHAPITRE II. 33^ 

nier de ses types se retroove dans la forme 
majestueuse du Chimborazo, et, s'il est per- 
mis de placer à côté de ce colosse une col- 
line de l'Europe ; dans le Grand-Sarcôuj en 
Auvergne. 

Pour se former une idée plus exacte de la 
structure extérieure de» volcans , il est impor- 
tant de comparer leur hauteur perpendicu- 
laire à leur circonférence. Cette évaluation 
n'est cependant susceptible de quelque pré- 
cision, qu'autant que les montagnes sont 
isolées et placées sur une plaine qui se trouve 
à peu près au niv«au de la mer. En calculant 
la circonférence du Pic de Ténériffe d'après 
une courbe qui passe par le port de l'Oro- 
tava, par Garachico, Adexe et Guimar, et 
en faisant abstraction des prolongations de 
sa base vers la forêt de la Laguna et le cap 
Nord -Est de l'île, on trouve que ce dévc^ 
loppement est de plus de 54.9OOO toises. ÎÀ 
hauteur du Pic est par conséquent n d 
circonférence de sa base. M. de Bu 
trouvé ce rapport de n peur le Ycsiive 



•' 



* Gilbert , Annalen der Physik , B. 5 , pag. A 
Vésuve a i33,ooo' palmes ou 18 milles mari 



55(y LITRE I- 

ce qui peiil-êtrc est moiDS certain , de sr potM- 
l'Elna. Si la penle de ces trois volcans éloit 
uDifonne depuis \c sommet jusqu'à Li hase, 
elle seroil inclinée au Pîc deTeyde de 1 2** 29^; 
au Vésuve, de i2°4i' ï et à l'Etna, de 10" j 3'; 
résullatqui doit surprendre ceux qui ne réflé- 
chissent pas sur ce qui constitue une pente 
moyenne. Dans une montée trcs-lougue , des 
terrains inclinés' de trois à qjjatre degrés 
allerncnt avec d'autres qui sont inclinés de 
aS à 3o degrés, et ces derniers seuls fr;ippent 
notre imagination , parce que l'on croit toutes 
les pentes des montagnes plus rapides qu'elles 
ne le sont efleclivement. Je puis citer, à l'ap- 
pui de celte considération, l'exemple que 
présente la montée depuis le port de la Vera- 

circonrérence. La distance liorizoïit.-ile de Résina au 
cratère est de 3700 toises. Des miDéralogistes italiens 
ontcTaluélacirconliérence de l'Etna de 8^0,000 palmes 
ou de 119 milles. Avec celte donnée, le rapport de la 
hauteur à la circonférence ne scroit que de 5^; mais 
je trouve, en traçant une courbe par Calania , Pa- 
terno , Bronte et Piemonte , fia milles de circonfé- 
fércnce , d'après des cartes les plus exactes. Le rap- 
port tic ~ augmente par là jusqu'à 57. La hase 
lomliL'-t-elle liors de la coui'be que j'indique? 



CHAPITOE II. 35i: 

Cruz jusqu'au plateau du Mexique. C'est sur 
la pente orientale de la Cordillère qu'est tracé 
un chemin qui^ depuis des siècles, n'a pu 
être fréquenté qu'à pied ou à dos de mulet. 
Depuis l'Encero au petit village indien de las 
VigaSy il y a 7600 toises de distance horizon- 
tale; et l'Encero étante d'après mon nivelle- 
ment barométrique^ de 746 toises plus bas 
que las Vigas, il ne résulte, pour la pente 
moyenne, qu'un* angle de 5°4o'- 

J'ai réuni, dans une même planche, les 
profils du Pic de Ténériffe , du Golopaxi et 
du Vésuve. J'aurois volontiers substitué à ce 
dernier TEtna, parce, que sa forme est plus 
analogue à celle des deux volcans d'Amérique 
et d'Afrique ; mais je n'ai voulu tracer que 
le contour des montagnes que j'ai visitées et 
mesurées moi-même; et, quant à l'Etna, 
j'aurois manqué de données pour les hauteurs 
intermédiaires. Je dois faire observeij encore 
que, dans les trois profils, les échelles de. 
distances et de hauteurs ont les mêmes rap* 
ports. Les distances ont été déterminées 
d'après les cartes de Zanoni , de Borda et de 
La Condamine. Le lecteur, versé dans les 
opérations de nivellement, ne sera pas étonné 



332 LIYBE I. 

de la penle Ires-douce que paroissent pré- 
senter ce« profils. Dans la nature, dd plan 
incliné sons un angle de 35'^ paroil l'être de 
5o". On ose à peine descendre en voiiare 
Doe pente de 22", et les parties des cônes toI- 
caniques inclinées de ^o" à ^2" sont déjà 
presque inaccessibles, quoique le pied poisse 
former des gradins en enfonçant dans les 
cendres. Je réunis, dans une note particu- 
lière, les expériences que j'ai faites sur les 
difficultés que présente la déclivité des ter- 
rains montagneux ". 

' Dans lies endroits où il y avoit à l.-i fois des 
penl< -i couvertes de gazon touffu et de» sables moa- 



'ai nùt les r 


nesures suiva 


ntes: 






pente d'un 
En l'ran 
pas, sel 01 


e inclinaison déjà très - marquée. 
ce, les grandes routes ne peuTent 
n la loi , excéder 4" 46' ; 


pfinHî trJ's 
cendre ei 


-rapide, que 

1 Toilure ; 


l'onn 


e peut pas des- 


, penle presque inacccs 


sible à 


pied. 


si le sol 



ent un roc nu ou un gason trop serré pour 
qn'on puissi' y rornier des gradins. Le corps 
de l'tiouiiufi louihc en avricre lorsque le 
tiliia fiiil avre l.i plante du pied un sOgla 
plus petil que 53" ; 
, pi'iilc In plus inclinée qu'on puisse ffi 



CHAPITEl II. 555 

Les volcans isolés offrent, dans les régions 
' les plus éloignées, beaucoup d'analogie dans 
leur structure. Tous présentent , à de grandes 
hauteurs, des plaines considérables au mi- 
lieu desquelles s'élève un cône parfaitement 
arrondi. C'est ainsi qu'au Cotopasi les plaines 
de Suniguaicu s'étendent au-dessus de la maî- 
teriede.Pansache. La cime pierreuse d'Anti- 
aana, couverte de neiges éternelles, forme 
un Uot au milieu d'un immense plateau dont 
la surface est de douze lieues carrées , et dont 
la hauteur surpasse de deux cents toises celle 
du sommet du Pic de Ténériffe. Au Vésuve, 
à trois cent soixante~dix toises d'élévation, 
le cône se détache de la Plaine de l'Atrio dei 

a pied dans un terraia «abloimeux ou couvert 

de cendres Tolcaniquei. 
Lonqne U pente «it da 44*, il Mt p|SfQBe ini' 
possible de la gravir, quoïijue le terr^iîa 
d'y former des gradins ta «ofen^ADl le pîei 
oAoes dee volcaus ont u 
à 4o". Les purties 1 
VJMBTe , soit du Pic i 
chineha et i 
pente de âj^ 
haut, c 




dS4 LITBE I. 

Cavalli. Le Pic de Tént-iifle présente dcus 
de ces plateaux dont le supérieur est Irès- 
pelit, e( se trouve à la hauleur de l'Etna, 
imniëdîjtenient au pied du Piton, tandis qoe 
le second , couvert de touffes de Relama 
(Sparlium iiubi^enum) s'éteud jusqu'à l'^s- 
taricia de los Ingleses. Celiii-ci s'élève au- 
dessus du niveau de la nier presque autant 
que la ville de Qtiilo et le sommet du Mont- 
Liban. 

Plus une inoiilagne a vomi par son cratère, 
et plus son cône de cendres est élevé en raison 
de la liaulenr perpendiculaire du volcan en- 
tier. Rien de plus frappant, sous ce rapport, 
que la différence de structure qu'offrent le 
Vésuve, le Pic de Tcnériffe et Je Picliincha. 
J'ai choisi de préférence ce dernier volcan , 
parce (|uc sa cime ' entre à peine dans la 
liniile inférieure des neiges perpétuelles. Le 

' J'iil mesLUf ]*: sorameL de l'ichiuch.i , o'esl-à-diie 
lu mimticule couvert de cendres, au-dessus du LWo 
(Irl Viilciii , an nord de l'Allo de Chuqiûra. Ce moi:- 
licide n'a cependant pas la forme régulière d'un cÔhb. 
Quant ou Visuve , j'ai indiijiié la liaitteur moyenne du 
P;iiii de Sucre, a c.iusc de la fp-.inde diflereiiec qoa 
[irésentcnt les deux Imrds du crattre." 



CHAPITRE XI. 333 

cône du Goiopaxi, dont la forage est la plus 
élégante et la plus régulière que l'on con- 
Doisse^ a ô4o toises de hauteur, mais il est 
impossible de décider si toute cette masse est 
couverte de cendres. 



NOMS DES VOLCANS. 


HAUTEUR 

totale 
en toises. 


HAUTEUR 

da cône 

coairert de 

cendres. 


RAISON 

do cône 

à U 

haateor 

totale. 


Vésuve 


606* 


200*- 


t 




Pic de Téaéri£fe...* 


1904*- 


M*- 


1 
** 


Pichmcha 


2490*" 


24o*- 


" 





Ce tableau semble indiquer ce que nous 
aurons occasion de prouver plus amplement 
dans la suite , que le Pic de ïénériflPe appai^ 
tient à ce groupe de grands volcans quiV 
comme TEtna et TAntisana , ont plus agi pi^ 
les flancs que par le sommet. Aussi le cratè 
placé à l'extrémité du Piton, celui que ï 
désigne sous le nom de la Caldera, est-iia 
gulièrement petit; et celte petitesse ai 
même* déjà frappé M. de Borda et d'^in 



536 LITRE I. 

voyageurs qui ne s'occiipoieiit guère de 
recherches géologiques. 

Quant â la nature des roches qui com- 
posent le sol de Ténénfre , il l'aut d'abord dis- 
tinguer entre les productions du volcao actuel 
et le sjslèuie des montagnes basaltiques qui 
entourent le Pic, et qui ne s'élèvent pas au- 
delà de cinq à six cents toises au-dessus du 
niveau de l'Océan. Ici, comme en Italie, 
comme an Mexique et dans les CordQlères de 
Quito, les roches de la formation Irapéenne' 
restent éloignées des coulées de laves mo- 
dernes; tout annonce que ces deux cesses de 
substances, quoiqu'elles doiventleur origiueà 
des phénomènes analogues, dateut cependant 
d'époques très-différentes. Il est important, 
pour la géologie, de ne pas confondre les 
courans de laves modernes , les buttes de 
basalte, de griinslein el de phonolile qui se 
trouvent dispersées sur les terrains primitifi 
et secondaires, et ces masses porpliyroïdes' 

' Tiapp- formation reufermant les basaltes, les 

grii/cslein, les porphyres trapéens, les phoDolitcs ou j 

porphyrsfliiefer , etc. j 

" Ces niasses pctrusiliceuscsenchâascut «les crùtaui I 

de feltUpath viticuï souvent frittes, de i'ampliiiiole, j 






CHAPITRE II. 537 

à base de feldspath compacte qui n'ont peut- 
être jamais été parraitement Itquénées, mais 
qui n'en apparlienneut pas moins au domaine 
des volcans. 

Dans nie de TénéritFe, des couches de 
tuf, de pouzzolane et d'argile séparent le 
système des coUiacs basaltiques des coulées 
de laves lithoïdes modernes et des déjections , 
du volcan actuel. De même que les éruptions 
de l'Epomeo dans l'île d'Iscliia et celles de 
JoruUo au Mexique ont eu lieu , dans des ter- 
rains couverts de porphyre trapéeos , de 
basaltes anciens et de cendres volcaniques, 
le Pic de Teyde s'est élevé au milieu des 
débris de volcans sous-marins. Malgré la dif- 
férence de composition qu'offrent les laves 
modernes du Pic , on y reconnoît une c 
régularité de gisement qui doit frapp 

dcB j^oxënes, un peu d'olivine et 
de quartz. A cetti' formation 
partiennent lei porphj: 
et de Riobamba en  
neéns en Italie, et du 
de même que le» iUnnila* 
de-Dàme, du Fctit-CIeii 
Cbopine en Anvergne. 




338 MTRE r. 

naturaliïites les moins instruits en géognosie. 
Le grand Plateau des Genêts sépare les laves 
noires, basaltiques et d'un aspect terreux, 
des laves vitreuses et feldspalhtqaes dont la 
base est de l'obsidienne, du peclisleîii et de 
la phonolite. Ce phénomène est d'autant plus 
remarquable, qu'en Bohême et en d'autres 
parties de l'Europe, le pQfphjrsckiefcrb. base 
de phonolite ' recouvre aussi les sommets 
bombes des montagnes basaltiques. 

Nous avons déjà fait observer plus haut 
que, depuis le niveau de la mer jusqu'au 
Portillo et jusqu'à l'entrée du Plateau des 
Genêts, c'est-à-dire sur deux tiers de la hau- 
teur totale du volcan , le sol est tellement 
couvert de végétaux qu'il est difficile de faire 
des observations géologiques. Les coulées de 
laves que l'on découvre sur hi pente du Monte- 
Verde, entre la belle source du Dornajito et 
la Caravela , offrent des niasses noires, altérées 
par la décomposition , quelquefois poreuses, 
et à pores très-alongcs. La base de ces laves 
inférieures est plutôt de la wakke que du 
basalte; lorsqu'elle est spongieuse, elle res- 

' Klingsleirij Wcriicr. 



CHAPITRE II. 35g 

semble aux amygdaloïdes ' de Francfort-sur- 
le-Mein ; sa cassure est ^néralemcot inégale 
partout où elle est conchoïde ; on peut sup- 
poserque le rerroidissemeotaété plus prompt, 
et que la masse a été exposée à une pression 
molus forte. Ces coulées ne sont pas divisées 
en prismes réguliers, mais en couches très- 
minces et peu régulières dans leur inclioaî- 
soq; elles renferment beaucoup d'oUvines, 
de petits grains de fer magnétique , et des 
pyroxèues dont la couleur passe souvent du 
vert poireau foncé au vert olive, et que l'on 
pourroit être tenté de prendre pour du 
péridot olivine cristallisé y quoiqu'il n'existe 
aucun passage de l'une à l'autre de ces 
substances '. L'amphibole est en général très- 
rare à Ténériffe, non seulement dans les laves 
Uthoïdes modmies, mais aussi dans les basaltes , 
, comme l'a observé M. Cordier, c 



' fVathmartiger MaïuIeUteia de 
■ Stéffêtu, Handbuch der OryttOf 
Les criataox que nous 
lebeD et moi, toa» U dénomi nation 
{blattHgÊr Oiivin), appartiennent, (Vi 
ten, au Pyroxiae Augiie.^ Journal tin 
berg, 1791, p- aiS. 




34© LIVRE I, 

de tous les minéralogistes qui a séjourné le 
plus loDg-temps aiis îles Canaries. On n'a 
point encore vu au Pic de Ténériffe de la 
népheline , des leucites , de l'idocrase et de la 
mejonite : car une lave gris-rougeàtre , mie 
nous avons trouvée sur la pente du Monte- 
Verde , et ^n renferme de petits cristaux 
microscopiques, me paroît être un mélange 
intime de basalte et d'unalcime •- De même 
la lave de Scala, avec laquelle la ville de 
Naples est pavée , offre une mélange iotiuie 
de basalte, de népheline et de leucite. Quant 
à cette dernière substance , qui n'a encore été 
observée qu'au Vésuve et dans les environs 
de Rome , elle existe peut-être au Pic de 
Ténériffe , dans des coulées ancienues qui 
sont recouvertes par des déjections plus ré- 
centes. Le Vésuve, pendant une longue suite 
d'années % a aussi \ omi des laves dépourvues 

' Celte substance, que Dolomieu a tlécouTcrte dans 
les ain_vgdaloïdes de Catanea en Sicile, et qui accom- 
pagne les stilbites de Fassa en Tvrol, forme, avec 
la chabasic de Hauy, le genre cubicîte de Werncr. 
M. Cordier a trouvé à TéncriiTe de la zéolithe dans 
une amygdaloïde qui est superposée aux. basaltes de 
la Punta de Kaga. 

- l'ar cxoinple en 1760, 1794 et i8o5. 



CfliPITBE II. 341 

•ûe leucites ; et s'il est vrai , comme M. de Buch 
l'a rendu extrêmement probable ', que ces 
cristaux nese forment que dans les courans qui 
sortent soit du cratère même, soit très-près 
de'son bord, il ne faut pas être surpris de ne 
pas en trouver dans les lares du Pic qui sont 
presque toutes dues à des éruptions latérales , 
et qui , par conséquent , ont été exposées à 
une énorme pression dans Tiatérieur du 
volcan. 

Dans la Plaine des Genêts , les laves basal- 
tiques disparoissent sous des amas de cendres 
et de ponces réduites en poussière. De là jus- 
qu'au sommet^ de i5oo jusqu'à 1900 toises 
de hauteur, te volcan ne présente que des, 
laves vitreuses à base de pechslein " et d'ob- 
sidienne. Ces laves , dépourvues d'amphi- 
bole et de niica, sont d'un brun noirâtre 
qui passe souvent au vert d'olive Ift j 
obscur. Elles enchâssent de graxu 

' Lecpoid 
S. aai. Giiberta 
du leucrtes (amphyi 

Mflxiqns , n'est foi 
* Peb'osilci, résioil 




S43 LIVRE I. 

de feldspath qni n'est pas feodillé et qui est 
rarement Titreoï. L'analogie que présentent 
ces masses décidément volcaniques avec les 
porphvres resiniles ' de la vallée de Tribisch 
en Saxe , est très-remarquable ; mais ces der- 
niers , qui appartiennent à une formation de 
porphyres métallilères ^ très-répandus , coh- 

' Pechitein-Porphyr, Vinaer. 

' On peut distinguer aujoitrd'hui quatre formatiODS 
{^HiittptTtiederlagm) rie porplivres: la première est 
prinutÎTe el se troure en courbes ^ubontonnées dan^ 
le gneiss et dios le Khiïte micacé {^Isaac de Frti- 
b^rg); ta seconde alterne aïec la sveoite, elle est 
plus ancienne que la Grauwaktc et appartient trai- 
sembUblement déjà sus. montagnes rie transition, 
Veivrgan^-Gebîrge. Elle renferme des couches rie 
peclistein t;t d'obsidienne, et niéaie du. calcaire grenn, 
comme nous en Tovons l'esemple près de Heiasen 
en Saie: elle est très-mélaîliitre.. et se trouve au 
Mexique (Guanaxu.ito, Re^la, etc.), en Tîorwège, 
en Suéde et à Schemaitz en Hongrie. Le porphyre 
de Nomège couvre , prés de Skeen , de la grauwaLke 
et de l'anngdaloide -. il enchâsse des crislanx de 
■juarts. Près de Holmesiraudt , une couche de basalte 
i|ui abonde en p\roi.ëue, se trouve intercalée dans 
le porpb\re de transition. La roche de Schemniti 
( le Saxuni uietaliit'erusi de Ferber et de Born) qui 
repose sur le tbouscbiefer;, est rièponirue de qnartx,! 



CHAPITRE II. 343 

tiennent souvent du quartz qui manque dans 
les laves modernes. Lorsque la base des laves 
du Malpap f^it transition du pechstein à 

et renferme de Famphibole «t du field^tli eoMamn. 
C'est cette aeconde formation de porphyre qui parott 
avoir été ]e ceiUie des pins ancienneR révolntions 
volcaniques. La trouième formation appartient au grè» 
ancien {Tbdlet-LieggTidt), qui sert de base 'a la pierre 
calcaire alpine ( Alpen-Kalk^tein ou Zecbatein); elle 
renferme les amygdaloîdes agathîfères d'Oberstein 
dans le Palatinat, et recouvre quelquefois (en Thu- 
ringe) des cooclieB de bouillei La quatrième forma- 
tion des porphyres est trapéenns , dépourvue de 
quartz , et surtout en Amérique y souvent mêlée 
d'olivine et -Ae pyroxène ; elle accompagne les ba- 
8alteS],le3 grunstein et les phonolites (Chimborazo, 
province de los Pastoe^ DrachenGels prés de Bonn, 
Puy-de-Dâme). La cbsslfîcation. des porphyres pré- 
sente de grandes difricu]lt:sj le granité^, 
le achisle micaeé, le tbonscbiefer^ le ehl 
forment une série dans UqaeUe < 
Uée à. celle qui la précède. Les porphi 
traire se troRVEut comme isolés dans li 
lo^qne; ib iiHVent c)'.-^ 
non aux sii1jstaiit.'i;s îur Lr-MjUicUes 
Gmgnosi. Beob. , T. 1. S^ Je). Coaniir 
de cet ouvrage il €sl *:a^nLt t^uittti»» 
volcaniques et u<>i' tolei 




544 LIVRE r. 

l'olisidienne , la couleur 'en est plus pâle et 
mélangée de gris : dans ce cas, le feldspath 
passe par des nuances insensibles du commun 
au vilreux. Quelquefois les deux variétés se 
trouvent réunies dans un niêine fragment . 
comme nous l'avons aussi observe dans les 
porphyres trapéens de la vallée de Mexico. 
Les laves feldspathiques du Pic , beaucoup 

pensable de présenter le tableau général des forma- 
tions tracé par l'illustre chef de l'école de Freiberg, 
d'après ses propres observations, d'après celles de 
âlM. de Bueh, Esmark et l'reiesleben , et d'après 
W miennes Ces grandes divisions, susceptibles de 
])eaucoup de perfectionnement, sont indépendantes 
de toute hypothèse snr l'origine des porphyres : il 
ne s'agit ici (jue des rapports de gisement, de super- 
posiliiin et d'ancienneté relalive. On peut désigner 
les ijuaire formations que nous venons de décrire, 
par les noms de porpli' res primitifs ( Urporphyre) , 
de porphyres de transition {^Uebergangfiporphyre), 
de porphyres secondaires {^Flœzporpkyre^ et de poi'- 
phjres trapéens [Trnj'por/ihyre). En confondant la 
seconde et la quatrième de ces formations soits le 
nom commun de iaves porphyriques, on rejette la 
fciignosip dans le vague duquel elle est à peine sortie: 
il vaudroit autant embrasser le gneiss, le schiste mi- 
cacé et le thonscbiefer sous le nom général de roche» 
feiiillelées el schisteuses. 



CHAPITRE II. 54^ 

moins noires que celles de l'Arso dans l'île 
dischia , blanchissent au bord du cratère 
par l'effet des vapeurs acides ; mais leur inté- 
rieur n'est aucunement décoloré comme celui 
des laves fcldspathîques de la Solfatare de 
Naples , qui ressemblenlrentièrement aux por- 
phyres trapéens du pied du Gbimbôrazo. Au 
milieu du Malpa js , à la hauteur de la cave de 
glace, nous avons trouvé, parmi les laves vi- 
treuses a base de pechstein et d'obsidienne , des 
blocs de véritable phonolite gris-verdAlre où 
vert de montagne, à cassure unie, el«éparés 
en plaques minces , sonores et à bords Icès- 
'aigus. Ces masses sont identiques avec les por- 
phyrschiefer de la montagne de Bilin en 
Bohême ; on j reconnoît de très-petits cris- 
taux alongés de feldspath vitreux. 
■ Cette disposition régulière des laveslithoïdes 
basaltiques et des laves vitreuses feldspatbiques 
\ est analogue aux phénomènes que présentent 
Ltoutesles montagnes trapéenues; elle r;ippeHe 
VEs phonolites reposant sor des basaltes ircs- 

jicieDs, ce'" "i-'l •■■ 'utim > '^^■ m i'nes et 

efeldip^iiL I . . ■ . .1 .- .;ikke 

■ou d'-Tniv^.; il. . . ■ I I'- - -™|.'-ui'<]iioi 



^^dijpi. 



3^ ixtmm L 

■e se tnMvca*<«fles tftà b âme do Tokaa ? 
oa floit-oa iMmIuie de leur j^iscnieiit qu'elles 
Mtctt (f DM fbmuiioD plos receale que les Laves 
Ktboides ba&aliiqoies qtâreofemieat rolinne 
elleprroxt-oe . Je ne sanrob admettre cette 
dernière hypodiese : car deserapticHis latérales 
<Mit pu couvrir le novaa feldspathiqnc à nue 
époqoe ou le cratère do PitoQ avoit cessé 
d'agir. Au^ esai*e aussi on n observe de petits 
cristaux de feldspath vitreus que dans les 
laves tres-aDcieoQes qu'offre le cirque de 
la Somma. Cts laves , ans leuciles près, 
rfôsembleol assez aux dejectioDs pfaoDoti- 
tiques du Pic de Ténerîffe. En général, plus 
on s'éloigne des volcans modernes , et plus 
les coulées , tout en augmentant de niasse et 
d'étendue . prennent le caractère de véritables 
roches, soit dans la régularité de leur gise- 
ment , soit dans leur séparation en couches 
parallèles, soit enfin dans leur indépendance 
de la fornie actuelle du sol. 

Le Pic de Ténériffe est , après Lipari, le 
*olc;in qui a produit le plus d'obsidienne. 
Celte abondance est d'autant plus frappante 
que , dans d'autres régions de la terre , en 
Islande, en Hongrie, au Mexique et dans le 



CHAPITRE H. 347 

rojaume de Quito , on ne rencontre les obsi- 
diennes qu'il de grandes distances des volcans 
actifs ; elles sont tantôt dispersées sur les 
champs en morceaux anguleux , comme prè$ 
de Popayan dans l'Amérique méridionale } 
tantôt elles forment des rochers isolés^ comme 
au Quinche près de Quito ; tantôt ^ et ce gise- 
ment est très-remarquable , elles sont disse-* 
minées dans la pierre perlée ( le perlsteip 
de M. Esmark ) y comme à Ginapecuaro dans 
la province de Méchoacan ' et au Cabo de 
Gates en Espagne. Au Pic de Ténériffe , les 
obsidiennes ne se trouvent pas vers la base du 
volcan qui est recouverte dejaves modernes : 
cette substance ne devient fréquente que vers 
le sommet , surtout depuis la Plaine de Re-* 
lama , où Fou peut en recueillir de superbes 
échantillons. Cette position particulière , et 
la circonstance que les obsidiennes du Pic 
ont été lancées par un cratère qui, depuis 
des siècles , n'a pas vomi de fiammes , favo- 
risent l'opinion que les verres volcaniques , 
partout où on les rencontre, doivent être 
comme de formation très-ancienne. 



* A l'ouest de la ville de Mexico. 



348 ■LtVRB I. 

L'obsidienne , le jnde et la pieri'e Indique 
sont trois minéraux que, de tout temps, 
les peujtles qui ne connoissent pas l'usage 
du bronze et du fer, ont employés pour 
fabriquer des armes tranchantes. Dans les 
parties tes plus éloignées du globe, le besoin 
a fixé le choix sur les mêmes substances : 
nous voyons des hordes nomades traîner avec 
elles , diijis des courses lointaines , des pierres 
dont les niiriérjloffisles n'ont pu jusqu'ici 
découvrir le gisement naturel. Des haches 
de jade, couvertes d'hiéroglyphes aztèques, 
que j'ai rapportées du Mexique, ressemblent, 
quant à leur forme et à leur nature, à celles 
dont se servoient les Gaulois, et que nous 
retrouvons chez les habilans des îles de 
l'Océan Pacifique. Les Mexicains exploitoieut 
l'obsidienne dans des mines qui occupoient 
une vaste étendue de terrain : ils en faisoient 
des couteaux, des lames d'épées et des rasoirs. 
De même les Guanches, qui désignoient 
l'obsidienne sous le nom de Tahonn , en 
iîxoient des éclats au bout de leurs lances. 
Ils en faisoient im commerce considérable 
avec les îles voisines; et, d'après cet usage 
et la quantité d'obsidiennes qu'il falloit casser 



CHàpiTKE II. 34g 

avant d'en tirer partie on doit croire que 

ce minéral est devenu plus rare par la suite 

des siècles. On est surpris de voir un peuple 

atlantique remplacer ^ comme les Américains » 

le fer par une lave vitrifiée. Chez l'un et 

l'autre de ces peuples , cette variété de lave 

étoit employée comme objet d'ornement: 

les habitans de Quito faisoient de superbes 

miroirs d'une obsidienne séparée en couches 
parallèles. 

Les obsidiennes du Pic présentent trois 
variétés. Les unes forment des blocs énormes 
de plusieurs toises de long et d'une forme 
souvent sphéroïde : on croiroit qu'elles ont 
été lancées dans un état ramolli , et qu'elles 
ont subi un mouvement de rotation. Elles 
contiennent beaucoup de feldspath vitreux 
d'un blanc de neige et du plus bel éclat de 
nacre. Ces obsidiennes sont cependant peu 
translucides sur les bords ^ presque opaques^ 
d'un noir brunâtre, et d'une cassure qui n'est 
pas parfaitement conchoïde. Elles font tran- 
sition au pechstein , et on peut les regarder 
comme des porphyres à base d'obsidienne. 
La seconde variété se trouve en fragmen$, 
beaucoup moins considérables ; elle est gêné- 



55rt LITRE r. 

ruleinentd'un noir verdâtre, quclqueTois d'urt 
gris de fumée, très-rarement d'un noir par- 
lait, comme les obsidiennes du Hecla et du 
Mexique. Sa cassure est parfaitement con- 
clidïde , et elle est éminemment translucide sur 
les bords. Je n'y ai reconnu ni ampliibole ni 
pyroxène, mais quelques petits points blancs 
qui paroissent du feldspath. Toutes les obsi- 
diennes du Pic sont dépourvues de ces masses 
gris de perle ou Iileu de lavande, rayonné et 
à pièces séparées cunéiformes, qu'enchâssent 
les obsidiennes de 0"i'"» ^^ Mexique et de 
Ijipari, et qui ressemblent aux lames fibreuses 
des Cl isfallid's de nos verreries , sur lesquelles 
Sir James Hall . le docteur Tlioropson el 
M, Flcurieu de Bellevue ont public récem- 
ment des observations très-cnrieuscs '- 

' ISihl. BrùnTin., T. XV, p. 3'iOi T. XXVII, 
1». 1*7. Edinù. Transactions. Vol. V, Pi. t, n.° 3, 
Journal de Phys. , an \ 3 floréal et an iS prairial. 
On 3 donoé le uoin de cristaliites aux lames cria- 
tiillisi'cs qu'encliâsse le verre refi-oiiii lentement. 
W. TliMnpsouet d'autres naturalistes désignent, par le 
mot verre glaslcnisê , la masse lofalo d'mi verre quij 
par un refroidissement lent , s'est dét'itri/iê et a pris 
l'apparcnre d'une roclic on d'wi véritalile gtassteià. 






CHAPITRE II. 35l 

La troisième variété des ubsidiennes du 
'ic est la plus remarquable de toutes à cause 
ses rapports avec les ponces. Elle est aussi 
n noir-verdàtre , quelquefois d'un gris de 
fumée, mais ces lames très-minces alternent 
avec des couches de pierre ponce. Le superbe 
cabiuet de M. Thompson , à Nuples , offre des 
exemples analogues de laves lilhoïdes du 
Vésuve , divisées en feuillets très-distincts et 
qui n'ont qu'une ligne d'épaisseur. Les fibres 
des pierres ponces du Pic sont assez rare- 
ment parallèles entre elles , et perpendicu- 
laires aux couches de l'obsidienne; le pins sou- 
Tenl elles sont irrégulières, asbestoides, sem- 
lables à une écume filamenteuse de verre : 
ïu beu d'être disséminées dans l'obsidienne, 
comme des cristaUiles , elles se trouvent sim- 
plement adhérentes à une des surfaces exlé- i 
rieures de celte substance. Pendant monJ 
éjour à Madrid , M. Hergen m'avoit montré-i 
[e ces échantillons dans la collection t 
raiogiïpe de Don José Clavijo , et i 
long-temps les minéralogistes espagi 
regardoient comme des preuves^ i 
tables que la pierre ponce lire son i 
d'une obsidienne décolorée et botfl 



552 LIVRE I. 

par le feu volcanique. J'ai partagé jadis cette 
opinion, qu'il faut restreindre à Une seule 
variété de pouces; j'ai nitnie pensé, avec 
beaucoup d'autres géologisles, que les obsi- 
diennes, bien luio d'èlre des laves vitrifiées, 
appartenoient aux roches non volcaniques, 
et que le feu, se faisant jour à travers les 
basaltes, les roches vertes, les plionolites et 
les porphyres à base de peschtein et d'obsi- 
dienne, les laves et les pierres ponces n'étoient 
que ces mêmes roches altérées par l'action 
des volcans, La décoloration eL le gonflement 
extraordinaire que subissent la plupart des 
obsidiennes à un feu de forge, leur passage 
au petiosilex résinite, et leur gisement dans 
des régions très-éloignces des volcans actifs, 
me paroissoient' des phénomènes très-diffi- 
ciles à concilier, lorsqu'on considère les oba- 
diennes comme des verres volcaniques. Une 
étude plus approfondie de la nature , de nou- 
veaux voyages et des observations faites sur 
les produits des volcans enflammés , m'ont fait 
abandonner ces idées. 

11 me paroît aujourd'hui extrêmement pro- 

' jinn. du Mas. d'Hht. nat., T. III, p. 3g8. 



CHAPITRE II. 353 

bable que les obsidiennes et les porphyres 
à base d'obsidienne sont des masses vitrifiées 
dont le refroidissement a été trop rapide pour 
qu'elles se fussent converties en laves litboïdes. 
Je regarde même le perlstein comme une 
obsidienne dévitrifiée ; car , parmi les miné- 
raux déposés à Berlin , au cabinet du roi de 
Prusse, il se trouve des verres volcaniques 
de Lipari, dans lesquels on voit des cristal- 
lites striées , gris de perle et d'un aspect ter- 
reux , se rapprocher graduellement d'une 
lave lithoïde grenue, analogue à la pierre 
perlée de Cinapecuaro au Mixique.Les bulles 
alongées qu'on observe dans les obsidiennes 
de tous les continens, prouvent incontesta- 
blement leur ancien état de fluidité ignée; 
et M. Thompson, à Païenne, possède des 
échantillons de Lipari, qui sont très-instruc- 
tifs sous ce rapport, parce qu'on y trouve 
enveloppés des fragmens de porphyre rouge 
ou dé laves porphyriques qui ne remplissent 
pas entièrement les cavités de Tobsidienne. 
On diroit que ces fragmens n'ont pas eu le 
temps de se dissoudre en entier dans la masse 
liquéfiée ; ils contiennent du feldspath vitreux 
et des pyroxènes, et sont identiques avec les 

I. 23 



554 LIVRE I. 

fameux porphyres colonnaires de l'île de 
Panaria qui, siins avoir fait partie d'un cou- 
rant de laves , paroissent soulevés en l'orme 
(le buttes, comme tant de porphyres en Au- 
vergne, aux Monts -Euganéens et dans les 
Cordillères des Andes. 

L'objection contre l'origine volcanique des 
obsidiennes, tirée de leur prompte décolo- 
ration et de leur gonflement à un feu peu 
actif, perd de sa force par les expériences in- 
génieuses de Sir James Hall, Ces expériences 
prouvent qu'une roche qui n'est fusible qu'à 
58" du pjromèlre de Wedgwood donne un 
verre qui se ramollit dès le i4% et que ce 
verre, refondu et dévitriBé (^glasténisé) , ne 
se trouve de nouveau fusible qu'à SS" du 
même pyromètre. J'ai traité au chalumeau 
des ponces noires du volcan de l'île de Bour- 
bon qui, au plusléger contact de la flamme, 
blanchissoient et se fondoient en un émail 
blanc. 

Mais que les obsidiennes soient des roches 
primitives sur lesquelles le feu volcanique a 
exercé son action, ou des laves refondues à 
plusieurs reprises dans l'mtérieur du cratère, 
l'origine des ponces qu'elles enveloppent a» 



CHAPITRE II. 355 

Pic de Ténériffe n'en est pas moins problé- 
matique. Cet objet mé(ite d'autant plus d'être 
traité ici, qu'il intéresse en général la géo- 
logie des volcans , et qu^un excellent miné- 
ralogiste, après avoir parcouru avec fruit 
l'Italie et les îles adjacentes , affirme ' qu'il 
est contre toute vraisemblance que les ponces 
soient dues au gonflement de l'obsidienne. 

En résumant les observations que j'ai eu 
occasion de faire en Europe, aux iles Cana- 
ries et en Amérique , je conclus que le mot 
pierre ponce ne désigne pas un fossile simple^ 
comme le font les dénominations de calcé- 
doine ou de pjroxène, mais qu'il indique 
seulement un certain état, une fofme capil- 
laire fibreuse ou filandreuse sous laquelle se 
présentent plusieurs substances rejetées par 
les volcans. La nature de ces substances est 
aussi différente que l'épaisseur, la ténacité, 
la flexibilité , le parallélisme ou la direction 
de leurs fibres. On peut^ par conséquent, 
révoquer en doute si les ponces doivent trou- 
ver place dans un système d'oryclognosie , 

• M. Fleuriau de Bellevue {Journ. de Phya., T. LX, 
p. 45i et 46i). 

25* 



356 LIVRB I. 

ou si. de même que les roches composées, 
elles ne sont pas plutôt du ressort de la 
géo^nosie. J'ai vu des ponces noires dans 
lesquelles on reconnoît facilemeol des py- 
roxènes et de l'iimphibole; elles sout moins 
légères , d'une contexture huileuse , el plutôt 
criblées que divisées en fibres. On seroit tenté 
de croire que ces substances doivent leur ori- 
gine à des laves basaltiques : je les ai obser- 
vées au volcan de Piclitncha , de m6me que 
dans les tufs du Pausilippe, près de Naples. 
D'autres ponces , et ce sont les plus com- 
munes , sont blanc-grisâtres el gris- bleuâtres, 
très - fibreuses et à fibres parallèles. On j 
trouve disséminés du feldspath vitreux et du 
mica. C'est à ceLte classe qu'appartiennent la 
plupart des pierres ponces des îles Eoliennes, 
et celles que j'ai ramassées au pied du volcan 
de Sotara, près de Popayan. Elles semblent 
avoir été primilivement des roches grani- 
tiques, comme Dolomicu ' l'a reconnu le 
premier dans son vojage aux Iles de Lipari, 
Piéunies en blocs énormes, elles forment quel- 

Dolomieu, Voyage aux îles de Lipari, p. Gj. 

H. Mi-moires uur Us lies Pances , p. 89. 



CHAPITRE II. 357 

quefois des montagnes entières qui sont éloi- 
gnées des volcans actifs. C'est ainsi que les 
obsidiennes se présentent entre Llactacunga 
et Hambatô , dans le royaume de Quito , occu- 
pant un terrain d'une lieue carrée , et en 
Hongrie, où M. Esmarck les a examinées 
avec soin. Ce gisement singulier a fait penser 
au minéralogiste danois qu^ellesappartenoient 
à des formations secondaires, et que le feu 
volcanique a percé les couches de ponces 
comme les obsidiennes et les basaltes qu'il 
regarde également comme d'origine non vol- 
canique. Une troisième variété de ponces est 
celle à fibres fragiles , un peu épaisses , trans- 
lucides sur les bords, et d'un éclat presque 
vitreux qui offre le passage de la pierre ponce 
granitique au verre filandreux ou capillaire. 
C'est cette variété qui est adhérente aux obsi- 
diennes vertes et grisâtres du Pic de Téné- 
riffe, et qui semble produite par l'action du 
feu sur des matières déjà vitrifiées. 

Il résulte de l'ensemble de ces considéra- 
tions , qu'il est aussi peu exact de regarder 
toutes les ponces comme des obsidiennes 
boursouflées, que d'en chercher exclusive- 
ment l'origine dans des granités devenus 



358 LIVRE I. 

iissiies et fibreux par l'aclion du feu ou 
par celle des vapeurs acides. Il se pourroil 
que les obsidieunes elles-mêmes ne fussent 
que des granités liquéfiés'; mais il faut dis- 
tiuguer, avec Spallauzani, entre les pouces 
qui naissent immédiatement des roches pri- 
mitives et celles qui, n'étant que des pro- 
duits volcaniques altérés , varient comme 
eux dans leur composition '. Un certain état 
auquel passent plusieurs substances hété- 
rogènes ou le résultat d'un mode d'aclion 
particulier, ne suffisent pas pour établir une 
espèce dans la classification des minéraux 
simples. 

' On reconnoît quelqurfois , mais Irès-rarement, 
(lu niÎL-a dans les obsidiennes; et Dolomicu croit aToir 
trouvé non seulement le felilspalli et le mica, mais 
encore (lu quartz dans les ponces granitiques, p^oyage 
aax iVes Ponces, p. las; f^oyage aux lies de Lapari , 
p. 83. 

■ Le mot lave est plus vngue encore que celui Jp 
pierre ponce. « Il eat tout aussi peu philosophique 
de (tcmaniler une description extérieure de la lavp, 
comme cspfccc or jclognos tique, qu'il l'est de deman- 
der les caractères généraux de la masse qui remplit 
les filons. Il JLéopold de Bach , Geognost. Becb. , 
Vol. 11, p. 173. 



CHAPITAB IL 359 

Les expérieQces de M. Da Gamara et celles 
que j'ai faites en 1802 viennent à l'appui de 
Topinion que les pierres ponces adhérentes^ 
aux obsidiennes du Pic de TénériflPe n'y 
tiennent pas accidentellement^ mais qu'elle» 
sont produites par l'expansion d'un fluide 
élastique qui se dégage des verres compactes. 
Cette idée avoit occupé depuis long-tehtips à 
Quito un homme aussi distingué par ses talens 
que par son caractère , et qui , sans connoitre 
les travaux des minéralogistes d'Europe , 
s'étoit livré avec sagacité à des recherches 
sur les Tolcans de sa patrie. Don Juan de 
Larea, un de ceux que la fureur des factions 
a immolés récemment , avoit été frappé des 
phénomènes qu'offrent les obsidiennes, quand 
on les expose à la chaleur blanche. Il avoit 
pensé que , partout où les volcans agissent au 
centre d'un pays recouvert de porphyres à 
base d'obsidienne^ les fluides élastiques 
doivent causer un boursouflement de la 
masse liquéfiée, et jouer un rôle important 
V dans les tremblemens de terre qui précèdent 
les éruptions. Sans partager une opinion qqi 
semble hasardée , j'ai fait , avec M. de Larea , 
une site d'expériences sur le gonflement des. 



36o LIVRE I. 

verres volcaniques de TéncrifTe et sur ceux 
qui se trouvent au Quinché , dans le royaume 
de Quito. Pour juger de l'augmentation de 
leur volume, nous avons mesuré des mor- 
ceaux exposés à un feu de forge médiocre- 
ment actif, par le moj'en du déplacement de 
l'eau dans un verre cylindrique, et en enve- 
lojipant la niasse devenue spongieuse d'une 
couche de cire très-mince. D'après nos ex- 
périences , les obsidiennes se gonflent très- 
inégalement ^: celles du Pic et les variétés 
noires du Cotopaxi et du Quinché aug- 
mentent près de cinq fois leur volume. Le 
gonflement est, au contraire, peu sensible 
dans les obsidiennes des Andes, dont la cou- 
leur est d'un brun tirant sur le rouge. Lors- 
que la variété rougeàtre est mêlée, en lames 
minces , à l'obsidienne noire ou gris-noirâtre , 
la masse striée ressemble à la thermantide 
porcellanite ', et les parties opaques résistent 
long-temps à l'action du feu , tandb que celles 
qui sont moins riches en oxyde de fer se 
décolorent et se boursouflent. Quelle est 
cette substance dont le dégagement réduit 

' Porzellan-Jaspis tic Werner. 



CHAPITRE II. €Gl 

l'odsidienne à^ Tétat d'une ponce blanche , 
tantôt fibreuse, tantôt spongieuse et à cel- 
lules alongées ? Il est facile de se convaincre 
qu'il se fait une véritable perte d'un prin- 
cipe colorant, et que la décoloration n'est 
pas purement apparente, c'est-à-dire qu'elle 
nest pas due à l'extrême ténuité à laquelle 
sont réduites les lames et les fibres du verre 
volcanique. Peut-on adnlettre que ce principe 
colorant ' est un hjdrure de carbone, ana- 
logue à celui qui existe peut-être dans les silex 
pjromaques si faciles à blanchir par le feu? 
Quelques expériences que j'ai faites à Ber- 
lin, en 1806, conjointement avec MM. Rose 
et Karsten, en traitant les obsidiennes de 
Ténériffe, de Quito, du Mexique et d'Hon- 
grie dans des cornues de porcelaine, n'ont 
pas donné des résultats satisfaisans. 

La nature emploie probablement des 

' n est remarquable que ce prîncîpe n'est pas tou- 
jours également Tolatil. M. Gay-Lus^ac a vu récem- 
ment des obsidiennes de Faroë ne pas blanchir a 
un degré de cbaleur qui décoloroit tf>tilement rk5 
obsidiennes du Mexique^ quoique d'après les cara^ 
tères extérieurs il eût été difficile de distinguer r^t 
substances les unes des autres. 



?i<"j4 livre I. 

au pied du Pic jusqu'au bord de la mer, 
tandis que les ceudres blanches, qui ne sont 
que des pooces broyées et parmi lesquelles 
j'ai reconnu, a la loupe, des fragmens de 
feldspath vitreux et de pjroxène , occupent 
exclusivement la région voisine du Pilon. 
Cette disiribulion particulière paroît confir- 
mer l'observation faite depuis loufr-temps au 
Vésuve , que les cendres blanches sont lancées 
les dernières , et qu'elles annoncent la fin de 
l'éruption. A mesure que l'élasticité des va- 
peurs diminue, les matières sont projetées à 
ime moindre distance , et les rapilli noirs 
qui sortent les premiers, lorsque la lave a 
cessé de couler , doivent nécessaire ment par- 
venir plus loin que les rapilli blancs. Ces der» 
niers paroissent avoir subi l'aclion d'un feu 
plus aclif. 

Je viens d'examiner la structure extérieure 
(lu Pic et la composilion de ses produits vof- 
caniqnes depuis la région des côtes jusqu'à 
la cime du Piton : j'ai tâché de rendre ces 
recherches intéressantes, en comparant les 
pliruomènes que présente le volcan de Téné- 
rilie , avec ceux que l'on observe dans 
d'autres régions dont le sol est également 



CHAPITRE II. 365 

miné par des feux souterraius. Cette manière 
d'envisager la nature dans l'universalité de 
ses rapports^ nuit sans doute à la rapidité 
qui convient à un itinéraire ; mais j'ai pensé 
que y dans une relation dont le but principal 
est le progrès des connoissances physiques , 
toute autre considération devoit être subor- 
donnée à celles de Tiûstruction et de Futilité. 
C'est en isolant les faits que des voyageurs, 
d'ailleurs estimables , ont donné naissance à 
tant de fausses idées sur les prétendus con- 
trastes qu'ofFre la nature en Afrique , dans 
la Nouvelle-Hollande et sur le dos des Cor- 
dillères. Il en est des grands phénomènes 
géologiques comme de la forme des plantes 
et des animaux. Les liens qui unissent ces 
phénomènes, les rapports qui existent entre 
les formes si diverses des êtres organisés, ne 
se manifestent que lorsqu'on a l'habitude d'en- 
visager le globe dans son ensemble , et que 
l'on embrasse d'un même coup d'œil la com- 
position des roches , les forces qui les altèrent, 
et les productions du sol dans les régions les 
plus éloignées. 

Après avoir fait connoître les matières vol- 
caniques de l'île de Ténériffe , il nous reste 



7.60 LIVRE I.' 

à résoudre une queslion qiii est intimemeot 
liée aux recherches précédenles , et cpî , 
d.nns ces derniers temps, a beaucoup occupé 
les niinér;iiogisles. L'archipel des îles Cana- 
naries rcn ferment- il quelque roche de for- 
tnatiou primitive ou secondaire, ou n'y ob- 
serve-t-on aucune production qui ne soit 
modifiée par le feu? Ce problème intéressant 
a été examiné par les naturalistes de l'expé- 
dition de Macarlney et par ceux qui ont 
accompagné le capitaine Baudin dans son 
voyage aux Terres australes. Les opinions de 
ces savans dislingués se trouvent diamétra- 
lement opposées ; et une contradiction de ce 
genre esl d'autant plus frappante , qu'il ne 
s'agit pas ici d'un de ces rêves géologiques 
que l'on a coutume d'appeler des systèmes, 
mais d'un fait très-positif et facile à vérifier. 

Le docteur Gillan , selon le rapport de Sir 
George Staunlon ', crut observer, enire la 
Laguna et le port de l'Orolava , dans des 
ravins très-profonds , des lits de roclies pri- 
mitives. Celle assertion, quoique répétée par 
beaucoup de voyageuiï qui se sont copiés les 

' f'oynye de Lord Mucartney , T. I, p. i5. 



CHAPITEB tl. 567 

tins les autres, n'en est pa^ inoins inexacte» 
Ce que M. G^an nonune , un peu vaguement » 
des montagnes itoi^ile dure et^errugineuse ^ 
n'est qu'un terrain de transport que Ton 
trouve au pied de tous les volcans. Les couches 
d'argile accompagnent les basaltes , comme 
les tufs accompagnent les laves modernes. 
Nulle part à Ténériffe, M. Cordier et moi, 
n'avons observé une roche primitive , soit en 
place> soit lancée par la bouche du Pic, et 
l'absence de ces roches caractérise presque 
toutes les îles de peu d'étendue qui ont un 
volcan actif. Nous ne savons rien de positif 
sur les montagnes des îles Açores ; mais il est 
certain que l'ile de la Réunion j de môme que 
Ténériffe , n'offre qu'un amas de laves et de 
basaltes. Aucune roche volcanique ne pnrutt 
au jour, ni dans le Gros-Morne % ni dans 

' Des blocs de granité, lancés proliablemnit \mr 
l'ancien volcan du Gros-Môme^ se troiivffnf \tri'n «Id 
la source des Troîs-RÎTif^res; et ce Lit m^'nU' tVttti^ 
tant plus d'attention que h^ ile« fttWtii0*Sf t'*mtitt4'n 
sous le nom des Sechelle», M/iit Uirm^^M iU* rm fii'« 
granitiques. Bory de HaifU^Firumnl , f^tfyttfff nuti lUm 
(TJfrique, T. I, p, iié, 1\ II, p, /,r, , T III, p, i^^r, 
et 246. 



368 LTTRE I. 

le volcan de Bourbon, ni d;ins la pyramide 
colossule du Ciniandef. qui est peut-être 
plus élevée que le Pic des Cuniiries. 

On assure ' cependant que les laves enve- 
loppant des fragmens de j^ranile ont été trou- 
vées diins te plateau de Rétama. M. Brous- 
Sonet m'a mandé , peu de temps avant sa 
mort , que , sur une colline au-dessus de Guî- 
mar , on avoït rencontré des morceaux de 
schiste micacé conlenant de belles lames de 
fer spéculaire. Je ne puis rien affirmer sur 
l'exaclitude de celle dernière observation , 
qui seroit d'autant plus importante à vérifier 
que M. Poli, àNaples, possède un fragment 
de roche lancé parle Vésuve ', que j'ai reconnu 

' Bory de Saiul-rincent , Exilai sur les îles Foiy 
tum-es, p. 278, 

' Dans le fameiis. cahinet de M. Tliompson qui a 
séjourné à Kaples jiisiju'cn i8o5, on trouve un frag- 
ment de lave renldrmant un véritable granité qui esl 
composé de feldspath rou^eàtre et chatojant comme 
l'ailul;iire , île quartz, de mica, d'amphibi.le , et, ce 
qui est treB-remaripiable , de laiulite; mais en gé- 
néral les masses de roches primitives connues, je 
Tcu\ dire celles qui ressemblent parfaitement à nos 
graniles, nos gneiss et nos schistes micacés, sout 



CHAPiTRB : n. 369 

pour un véritable rsçhiste micacé. Tout ce qui 
nous, éclaire sur le site du feu] volcanique el 
sur le gisement des roches soumises à son 
action est du plus grand intérêt pour la 
géologie. 

n se pourroil qu'au Pic de Ténériffe/tes 
fragmens de roches primitives , rejetés par 
la bouche du volcan, fussent moins rares 
qu'ils ne le paroissent , et se trouvassent amon- 
celés dans quelque ravin qui n'auroit point 
été visité par les voyageurs. En effet, au Vé- 
suve y ces mêmes fragmens ne se rencontrent 
que dans un seul endroit^ à la Fossa Grande, 
où ils sont cachés sous une couche épaisse de 
cendres. Si , depuis long-temps , ce ravin 
n avoit fixé l'attention des naturalistes^ lorsque 

tris-rares dans les laves: les substances que l'on dé- 
signe communément sous k non» de granités lancés 
par le Vésuve, sont des mélanges de népheline, de 
mica et de pyroxène. Nous ignorons si ces mélanges 
constituent des roches sui generis, placées sous le 
granité, et par conséquent plus anciennes que lui, 
ou si elles forment simplement, soit des couches iii" 
terposées, soit des filons, dans l'intérieur des mon- 
tagnes primitives, dont les cimes paroissent k là 
iurface du globe. 

I. 24 



Û7O LIVRE I. 

les eaux pluviales inetlent à décoovert des 
masses de calcaire grenu ou d'aulres roches 
priinilites, on auroil cru celles-ci aussi rares 
au Vésuve qu'elles le sont , du oioiiis en appa- 
rence, au Pic de ïénérifie. 

Quant aux fragmens de granité, de gneiss 
et de schiste iiiic;icé, qire l'on rencontre sur 
les places de Sainte-Croix et de l'Orotava, 
ils ne viennent pas des côtes opposées de 
l'Afrique, qui sont ciricaires : ils sont pro- 
bablement dus au lest dts vaisseaux. Ils n'ap- 
partiennent pus plus au soi sur lequel ils 
reposent que les laves feldspathiques de 
r£tna, que l'on observe dans le [lavé de Ham- 
bourg et d'iiutres villes du Nord. Le natu- 
ralisle est ex[)(isé à mille erreurs s'il perd de 
vue les cliiingemens que les communications 
des peuples produisent sur la surface du 
globe. On diroit que l'homme, en s'expa- 
triant. veut que tout change de patrie avec 
lui. Ce ne sont pas seulement des piaules, des 
insectes, et diffcrenlcs espèces de petits matn- 
niifi'res qui le suivent à travers l'Océan : son 
active industrie couvre encore les rivages de 
roclics (]u'il a arrachées au sol dans des cli- 
mats luiiituius. 



SU est ccftak ^ a«» ol maiMcm i». 
trail a a tiasrô jas^lci à Tcftéiifle do 
coodies priniliircs, w mèmtt de ces por- 
]^ jres tfjpgffns et pitiblc9nBMtM|M& , mi 
coDstitvent Ll luoe de fEteai* eldeplosieim 

raloprtrt d*lllfig|ni et de F\raace^ di s tiu ^^ e ki 
banllo des h^es ■wdenes, ic^wd» PEim cmmm» 
«ne ■wHgnr de poiflàjre saraMMtlàe de iMsalte» 
coloanaiiet qid sorrent, à leur tonr, de base aux 

11 nV jt qœ ces dernières qui 
daes mm Toleui aelod. Les Itasaltes et lés 
porphyres ^ipHrtienKiit à qa sysli^e de maata^^nes 
plus aatieBiies, et qui r c c onn eat une grande pnvtit 
de h Skâle. Les porphjres de PEtMi sent ir«kik« 
niques, sans doate^ mais toale roche qui doit su 
compositioB et sa forme à Paction du feu et des va* 
peorSy n'a pas ùlt partie d'un courant de lares. C« s 
édaircisseinens m'ont paru d'autant plus nécessaire s 
que quelques minéralogistes très-dis6ngués ont affirmé 
récemment que le Pic de TénérîHe et le Vésuve 
étoient des montagnes de porphyre d'origine ucptu« 
nienne, et minées par les (eux souterrains. Ou u*a 
pas hésité de décrire comme une roche parliculièrai 
sous le nom de GraïUtein, la lave déila Sca^a, quoi- 
qu'elle soit sortie du cratère k une époque très-con- 
nue, en i63i; on est allé plus loin encore* on a 
supposé que la Somma présentoit le noyau intact du 



0J2 LIVBE I. 

volcans des Andes, il ne faut pas conclure 
de ce fait isolé que tout l'archipel des Cana- 
ries soit le produit des feux soiis-marins. 
L'île de'la Goinère renferme des montagnes 
de graoite et de schiste micacé ' , el c'est sans 
doule dans ces roches très -anciennes qu'il 
faut chercher ici, comme sur toutes les par- 
ties du globe', le centre de l'action volca- 
nique. L'amphibole, tantôt pure el formant 
des strates interposés, tantôt mélce au gra- 
nité, comme dans le bas«nite ou basalte des 
anciens, peut, à elle seule, fournir tout le 
fer que contiennent les laves lithoïdes et 
noires. Cette quantité ne s'élève, dans le 
basahedes minéralogistes modernes, qu'à 0,20, 
tandis que dans l'amphibole elle excède o,5o. 

Vésuve , quoique sa masse stratifiée , et traversée 
par (les tilous remplis d'une lave plus récente, soit 
ïtlentique avec la roche évitlemment fondue qui con- 
stitue le cratère actuel. La Somma oUre les mêmes 
Icucites qui aLondent dans la plupart des laves du 
Vésuve, et ces cristaux sont eucliàssts dans une pho- 
nolite qui ressemble à celle de la cime du Vie de 
Ténérifle. 

' Noie manuicrite de M, Broussonef. 

» Dohmieu, dans le Journ„dePhys., 1798, p,4l4. 



Ces granités et ces schistes micacés de la 
Gk>inera étoient-ik anciennement réunis à la 
chaîne de FAtlas , comme les montagnes pri- 
miliTes de la Corse paroisseni être le nojam 
central de la Bocheta et des Apennins? Cette 
question ne pourra être résolue que lorsque 
des minéralogistes auront visité les îles qui 
entourent le Pic et les montagnes de Maroc , 
couvertes de neiges éternelles. Quel que soit 
iin jour le résultat de ces recherches, nous 
ne saurions admettre , avec M. PeronS « que, 
dans aucune des îles Canaries, on ne ren** 
contre de vrais granités, et que, tout l'archipel 
étant eKclusivement volcanique , les partisans 
de l'Atlantide doivent supposer, ce qui est 
également dénué de vraisemblance, ou ua 
continent entièrement volcanique, bu bien 
que les seules parties volcaniques du conti- 
nent ont été respectées par la catastrophe qui 
l'a englouti. » 

Diaprés le rapport de plusieurs personnes 
instruites auxquelles je me suis adressé, il j a 
des formations calcaires à la^ Grande-Canarie, 

* Voyage de découverieê aux Terres Australes, 
Tom. I ^ p. a4. 



S^î LITHE I. 

à Fortaventure et à Lanrerote'. Je n'ai pa 
délerminer la nature de cette roche secon- 
daire ; mais il paroîl certain que l'île de Téoé- 
riffe en est totaiemeut dépourvue, et qu'elle 
n'offre , parmi ses terriiins d'alluvion , que des 
tufs argilo-calcaires qui alternent avec des 
brèches volcaniques , et qui^ selon M. Viéra', 
renferment, près du village de la Rambla, à 
Lis Caleras, et près de la Gandelaria, des 
végétaux, des enipreinles de poissons, des 
bucciiiites et d'autres corps marins fossiles. 
JVI. Gordier a rapporté de ces tufs qui sont 
nnalogues à ceux des environs de Naples et 
de Rome, et qui contiennent des fragmens 
de roseaux. Aux îles Salvagcs , que Lapéreuse 
prit de loin pour un amas de scories, on 
trouve même du gypse fibreux. 

' A Lancerote , on calcine la pierre calcaire aTeo 
le feu alimenté par l'^lfiuiaga , nouvelle espèce de 
Sonclius é|iinei!x fit urhorescetit. 

' Nolicias hiatoricas, Tom. I, p. 35. L'ile de 
France, qu! s'élève ea pyramide, et qui, dans U 
dispositiou de ses collines volcaniques, a be.iucoup 
dfi i'apports avec TÉnériDc, a une plaine nuptunienne 
ilitns le quartier des Pamplemousses. Le calcaire j 
pst rrinpii de madrépores. Bory de Sa'mt-T^incent t 
Toni, 1 , p. an^. 



CHAPITRS IX. $y$ 

.J'avais TU y en herborisant entre le port de 
]*Orotaya et le jardin de la P(«z, des amas de 
pierres calcaires gri9àtres , à cassijra impar-^ 
£jHlement conchoïde 9 et analogues à la for- 
i^ation du Jura et de l'Apennin^ On m'avpit 
appris que ces pierres étoient tirées d'une car- 
rière près de la Rambla» et qu'il y en ayoit 
de semblables près de Realejo et à la mon* 
tagne de Roxas , au -^ dessus d'Adexa* Cette 
indication, probablement peu exacte, m'in-^ 
duisit en erreur. Gomme les côtes du Portu- 
gal présentent des basaltes superposés à la 
roche calcaire coquiUiëre> je pensai qu'une 
même formation trapéenne> semblable à celle 
du Vicenlin en Lombardie ,. et du Harudje 
en Afrique, s'étendpit depuis Içs bprds du 
Tage et le cap Saint- Vincent jusqu'aux îles 
Canaries, et que les basaltes du Pic recou- 
yroient peut-être un calcaire secondaire. J'é^ 
nonçai ces idées dans une lettre qui n'étoit pas 
destinée à être publiée ; elles m'ont exposé à 
la critique sévère d'un physicien * selon lequel 

' Examen de quelques opinions géologiques de 
M. de Humbolt^ par il. G. A. Deluc {Journ, de 
t^hyH,, Tom. L, PL i, p. ii4). Ce mémoire, dans 
lequel on reconuoit un excellent obseryateur, est la 



Sy& "LITRE I. ■ ' 

tonte île volcanique n'est qu'une accumula- 
tion de laves et de scories, et qui n'admet 
aucun fait conlraire à sa théorie des volcans. 

Quoique Téncriffe appartienne à un groupe 
d'îles d'une étendue assez considérable, le 
Pic offre cependant tous les caractères d'une 
Kionlagne placée dans un îlot solitaire. Comme 
à Sainte-Hélène, la sonde ne découv're pas 
de fond ' dans les atlcrages de Sainte-Croix, 
de l'Orotava et de Ganicbico : l'Océan , de 
mèineque les conlinens, a ses monijignes et 
ses plaines; et, à l'exception des Audes, les; 
cônes volcaniques se forment partout dans le» 
basses régions du globe. 

Comme le Pic s'est élevé au milieu d'uo 

continua lion tl'un Mémoire dirigé contre M, Kirwan, 
qui pense que les layes du Vésuve reposent sur le 
calcaire de l'Apeimin. Ibid., Tom. XLIX, p. a3. 
D'après la Théorie des Volcann, exposée par M. Deluc, 
il est impossible qu'une vérilable lave renferme des 
débris de substances végétales. Cependant nos cabi- 
uels oITrent des morcc.mï de troues de palmiers, 
enveloppés et pénétrés de lu lave très-liquide de l'île 
de Bourbon. Voyez ie Mémoire intéressaot de M. d» 
Fleurinii, /. c. , Tom. LX, p. 44 1. 

' Voyage de l'Iais, Tom. I, p. 287. Voyage rf» 
Marchand, Tom. I, p. 543. 



CHAPITRE n. 577 

système de basaltes et de laves anciennes^ et 
t|iié toute la partie qui en est visible au-dessus 
de la surface des eaux présente des matières 
brûlées, on a supposé que cette immense 
pyramide est l'effet d'une accumulation pro« 
gressive de laves, ou qu'elle renferme dans. 
5on centre un noyau de roches primitives. 
L'une et l'autre de ces suppositions me pa« 
roissent dénuées de vraisemblance. Je pense 
^e là où nous voyons aujourd'hui les cimes 
du Pic, du Vésuve et de l'Etna, il a existé 
tout aussi peu des. montagnes de granité , de 
gneiss ou de calcaire primitif que dans la 
plaine où, presque de notre temps, s'est formé 
le volcan de JoruUo qui a plus que le tiers de 
l'élévation du Vésuve. En examinant les cir- 
constances qui ont accompagné la formation 
de la nouvelle île de Tarchipel des Âçores ' , 

^ Sabrina laland. Yojes la lettre du capitaind 
TiUard à Sir Joseph Banks. PhiL Trana. for i8ia, 
pr. i5a. A File Salirina, près de Pile Saint-Midiel, le 
cratère s'ouvrit au jpied d'un rocher solide et de formift 
presque cubique. Ce rocher, terminé par un petit 
plateau parfaitement uni, a plus de aoo toises de 
laideur. Sa formation est antérieure à celle du cra- 
tère dans lequel, peu de jours après son ouvertajPf> 



S^S MIRE I. 

en lisant arec soio le récit tlétaillé el naïf que 
le jt'snile Botiri.'^nignon a rioiiiié de l'anmri- 
tioD lente de l'ilot de la Pelite Kanieni, près 
de Santorino, on reronnoit que ces Prupliuns 
exlraordiiiaires sont généralement précédées 
<riin soulèvement de la croule ramollie du 
globe. Des roches paraissent au-dessus d^s 
caiix avant que les flammes se fassent jour, 
et que la la\ e puisse sortir du cratère ; il faut 
distinguer entre le noyau soulevé et les amas 
de laves et de scories qui, successivement, en 
jiuginentent les dimensions. 

Il est vrai que, dans toutes les révolutions 
de ce genre, qui ont eu lieu depuis les temps 
historiquesj la hauteur perpendiculaire du 

la mer fit une Irruption. A Kanieni , la fumée ne fiit 
m^me Tislble que vingt- six jours après l'apparitioa 
des rochers soulevés. P/iil. Trans., Vol. XXVI, 
p. 69 et 5O0; Vol. XXVII , p. 353. Tous ces pliéno- 
ffièncs, sur lesquels M . H^inkltiB a recueilli des ob^er- 
valions précieuses pendant son séjour à Santorino, 
ne favurisent pas l'idée iju'un se (orme vulgairement 
de l'origine des montagnes volcaniques, par une 
accumulation progressive de matières liquéfiées et par 
des i:i)ajn:!iemcns de laves sorties d'une boucUc cen- 
lrrtl.\ 



CHAPITRE II. 379 

iiojau pierreux ne paroit jamais avoir excédé 
cent cinquante à deux cents loises , même en 
faisant entrer en ligne de compte la profon- 
deur de U mer dont le fond a été soulevé : 
mais lorsqu'il si^agit des grands effets de la 
jiature et de l'intensité de ses forces^ ce n'est 
pas le volume des masses qui doit arrêter le 
géologue dans ses. spéculations. Tout nous 
annonce que les changemens physiques , dont 
la tradition a conservé le souvenir, ne pré- 
sentent qu'une foible image de <;es catas- 
trophes gigantesques qui ont donné aux 
montagnes leur forme actudle, redressé les 
couches pierreuses 9 et enfoui des coquilles 
pélagiques sur le sommet des hautes ÂlpesJ 
d'est sans doute dans ces temps reculés , qui 
ont précédé l'existence du genre humain , 
que la croûte soulevée du globe a produit 
ces dômes de porphyres trapéens , ces buttes 
de basaltes isolées sur de vastes plateaux, 
ces noyaux solides qui sont revêtus des laves 
modernes du Pic, de l'Etna et du Cotopaxi, 
Les révolutions volcaniques se sont sucédées 
après de longs intervalles'et à des époques très- 
différentes. Nous «n voyons les vestiges dans 
les montagnes de transition ^ daïis les terrains 



5So LIVRE I. 

secondaires el dans ceux d'alluvion. Les vol- 
cans plus anciens que les grès et les roches 
calcaires, sont éteints depuis des siècles; ceux 
dont l'aclivité dure encore, ne sont généra- 
lement environnés que de brèches et de tufs 
modernes : mais rien n'empêche d'admeltre 
que l'arcliipcl des Canaries puisse présenter 
de véritables roches de formation secon- 
daire, si l'on se rappelle que les feux souter- 
rains s'y sont rallumés au milieu d'un système 
de basaltes et de laves très-anciennes. 

Ce scroit m'écarler trop lonj:^- temps de 
l'objet principal de mes recherches que de 
poursuivre une carrière dans hiqueile les 
conjectures remplacent les faits géologiques. 
De ces temps obscurs où les élémens, assu- 
jélis aux mêmes lois, n'avoient pas encore 
atteint leur équilibre acluel , je reviens à une 
époque moins tumultueuse, plus rapprochée 
de nous, et sur laquelle la traduction el l'his- 
toire peuvent fournir des éclaircissemens. 
Eu vain cherchons- nous dans les Périples 
d'Hannon el de Scylax les premières notions 
écrites sur les éruptions du Pic deXénériffe. 
Ces navigateurs se traînoient liniidemeiit le 
long des cotes; rentrant tous les soirs dans 



CHAPITRE II. 38 i 

ime bare pour y mouiller , ils n'eurent aucune 
Gonnoissance d'un volcan qui est éloigné de 
56 lieues du continent de rÂfiique* Cepen- 
dant Hannon rapporle qu'il vit des torrens 
lumineux qui sembloient se jeter à la mer; 
que /toutes les nuits, la côte étoit couverte 
de feux, et que la grande montagne, appelée 
le Char des Dieux y a voit paru lancer àes 
gerbes de flammes qui s'éle voient jusqu'aux 
nues. Mais celte montagne, placée au nord de 
l'île des Gorilles', formoit l'extrémité ocd- 

• 

dentale de la chaîne de l'Atlas; et il est en 
outre très-incertain si les embrasemens aper- 
çus par Hannon étoient l'effet de quelque 

* Cest dans cette île que l'amiral Cartliaglnoi's 
TÎtj pour la première fois, une espèce de grandi 
singes anthropomorphes, les Gorilles. H les décrit 
cormme des femmes à corps entièrement velu et très- 
mécbarftes-, parce qu'elles se défendoient des onglet 
et des dents. H se yanle d'en avoir écorcfaé tnià 
ponr en consenrer les peaux. M. Goisefin plâce Pfls 
des Gorilles à Fembouchure de la ririère de No 
mais, d'après ce rapprochement, Fétang o& Hai 
TÎt paître une multitude d'éléphans se trouTeroi^ 
les 35 degrés et demi de latitude, presque à Vi 
mité septentrionale de l'Afrique. Reché nsr la '€ 
dtê Jlncùna, Tom. I, p. ji et g8. - 



503 LITP.C T. 

éruption volcanique, ou s'il faut les attribuer 
à l'habitude qu'ont tant de peuples de mettre 
le feu aux forêts et à l'herbe sèche des savanes. 
De nos jours, des doutes semblables se sont 
présentés à l'esprit des naturalistes qui, dans 
l'expédition du contre- amiral d'Entrecas- 
teaux, ont vu l'ile d'Arasterd:un couverte 
d'une fumée épaisse '. Sur la côte de Caracas, 
des traînées de feu rougeàtre alimenté par de 
l'herbe enflammée, m'ont offert, pendant 
plusieurs nuits, l'aspect trompeur d'uo cou- 
rant de laves qui descendoit des montagnes et 
se partageoit en plusieurs branches. 

Quoique les journaux de route d'Hannon 
et de Sc^lax, dans l'état où ils nous sont 
parvenus, ne renferment aucun passage que 
l'on puisse raisonnablement appliquer aux îles 
Canaries, il est pourtant Ires-probable que les 
Carthaginois et même les Phéniciens ont eu 
connoissance ' du Pic deTénériffe. Du temps 

' F'ojagede Laliilitirdrère,'Tota.J,p. Wi.Wojag» 
de d' Entrecasteaux , Tom. I, p. 45, 

' Yoyez une iiotice cie M. Ideler, insérée dam 
mes Tableaux de la Nature, Tom. I, p. i4l, et 
Goasetia, Reck. , Tom. I, p. iS.^-iSg, Un des saTans 
lei plus illusUes de l'-Uiemague, M. Heereo, fcasfl 



CHAPITRE II. 383 

de Platon et d'Aristote , des notions vagues 
en étoieni parrennes aux Grecs , qui regar- 
doient toute la côte d'Afrique j située au delà 
des c<rfonnes d'Hercule » éomme bouleversée 
par le feu des volcans ^ Le site des Bienheu-^ 
renx , qu'on avoit cherché d^abord dans le 
Nord, au delà des Monts Riphées», chez les H j- 
perboréens *, et puis au sud de la C/rénaïque , 

que les Iles Fortunées de Diodore de Sicile ^ont 
Madère et Porto Santo, Afriha, Tom. 1, p. j24. 
(Make^Brun, HUt, de la Géogr., p. 76, 90 et 194.) 

* Ariêt, Mtrab, Auscultai, {ed, Casaub,), p. 7o4. 
Soliii cKt de l'Atlas , pertex semper nwnlia lucet noo- 
tumU ignibus; mais cet Atlas qui, semblable à la 
nwntagne Merti des Hindoux, oIYre un mélange 
é*iâéeê posîtireset de fictions mythologiques, n'étoit 
pas situé sur une des iles Hespérides, comme l'ad- 
mettent l'abbé Viéra, et après lui plusieurs voyageurs 
qni ont décrit le Pic de Ténériffe {Plera, Tom. F, 
p. 72S ; Bory de Saint-Vincent, p. 395). Les passages 
tomas ne hnssent aucun doute à cet égtipd. BBmmdm, 
IV, 194; Strabo, XYll (ed. Faleông^^ l^m, Ui 
p. 1167)) Âfela, m, 10; Plinê,Y,i'y Satim^y^ 
et même Diod. Sicul., lil {ed. fFe^êel. Tom. I^pi 

* Mannert, Geogr. der Oriechen, Tom. JV 
L'idée dn bonheur, de la grande drilyatio 
la richesse des hahitans du Nord étoit comoM 
jBrecs, aux peuples definde et aux Bfexiaubl 



38i LIVRE I. 

fut placé dans des terres qu'on se figiiroît 
vers l'ouest, là où finissoit le monde connu 
des anciens. Le nom d'îlesFortunées eut long- 
temps une significalion aussi vague que celui 
du Dorado chez les premiers conquérans de 
l'Amérique. On se liguroit le bonheur à l'ex- 
trémité de la terre , comme on cherche les 
jouissances les plus vives de i'esprït dans 
un monde idéal au delà des limites de la 
réalité. 

Il ne fau t point être surpris qu'avant Arîstote 
on ne trouve chez les géographes grecs aucune 
notion exacte sur les îles Canaries et les volcans 
qu'elles renferment. Le seul peuple dont les 
navigations se soient étendues vers l'ouest et 
le nord, les Carthaginois , avoit de l'intérêt 
à jeter un voile mystérieux sur ces rcgioDS 
lointaines. Le sénat de Carthage s'opposanl à 
toute émigration partielle , désigna ces îles 
comme un Heu de refuge dans des temps de 
troubles et de malheurs publics : elles dévoient 
être pour les Carthaginois ce que le sol hbre 
de l'Amérique est devenu pour les Européens, 
au milieu de leurs discordes civiles et reli- 
gieuses. 

Les Canaries n'ont été mieux connue^ 



CHAPITRE II. 385 

des Romains que quatre-vingts ans avant le 
régne d'Octavien. Un simple particulier vou- 
lut exécuter le projet qu'une sage prévoyance 
avoit dicté au sénat de Carthage. Sertorius , 
vaincu par Sylla, fatigué du tumulte des 
armes , cherche un asyle sûr et paisible. Il 
choisit les iies Fortunées^ dont on lui triace un 
tableau attrayant sur les côtes de la Bétique. 
n réunit avec soin les notions qu'il peut acqué- 
rir par les voyageurs ; mais dans le peu qui 
nous a été transmis de ces notions et des des- 
criptions plus détaillées de Sebosuset de Juba^ 
il n'est jamais question de volcans et d'érup- 
tions Volcaniques. A peine y reconnoit-on 
nie de Ténériffe et les neiges dont le sommet 
du Pic est revêtu en hiver , dans le nom de 
Nivaria donné à Tune des iles Fortunées. On 
pourroit conclure de là, que le volcan ne 
lançoit pas de flammes à cette époque, s'il 
étoit permis d'interpréter le silence de quel- 
ques auteurs que nous ne connoissons que 
par de simples fragmens ou par d'aridet 
nomenclatures. Le physicien cherche en vain 
dans l'histoire les documens des première! 
éruptions du Pic; il n'en trouve nulle part' que 
dans la langue des Guanches> danslàqaeUe 



386 LIVKE I. 

le mot echeyde dtsîgnoit à la fois Venfer 
et le volcan de Ténériffe '. 

De tous les témoignages écrits, le plus 
ancien que j'aie trouvé de l'activité de ce 
volcan date du comme n cément du seizième 
siècle. Il est contenu dans la relation du 
TO^age ' d'AIoysio Cadamusto, qui aborda 

' La niènie montagne porta le nom à'^yn~dyrma, 
«ians lequel Hom (lAr Origînib. Americ, \i. i55 et 
i85) croit reconnoilre l'ancienne dé uomi nation de 
l'Allas, qui, d'après Strnboa, Pline et Solin, étoil 
Dyn.\. Cette éI)niologic est assez douteuse; mnîa, en 
n'accordant pas plus d'importance auXToyelles qu'elle» 
n'eu ont chez le8 ])euiiles de l'Orïeul, on retroiiïe 
presque en entier Dyis dans le mol Haran , par 
lequel les géograplies arabes désignent lu partie orien- 
tale du Mont-Âtlai. 

' Bec silendiim puto de însula Teneriflàe qnx el 
e\iniie colitur et iuter orbis insulas est eminenlior. 
Kam ea'lo sereno euiinus conspicitur, adeo ut qui 
abstint iib ea ad leucas bispanas sexagiuta vel septus' 
ginta, non diDîeulter eam intueantur. <Jood cemalur 
a longe id elTicit acuminatus bqiis adamautinus, instar 
pyramidis in mejio. Qui metiti sunt lapidem aîunt 
aliiluiHne leiicariim quindecïm nieiisuram e&cedere 
ab imii ad suiuiuum Terticeni. Is lapi$ jugitcr flagr^t, 
instar jËtna; uioulisj id afiLrmaat nostri Cbristiani qui 



CHAPITRE II. 387 

aux Canaries en i5o5. Ce vojageur «e fut 
témoin d'aucune éruption ; mais il affîrme 
positivement que^ sei»blable à l'Et^^ , cette 
montagne brule sans injterruptiqq , et que le 
feu en u été aperçu par des GI^*étiens retenus 
comme esclaves par les Guanches 4e Téné- 
riffe. Le Pic n'étoit donc point alors d^ns 
cet état de repos dans lequel nous l.e vojons 
aujourd'hui: car il est certain qu'aiicpq payir 
gateur et aucun habitant dje TénériiQEe n'pn|; 
vu sortir de la bouche du Pie, je ne dirai pas 
des flammes , mais seulement une fuiQée qui 
fût visible de loin. Peut-rêtre seroîl-il à désirer 
que le soupirail de la CqMera s'ojjvrit de 
nouveau ; les éruptions latérales eifi sçroient 
moins violentes , et tout le groupe d'il^^auroit 
moins à craindre les effets des trembleinen^ 
de terre '• 

cupii alîqaando haec jan.imadyertera. Aloyw Cadcb^ 
inusH Navigatio ad terras ificognita, c. 8. 

' A TénérilTe, les secousses ont été jusqu'ici pea 
considérables y et de plus limitées à de petites éten- 
dues de terrain. On observe la même cbose à Pile de 
Bourbon, et presque partout $lu pied des volcao^ 
actifs. A Naples, les tremblemens de terre précisent 
les éruptions du Yésuye^ ils cessent lorsque la lart 

\ 



588 LITBE I. 

J'ai entendn , a l'OroIava, agiter la question 
lie savoir si l'on peut admettre tjue , par la suite 
des siècles, le cratère du Pic recommencera 
à agir. Dans une matière aussi douteuse, 
l'analogie seule peut servir de guide. Or, 
d'après le rapport de Braccini , l'intérieur du 
cratère du Vésuve ctoit couvert d'arbustes 
en 161 1. Tout y annonçoit la plus grande 
tranquillité ;et cependant, vingt années après, 
le même gouffre, qui paroissoit se transfor- 
mer en un vallon ombragé , lançoit des gerbes 
de feu et une énorme quantité de cendres. 
Le Vésuve redevint aussi actif en i65i qu'il 
l'avoît été en 1 5oo. 11 seroil possible de même 
que le cratère du Pic cliaiigeàt de face un 
jour. C'est une solfatare semblable à la solfii- 
tare paisible de Pouzzole ; mais elle est placée 
à la cime d'un volcan encore actif. 

Les éruptions du Pic ont été très-rares 
depuis deux siècles, et ces longues intermit- 
tences pa missent caractériser les volcans 
extrêmement élevés. Le plus petit de tous, 



s'est r.iit iour, et ils sont en général très-foiblës en 
comparaison de ceux que l'on éprouve sur la penlc 
des Âpeuumâ calcaires. 



^^ CHAPITRE II. %'V 

montagne sort de terre ; il se forme un cr.itëre <| 
à la cinie^ qui vomit un courant de lavetJ 
de cent toises de largeur , et de plus de J 
s5oo toises de longueur. La Inte se jctie à la J 
mer; et, en élevant la tempéniture de l'eau , i 
elle f;iil périr tes poissons ■ à de grandes di$-,l 
tancée à l'eutour. m 

Anivée 1646. ■ 

Le lù novembre, une bouche s'ouvTe dansl 
ri'ile de Palmn , près de Tij^alale. Deux autres I 
se forment au rivage de la mer. Les laves qui I 
sortent de ces crevasses font tarir la fameuse I 
source de Foucalientc ou Fucnle Santa,! 
dont les eaux minérales alliroicnt les maladet I 
qui s'y rendoienl même de l'Europe. Selon 1 
une tradition populaire, l'éruption cessa d'une | 
manière assez étrange. L'image de Notre-I 
Dame-des-Neiges de Sainte-Croix fut portée 
à l'ouverture du nouveau volcan , et soudain 
it tomba une si énorme quantité de neige , 

' Ce même phéaomrne a eu lieu, en 1811 
Ad Âçores, lurstjue le volcan de Sabrina s'ouvrit! 
dons ip fond Ac l'Océan, Le squelette calciné d'uttfl 
rcjuiii Tut trouvé dans le cratcre inottdû et éteiiit.f 



3gS LITRE I. 

que le feu en fut éteint. Dans les Andes de 
Quito , les Indiens croient avoir observé que 
l'abondance des eaux de neige infiltrées aug-^ 
naeote l'aclivité des volcans. 

AiTwÉE 1677, 

Troisième éruption à l'île de Palma. La 
montagne de las Cabras jette des scories et des 
tendies par une multitude de petites bouches 
f|ui se forment successivemeqt., 

Aknée 1704. 

Le 5i décembre. Le Pic de Ténéri ffèÎAW 
une éruption latérale dans la plaine de loa 
Infantes, au-dessus d'Icore, dans le district, 
de Guimar. D'épouvantables tremblenieiis de 
terre ont précédé cette éruption. Le 5 jan- 
vier 1705 , une seconde bouche s'ouvre dans, 
le ravin d'AImerchiga , à une lieue d'Icore^ 
Les laves sont si abondantes que toute le vallée 
de Fasnia ou d'Areza en est comblée. Cette 
seconde bouche cesse de vomir le i3 janvier. 
Une troisième se forme , le 2 février , dans la 
Canada de Arafo. Les laves divisées en troii 
tourans menacent le villajje de Guimar, mai* 
elles sont retenues duns Ui vallée de Melusac 



CHAPITRE II. Sg? 

par une arrête de rochers qui leur oppose un . 
obstacle invincible. Pendant ces éruptions, la. 
villed'OrotaYa, séparée des nouvelles bouches 
par une digue très-étroite , ressent de fortes 
secousses. 

Année 1706L 

• 

Le 5 mai. Autre éruption latérale du Pîc 
de Ténériffe. La bouche s'ouvre au sud du 
port de Garachîco qui étoît alors le port le 
plus beau et le plus fréquenté de TilcLa ville ^ 
populeuse et opulente , étoit bâtie au bord 
d'une forêt de lauriers, dans un site très-pit- 
toresque. Deux courans de laves la détrui- 
sirent en peu d'heures : aucun édifice ne resta 
sur pied. Le port, qui avoit déjà souffert en 
1645 parles attçrrissemens qu'avoit causés une 
grande inondation , fut comblé au point que 
les laves accumulées formèrent un promon- 
toire au milieu de son enceinte. Partout, dans 
les environs de Garachico , la surface du ter- 
rain changea d'aspect. Des monticules s'éle- 
vèrent dans la plaine ; les sources disparurent, 
et des rochers, ébranlés par de fréquens trem^ 
blemens de terre , restèrent nus , sans végé- 
tation et sans terreau. Les pêcheurs seub ean- 



5g4 LIVhE r. 

servèrent l'amour (lu site natal. Courageux, 
comme les (labitans de Torre del Grèce, Uï 
reconstruisîreQt un petit village sur des amas 
de scories et sur le roc vitrifié. 

■ Année lySo. 

Le i.e''seplemhre. Une révolution des plus 
cITrajantes loiileverse la moulée de l'île de 
Lancerote. Un rtouveaii volcan se forme à 
Teraanfuya, Les laies qui en découlent et 
les Ireniblemeus de terre qui accom patinent 
l'éruplion , détruisent un grand nombre de 
villages, pjirnii lesquels se trouvent les trois 
anciennes bourgades guanches de Tingafa, 
Macinliile et Gualisca. Les secousses durent 
jusqu'en 1756, cl les habitaus de L<incerote 
se sauvenl en grande partie à l'île de Fuer- 
taventura. Pendant cette éruplion , doni nous 
avons déjà pailé dans le chapitre précédent, 
on voit sortir de la nier une colonne de fumée 
épaisse. Des rocliers pyramidaux s'élèvent au- 
dessus de la siirlace des eaux , et , en s'agran- 
(lissant, ces nouveaux écucils se réuaisseat 
peu à peu à I ile même. 

AtiKGii 1798, 

Le 9 juin. Éruption latérale du Pic de TV- 



CHinnE IL ^i 

nériffe, par le flanc de h ■wtigt dtCkë- 
horra ou Veoge % daw un Kett eabèreaKaiÉ 
ioGulte , «Q sud dlcod, pns da viibge de 
Guia, TaDcieiibon. Cette moolagiie , ados- 
sée au Pic, a été de tout tempifCjgardée cKwane 
un Tolcan éteint. Quoique formée de sialirrcs 
solides , elle est , par rapport mi Vie, oeqoe 
le MoDte-RosBo âe^é en 1661 , on la Bodie 
nuove ouvertes en 1794 , aoni k YEêmkê et an 
VésDte. L'émption de Ckaliom dnra froii 
tnois et nx )oars. Les lares et les scories 
forent lancées par quatre boncbes placées sur 
une même ligne. La bve ainoncdée k txim 
ou quatre toises de hanteor s'avança de trots 
pieds par heure. Cette éruption n'ayant pré- 
cédé que d'un an mon arrirée à Ténérifle , 
l*impression en étoit encore tres-vive parmi 
les habitans. Je vis chez M. Le Gros^ au 
Durasno , un desun des bouches de Cbahorra, 
qu'il avoit fait sur les lieux. Don Bernardo 
Cologan avoit visité ces 1>ouches huit jours 
après leur ouverture , et il avoit décrit les prin- 

' La pente de la montagne de Venge, sur laquelle 
se fit Péruptien, s'appeHe Chazafane. Vojez NétoUi^ 
SegUndo de Franqui dans CavanUleê y Hergen , 
Anaks de historia natural, T. I> p. a^H. 



3f)6 LIVRE I. 

cipaux phénomènes de cette éruption dans 
un mémoire dont il me remit une copie pour 
l'insérer dans la Relation de mon voyage. 
Treize années se sont écoulées depuis celte 
époque; etM.Bory de Saint-Vincent m'ayant 
devancé dans la publication de ce mémoire, 
je renvoie le lecteur à son intéressant 2issni 
sur/esî/es Fortunées ', Il ne me reste ici qu'à 
donner quelques éclaircissemens sur la liau- 
leur à laquelle des frag'mens de roches très- 
considérables furent projetés par les bouches 
de Chahorra. M. Cologan ' compta 12 à i5 

' Bory de Sainl-J^'inaent , f. ai)6. 

• " Trois de ces pierres , dit M. Bory , demeit- 
rèrenl douze à quinze secondes pour s'élever iusqu'à 
[icrtc de vue et pour retomber à terre. » Si telle 
étoit l'observution de M, Cologan, le résultât du 
calcul seroit différent de celui que )"ai donné. Mais 
l'observateur dit tout exprès, dans le manuscrit que 
je conserve : « De noehe se observô con relox ea 
mano y a muy corta dislancia de la tercera bocca del 
volcan de Chahorra cl tlempo que desde su mas alto 
punto de elevaciou hasta perderlas de visla en SU 
oaida, gastahan las picdras mas faciles de distinguir 
y de très conque se hizo la experiencia, dos cayeron 
en dicE segiindos cada una y la olra eu quinze, u 
M- Cologart observe que la durée de la chute étoit 



CHAPITRE tî. jitg^ 

iseèoncles pendant la chute de ces pierres > 
c'est-à-dire en commençant à compter da 
moment où elles avoîent atteint le maximum 
de leur hauteur^ Cette expérience curieuse 
prouve que la bouche lança des roches à plus 
de trois mille pieds de hauteur* 

Toutes les éruptions marquées dans ce 
résumé chronologique appartiennent aux trois 
âes de Palma , de TénériSe et de Lancerote '• 
n est probable qu'avant le seizième siècle , 
les autres îles ont aussi éprouvé les effets 
du feu volcanique. On m'a donné quelques 
notions vagues d'un volcan éteint qui est situé 
dans le centre de l'ile de Fer , et d'un autre 
dans la Gran Ganaria, près d'Arguineguin. 
Mais il seroit curieux de savoir sî l'on trouve 
les traces de feux souterrains dans les forma* 
lions calcaires de Fuertaventure ou dans les 

même un peu au delà de quinze secondes^ parce qu'il 
ne put suivre les pierres jusqu'à leur contact avec la 
terre. Ce genre d'observation est susceptible d^une 
grande exactitude, comme je m'en suis assuré dans 
des expériences analogues que j'ai faites pendant 
l'éruption du Vésuve en i8o5. 

• Fiera, NoUcias, Tom. II, p. 4o4j Tom. 111/ 
p. i5i, a38; 35a^ 356 et âi6. 



oifO tnsE I. 

granités et les scliistes micacés de la Gi> 

mère. 

L'action purement latérale <Iii Pîc de Téaé- 
ri0e est un phénomène géologique d'autant 
plus remarquable qu'elle contribue à iaire 
paroître isolées les montagnes qui sont ados- 
sées au volcan principal. Il est vrai que, dans 
l'Etna et le Vésuve, les grandes coulées de 
laves ne viennent pas non plus du cratère 
même, et que l'iibondance des matières fon- 
dues est généralement en raison inverse de 
la hauteur à laquelle se fait la crevasse qui 
vomil les laves. Mais, au Vésuve et àTËtoa, 
une éruption latérale fmit constamment paï 
un jet de flammes et de cendres qui se fait par 
le cratère, c'est-à-ilire par le sommet même 
de la montagne. Au Pic de Ténériffe, ce phé- 
nomène ne s'est point manifesté depuis des 
siècles. Encore récemment dans l'éruption de 
i-()8,onavu le cratère dans la plus grands 
inaction. Son fond ne s'est point abaissé, tan- • 
dis qu'au Vésuve, comme l'observe ingénieu- 
sement M. de Buch , la profondeur plus ou 
moins considérable du cratère est un.indice 
presqueînfaillibledc la proximité d'une nou- 
velle éruption. 



chapithis ir. 399 

Je pourrois terminer ces aperçus §^éolo-* 
giques en discutant quel est le combustible 
qui entretient > depuis des akiUiars d'années , 
le feu dn Pic de Téoéri^ ; je pourrois exa- 
miner si ce sont le Sodium et le Potassium , 
ou les bases métalliques des terres , ou des 
carbures d'hydrogène , ou le soufra pur et 
combiné avec le fer qui brûlent dans le vol- 
can ; mais voulant me borner à ce qui pei^t 
être l'objet d'une observation directe 9 je ne 
me hasarderai pas à résoudre un problème 
sur lequel nous manquons encore de données 
suffisantes* Nous ignorons s'il faut conclure 
de l'énorme quantité de soufre que contient 
le cratère du Pic » que c'est cette substance 
qui entretient la chaleur du volcan ^ ou si le 
feu, alimenté par un combustible d'upe natiire 
inconnue , opère simpleo^ent )a svib)im9tipa 
du soufre* Ce que l'pbservatioa nous démon^ 
. tre f c'est que dans les cratères encore acUËf^ 
le soufre est trèsHrare , tandis que les volcans 
anciens finissent tous par être de véritables 
soufrières. On diroit que dans les premierf 
le soufre se combine avec l'oxjgène , tandis 
qu^ dans les autres il est purement sublimé ; 
car vm ne uqw ^y^p^se jusqu ici à 9l^m»fl9 



4od LivhE i. 

qu'il se forme dans l'intérieur des volcaos 
comme l'ammoniac et les sels neutres. Lors- 
qu'on ne connoissoit encore le soufre que 
flisséminé dans le j^jpse muriatifère et dans 
la pierre calcaire alpine , l'on étoit presque 
forcé de supposer que dans toutes les parties 
du globe le feu volcanique agissoit sur des 
roches de formation secondaire ; mais des 
observations récentes ont prouvé que le soufre 
existe abondamment dans ces mêmes roches 
primitives que tant de phénomènes désignent 
comme le centre de l'action volcanique. Près 
d'Alausi, sur le dos des Andes de Quito, 
j'en ai trouvé une immense quantité dans 
une couche de quartz interposée à des couches 
de schiste micacé ' , et ce fait est d'autant 

' Il faut distinguer eu géognosîe sept fonmationa 
Ae soufre, qui sont d'une ancienneté relaliTe trcs- 
diEFérente. La première appartient iu scliiste micacé 
(Cordillères de Quito) ; la seconde, au gjpse de tran- 
sition (Bex en Suisse); la troisième, aus porphyres 
trapéens ( Antisana en Amérique , Montserrat dans 
l'arcliipel des petites Antilles, Mont-d'Or en France); 
la quatrième, à la pierre calcaire alpine (Sicile); U 
cinquième, au gjpsc muriatifère, placé entre le grès 
et le calcaire alpin (Thuringe) ; la sixième , au gypse 
qui est plus rccent que la craie (Moatmartre, pr» 



CHAPITRE II. 40l 

plus important qu'il se lie très-biea à Tobser- 
vation de ces fragmeus de roches anciennes 
qui sont rejetés intacts par les volcans. 

Nous venons de considérer Tîle de Téné- 
rifie sous des rapports purement géologiques; 
nous avons vu s'élever le Pic au milieu des 
couches fracturées de basalte et d'amjgda- 
loïde : examinons maintenant comment ces 
masses fondues se sont revêtues peu à peu 
d'une enveloppe végétale, quelle est la distri- 
bution des plantes sur la pente rapide da 
volcan , quel est l'aspect ou la physionomie 
de la véc^étation dans les îles Canaries. 

Dans la partie septentrionale de la zone 
tempérée, ce sont les plantes cryptogames 
qui couvrent les premières la croûte pier- 
reuse du globe. Aux lichens et aux mousses 
qui développent leur feuillage sous la neige, 
succèdent les graminées et d'autres plantes 

Paris); et la septiëme, aux terrains d'alluvion argi- 
leux (Venezuela, Bas-Orénoque , Mexique). Il est 
presque inutile de faire remarquer ici que , dans cette 
énumération , il n'est point question de ces petites 
masses de soufre qui ne sont pas contenues dans des 
touches , mais dans les filons qui trayersent des roches 
de diverses formations. 

I. 36 

I 



4o3 llTHE I. 

phanérogames. Il n'en est point ainsi sur les 
bords de la zone torride et dans les pajs ren- 
fermés entre Ii-S tropiques. On y trouve, il 
est vrai, quoi qu'en aient dil quelques voya- 
geurs, non seirleinent sur les montagTies, 
mais aussi d;iirs les endtoiis humides et om- 
bragés, presque au niveau de la mer, des 
Funaria, des Dicranum et des Br-jum; ces 
genres, parmi leurs espèces nombreuses, en 
offrent plusieurs qui sont communes à la 
Lapponie, au Pic de Ténérilfe et aux nion-« 
lagnes bleues de la Jamaïque' : cependant, 
en général , ce n'est pas par les mousses et les 
lichens que comuieiice la végétation dans les 
contrées voisines des deux tropiques. Aux îles 
Canaries, comme en Guinée et sur les côtes 
rocheuses du Pérou, les premières plantes 
qui préparent le terreau, sont les plautes 

' Ce fait eitraordinairc, sur lequel nous reTÎen- 
drons jiar la suite, a éié obseivé il'abor J par M, Swari, 
11 s'est trouvé confirmé par l'esamen soigneux que 
M- Willileoow a fait de nos lieibiers, suitout de la 
collectiou de plantes cryptogames que nous avoiis 
recueillies sur le dos des Andes, dans une rijgion du 
inonde où d'ailleurs les êtres organisi's différent to- 
talemeai de ceu& de l'ancien continent. 



CHAPITRE II. 4^3 

grasses ; dont les feuilles munies d'une infinité 
d'orifices ' et de vaisseaux cutanés enlèvent à 
Fair ambiant Tean qu'il tient en dissolution. 
Fixées dans les fentes des rochers volcaniques, 
elles forment pour ainsi dire cette première 
couche végétale dont se revéfônt les Cïoiiléei 
de laves lithoïdes. Partout où ces laves soni 
scorifiées et où elles ont une surface lustrée 
comme dans les buttés basaltiques pincées aii 
nord de Lancerote , lé développement de \i 
végétation est d'une' lenteur extrême, et plu- 
sieurs siècles suffisent à peine poUr y faire 
naître des arbustes. C*est seuletiieni lorsque 
les laves sont couvertes de tufs et de cendres , 
que les îles volcaniques perdent cette appa- 
rence de nudité qui les caractérise dans leur 
origine, et qu'elles se parent d'une riche et 
brillante végétation. 

Dans son état actuel, l'île de Ténériffe, h 
Chinerfe * des Guanches, offre cinq zones de 
plantés % <Jue l'on peut distitigiiér par les 

* Les pores corticaux àe M. De Gandollé, décou- 
verts par Gleîcben et figurés par Hedwig. 

* De Chinerfe, les Européens ont fait , pir corrup- 
lion, Tihineriffe et Ténériffe. 

3 J'ai tracé en partie ce tableau de la végâation des 

»6* 



4o4 tITRB I^ 

noms de Région des Vifjnes , Réjfion des Lau- 
riers, Réjjion des Pins, lîé^ion du Retaraa 
et Rt'gîon des Graminées. Ces zones sont 
placées, comme par élages, les unes au- 
dessus des .lutres, et elles occupenl, sur la 
pente rapide du Pic , une hauteur perpendi- 
cnlaire de^ 1700 toises; tandis que, quinze 
degrés plus au nord, dans les Pyrénées, les 
neiges descendent déjà jusqu'à treize uu qua- 
torze cents toises d'éliivalioii absolue. Si les 
plantes , à Ténériffe , n'atteignent pas le som- 
met du volcan, ce n'est point parce que des 
glaces éteroelles ' et le froid de l'atmosphère 

Canaries, d'après des notes manuscrites de M. Brous- 
sonet. Lorsque je puliliai mon premier Eisai tur 
la géographie des plantes équinoxiaUs du nouveau 
confinent, je priai ce célèbre naturaliste, (]iiî a¥oit 
résidé long-temps àMoguclordans l'empire de Maroc 
et à Sainte-Croix de TéucriHe, de me commuoii^uer 
ses idées sur la distribution giîograpblque des végé- 
taux dans ces contrées. Jl céda à ma prière avec 
cette prévenance et cette amabilité qu'il a constam- 
ment déployées dans ses relations avec les savans 
étrangers. 

' Quoique le Pic de TénérilTe ne se couvre de 
neiges que pendant les mois d'hiver, il se pourroit 
C£pendont que le volcau atteignit la limite des neiges 



ambiant leur posent des limites qu'elles ne 
peuvent franchir: ce sont les laves scorifié es 
du Malpajs et les ponces broyées et arides 

perpétuelles , qui correspond à sa latitude ^ et que 
l'absence totale des neiges en été ne fût dne qu'à 
la position isolée de la montagne au milieu des mers, 
à la fréquence de vents ascendans trës-chauds, ou 
à la température élevée des cendrés du Piton. Il 
est impossible de lever ces doutes dans l'état actuel 
de nos connoîssances. Depuis le parallèle des mon* 
tagnes du Mexique jusqu'à celui des Pyrénées et des 
Alpes ^ entre les ao** et les 45^^ la courbe des neiges 
perpétuelles n'a été déterminée par aucune mesure 
directe; et, une infinité de ces courbes pouvant être 
tracées par le petit nombre de points qui nous sont 
connus sous les o*, ao**, 45^ > ^2** et 71* de lati- 
tude boréale, le calcul supplée trës-imparfaitement 
à l'observation. Sans avancer rien de très -positif, on 
peut dire qu'il est probable que, par les 28" 17', la 
limite des neiges se trouve au-dessus de 1900 toises. 
Depuis Téquateur , où les neiges commencent à 246o 
toises , c''est-à-dire à peu près à la bauteur du Mont- 
Blanc, jusqu'aux 20^ de latitude, par conséquent 
jusqu'aux limites de la zone torride, les neiges ne 
descendent que de cent toises : or , doit-on admettre 
que, buît degrés plus loin, et dans un climat qui porte 
presque encore tout le caractère d'un climat des 
tropiques, cet abaissement soit déjà de quatre cents 



^,o6 LIVRE I. 

du Pilon qui empêchent la migration des 
véf^étaux vers les bords du cralcre. 

hixpremicre zone, celle des Vig;iies, s'étend 

toises? El» supposant m^me un nb.-iUsement en pro- 
gression aritlimtlKjue depuis les ao aux. ■'i5 degré» 
dt^ lalitudc, supposition qui est contraire an\ fails 
oljscrïés (^Rec. d'Obs. atilrnn.. Vol. I, p. i3i), les 
ncipcs perpétuelles ne commenceroienl sous le pa- 
riiUèle (lu Pic qu'à anSo toisi^s de hauteur au-dessus. 
du niveau de l'Océan, par conséquent 55o toises 
plus haut qu'aux Pyrénées et en Suisse. D'antres 
considérations viennent à l'appui de ce résultat. La 
températuie moyenne de la couche d'air, avec la- 
quelle les neiges sont eu conUct pendant l'été, est, 
ans Alpes, de quelques degré? au-dessous, et, sons 
l'équateur, de quelques degrés au-dessus du point Je 
la congélation {/., c.,p. iS?). Enadmettant que, sous 
les 28 degrés cl demi, celte température soit léro, 
im trouve, d'après la loi du décroissement du calo- 
rique, en comptant 98 toises par degré centésimal, 
que les neiges doivent se conserver à ao58 toïses de 
hauteur au-dessus d'une plaine dont la température 
moyenne est de ai degrés, et par conséquent égale 
a celle des côtes de Ténériiie. Ce noiultrc est presque 
identique avec celui que donne la supposition d'un 
itbaissement en progression arithmétique. Une deg 
hautes einifs de la Sierra Nevada de Grenade, le Pica 
de Vcleta , dont la hauteur absolue est de 1 781 toises^ 



( 



CHAPITRE ir. 407 

depuis le rivage de la mer jusqu'à deux ou 
trois cents toises de hauteur : c'est celle qui 
est la plus habitée y et la seule où le sol soit 

est perpétuellement couvert de neiges; raais^ la limite 
inférieure de ces neiges n'ayant pas été mesurée ^ 
cette montagne, placée sous les Zj^ 10' de latitude^ 
ne nous apprend rien sur le problème que nous tâ«r 
chons de résoudre. Quant à la position du Yolcan de 
Ténériffe, au centre d'une île de peu détendue, il 
ne paroit pas que cette circonstance puisse causer 
un relèvement de la courbe des neiges perpétuelles. 
Si, dans les îles, les hivers sont moins rigoureux, 
les étés y sont moins chauds, et ce n'est pas autant 
de la température moyenne de l'année entière que 
de celle des mois d'été que dépend la hauteur des 
neiges. A l'Etna, les neiges commencent déjà à i5oo 
toises et même un peu au-dessous , ce qui est assez 
extraordinaire pour une cime placée sous le3 3/ de- 
grés et demi de latitude. Vers le cercle polaire, ou 
les ardeurs de l'été sont diminuées par les brumes 
qui s'élèvent constamment au-dessus de l'Océan, la 
différence entre les îles, ou les cotes et l'intérieur du 
pays, devient extrêmement sensible. En Islande, par 
exemple, sur l'Osterjôckull, sous les ^^^ de lati- 
tude, les neiges perpétuelles descendent à 482^ toises 
de hauteur, tandis qu'en Norwège, par les 67* loin 
des côtes, dans des sites où les hivers sont beaucoup 
plus rigoureux et où par conséquent la température 



é^oÊ LlVnE I. 

cultivé avec soin. Dans ces basses régions; 
au port de i'Orotava et partout où les vents 
ont un accès libre, le thermomètre centi- 
grade se soutient en liiver, aux moias de jan- 
vier et de fcvrier, à midi, entre i5 et 17 de- 
grés : les plus fortes chaleurs de l'été n'ex- 
cèdent pys 25 ou 2G degrés : elles sont par 
conséquent de 5 à 6 degrés au-dessous des 
extrêmes que le thermomètre atteint annuel- 
lement à Paris, à Berlin et à Pétersbourg, 
Ces résultats sont lires des observations faites 

nioyeniie de tannée est plus petite qu'en I^ande, 
les oeiges ne descendent qu'à 600 toises ^Léopold 
de Bucli dans les AnnaUs de Gilbert, iSia, Tom. II, 
p. 3j et 'i3). D'après ces rapproclientens, il paroit 
assCE prolwhle que Bouguer et Saussure se sont trom- 
pés quand ils ont admis que le Pic de Ténérifie 
atteint le terme intérieur constant des neiges (i^i- 
gure de la terre, PI. xlviii , et Voyage dans Ui 
-Alpes, Toin. JV, p. io3). On irouïe ce terme pour 
aS» 1;' de lalitude, au moins à i<(5o toises de hau- 
teur, même en la calculant par intoqiolatjon entre- 
l'Elno el les volcans du Mexique. Celle matière sera 
entièrement éelaircie lors(pi'on aura mesuré la partie 
occidentale de l'Atlas qui, pris de Maroc, sous les 3a 
degri's cl demi de lalitude, eat couvert de neigea per-« 
pcluclles. 



CHAPITRE II. 409 

par M. Savaggî, depuis 1796 jusqu'en 1799. 
La température moyenne des côtes de Téné- 
riffe paroît au moins s*élever à 2 1^ (i6<*,8 R.)^ 
et leur climat tient le milieu entre le climat 
de Naples et celui de la zone torride. A Tîle 
de Madère, les températures moyennes des 
mois de janvier et d'août sont, d'après Heber- 
den, de 17^,7 et de 23^,8, tandis qu'à Rome 
elles s'élèvent à 5®,6 et 26^,2, Mais, malgré 
l'analogie extrême que l'on observe entre les 
climats de Madère et de Ténériffe , les plantes 
de la première de ces îles sont généralement 
moins délicates à cultiver en Europe que les 
plantes de Ténériffe, Le Cheiranlhus longi- 
folius de VOrotava, par exemple, gèle à 
Montpellier , d'après l'observation de M. De 
GandoUe, tandis que le Cheiranthus muta- 
bilis de Madère y passe l'hiver en pleine 
terre. Les chaleurs d'été sont moins prolon- 
gées a Madère qu'à Ténériffe, 

La Région des Vignes offre, parmi ses pro- 
ductions végétales, huit espèces d'Euphorbes 
arborescentes, des Mesembryanthemum , qui 
^e trouvent multipliés depuis le cap de Bonne^ 
Espérance jusque dans le Péloponnèse, le 
Cacalia KJeinia, le Dragonnier et d'autres 



4lO LITRE r. 

plantes qui , dans leurs troncs nus et tortuenx, 
dans leurs feuilles suoculeutes et leur teinte 
d'un vert bleoàtre, offrenl les traits qui dis- 
tinguent la végétation de l'AlVique. C'est dans 
cette zone que l'on cultive le diittîer, le bana- 
nier, la canne à sucre, le fifj^nier d'Inde, 
l'Arum colocasia , dont la racine offre au bas- 
peuple une fécule nourrissante, l'olivier, les 
arbres fruitiers de l'Europe, la vigne et les 
céréales. Les blés y sont moissonnés depuis 
la fin de mars jusqu'au commencement de 
mai, et l'on y a essayé avec succès la culture 
de l'arbre à pain d'Olaliîti, celle du cannel- 
lîerdes îles Moluques, de calier de l'Arabie 
et du cacoyer de l'Amérique, Sur plusieurs 
points de la côte, le pays prend tout le ca- 
ractère d'un paysage des tropiques; et l'on 
reconnoît que la Région des Palmiers s'étend 
aa-dclà des limites de la zone torride. Le 
Chama:irops et le dattier viennent Irés-bîen 
dans les plaines fertiles de Murvîedro, sur 
les cotes de Gênes , et en Provence près 
d'Amibes, sous les 5g et ^\ degrés de lati- 
tude : quelques arbres de cette dernière 
espèce, plantés dans I enceinte de la ville de 
Rome, résibteat mûiue à des froids de 2'',5 



CHAPITRE II. 4ll 

aa-dessous du point de la congélation. Mais 
si l'Europe australe ne participe encore que 
foiblement aux dons que la nature a répandus 
dans la zone des Falniiers, l'île de Ténériflê, 
placée sous le parallèle de l'Egypte, de la 
Perse méridionale et de la Floride , est déjà 
ornée de la plupart des formes végétales qui 
relèvent la majesté des sites dans les régions 
voisines de l'équateur. 

En parcourant les différentes tribus de 
plantes indigènes , on regrette de ne pas y 
trouver des arbres à petites feuilles pennées 
et des Granùnées arborescentes. Aucune 
espèce de la famille nombreuse des Sensi- 
tives n'a poussé ses migrations jusqu'à l'archi- 
pel des îles Canaries, tandis que sur les deux 
coDtinens on en a découvert jusqu'aux 38 
et 4o degrés de latitude. En Amérique, le 
Schranckia uncioata de Willdenow ' s'avance 
jusque dans les forêts de la Virginie; 
Afrique, l'Acacia gummifera végète sur les 
collines : de Mogador en Asie , à l'o 
la mer Caspienne , M. de Biberstein 9 4 
plaines du Chyrvau couvertes de l'Acw 



' Mimosa Lorridiila>Micbaax. 




4l4 LITBE T- 

phaniana. En examinant avec plus de soin lei 
végétaux des îles de Lanrerote et de Forta- 
venlure, qui sont les plus rapprochées des 
côles de Maroc, on trouvera peut-être quel- 
ques IVIimoses parmi tant d'autres piaules de 
la Flore africaine. 

La seconde zone, celle des lauriers, ren- 
ferme la partie boisée de TénérifTe ; c'est 
aussi la région des sources qui jaillissent au 
milieu d'un ^azon toujours fcais et humide. 
De superbes i'orèls couronnent les coteaux 
adossés au volcan ; on y reconnoît quatre 
espèces de lauriers', un chêne voisin du 
Qucrcus Turiicri des montagnes du Tibet, 
le Visnea Moeanera, le Mjrica Faya des 
AcoreSj un olivier indigène (Olea excelsa) 
qui est le plus grand arbre de cette zone, 
deux espèces de Sideroxylun dont le feuil- 
lage est d'une rare beauté, l'Arbutus callj- 
carpa et d'autres arbres toujours verts de 

' Laurus ntca L fœtsns, L. noTiills et L. Til. 
Avec CCS arl res e t ouvert nii'lt'îs ArJisia excelsa, 
Hliuniuiis glan lulo us Erica ailiorea , E. Texo. 

' Qucrc s c\Ti en Broiissonct ( If^ilUl. Enum, 
plant, ho l B roi ifaoj, p. g/S ). 



CHàPlTRE II. 4l3 

la famille 'des mjrlest. Des liserons et nu 
lierre très-diflPérent de celui d'Europe (He-^ 
dera canariensis) tapissent les troncs des 
lauriers: à leur pied végètent une innom- 
brable quantité de fougères ' , dont trois 
espèces' seulement descendent jusqu'à la 
région des Vignes. Partout le sol, couvert 
de mousses et d'une herbe fine, brille des 
fleurs du Gampanula aurea, du Ghijsantbe-* 
mum pinnatifidum, du Mentha canariensis 
et de plusieurs espèces frutescentes d'Hjpe- 
ricum ^. Des plantations de châtaigniers sau- 
vages et greffés forment une large ceinture 
autour de la région des sources, qui est la 
plus verte et la plus agréable de toutes. 

La troisième zone commence à neuf cents 
toises de hauteur absolue , là où paroissent 
les derniers groupes d'Arbousiers , de Mjrica 
Faja et de cette belle brujère que les indi* 

' Woodwardîa radicans , Aspleniam palmatam , A. 
canariense, A. latifoliom , ^ othalama subcordata , Tri- 
chomanes canariensis , T. speciosum et DaTallia cana* 
nensis. 

* Deux Acrostichom et l'Oph joglossnm losîtanlcanv 
^ Hj-pericom canariense^ H. fioriboudomet B* glan- 



4l'> LITIIE I. 

cupent des hauteurs qui égalent celles de* 
cimes les plus inaccessibles des Pyrénées. 
C'est la partie déserte de l'île, où des amas 
de pierre ponce, d'obsidiennes, et de laves 
brisées mettent des entraves à la végéta- 
tion. Nous avons déjà parlé plus haut de 
ces touffes fleuries de genêts alpins (Spar- 
tium nubigenum) qui l'ormcnt des Oasis au 
milieu d'une vaste mer de cendres. Deux 
plantes herbacées, le Scrophularia glabrata 
et le Viola cheiranthiloHa, s'avancent plus 
loin jusque dans le Midpajs. Au-dessus d'un 
gazon brûlé par l'ardeur du soleil africain, 
le Cladonia pascbalis couvre des terrains 
arides; les pâtres y mettent souvent le feu 
qui se propage à des distances considérables. 
Vers le sommet du Pic, des Urcéolaires et 
d'autres végétaux de la famille des Lichens 
travaillent à la décomposition des matières 
scoriiiées. C'est ainsi que, par une action 
non interrompue des forces organiques , 
l'empire de Flore s'étend sur les îles boule- 
versées par des volcans. 

En parcourant les différentes zones de la 
végétation de Ténériffe, nous voyons que 
rUe entière peut être considérée comme une 



lirét de lauriers, d'arbousiers et de puis, 

Ibnt les hommes ont à peine défriché la 

pîère, et qui renferme dans son centre no 

|rrain nu, rocailleux, également impropre 

ija culture et ati pâturage. M. Broussonet 

^serve qu'on peut diviser i'arcliipel des 

ianaries en deux groupes d'îles. Le premier 

seoferme Lancerote et Fortaventure; le se- 

»nd, Ténéiiffe, Canarie, La Gomèrc, Fer 

K«t Palma. L'aspect de la végétation diffère 

^eotiellement dans ces deux groupes. Les 

i orientales , Lancerote et Fortaventure, 

■eot de grandes plaines et des montagnes 

s-peu élevées : on n'y rencontre presque 

> de sources, et ces îles, plus encore que 

[ autres, portent le caractère de terrains 

narés du continent. Les vents y souHlcut 

insla même direction et aux mêmes époques : 

Buphorbta maurîtanica, l'Atropa fcutescens 

et des Sonchus arborescens y végètent dans 

des sables mobiles, et servent, comme en 

Erique , de nourriture aux chameaus. Le 

©upe occidental des Canaries présente ua 

Errain plus élevé, plus boisé, plus arrosé 

■ des sources. 
^Quoique l'archipel entier renferme plu- 
27 



4l8 LIVRE I. 

sieurs végétaux qui se retrouvent en Portugal ', 
en Espagne, aux îles Açores et dans le nord- 
ouest de l'Afrique, un grand nombre des- 
pèces, et même quelques genres, sont propres 
àTénériffe, à Porto Sanlo et à Madère. Tels 
sont le Mocanera, le Plocama , le Bosea, le 
Canarina, le Drusa et le Pittosponioi. Une 
forme que l'on pourroit appeler boréale, celle 
des Crucifères ', est déjà beaucoup plus rare 

■lîousaTonsreconnu, M. WilUenowei mol, parmi 
les plantes du Pic de Ténériffe , le beau Satjriuni 
dipbyllum ( Orchls cordaU , "Willd. ) que M. Liiik a 
découvert ea Portugal. Les Canaries ont de commua 
avec la Flore des Açores, non le Dicksona Gulcita j 
la seule fougère aboresccnte que l'on trouve sous les 
^9 degrés de latitude, mais l'Asplenîum palmatumet 
le Mjrica Faya. Cet arbre se rencontre en Portugal, à 
l'état sauvage : M. de Tloffmannsegg en a vu des Ironcs 
très-anciens ; mais il reste douteux s'il est indigène 
ou introduit dans cette partie de notre continent. En 
réfléchissant sur les migrations des plantes et sur la pos- 
sibilité géologique que des terrains submergés aient 
réuni jadis le, Portugal, les Acoi-es, les Canaries , et 
la cliaine de l'Atlas, on conçoit que l'esistence du 
Myrica Paya dans l'Europe occidentale est un plié- 
nomfene pour le moins aussi frappanl que le seroitrexis- 
tence du pin d'Alep aui îles Atorcs. 

^ Parmi le pelit nombre d'espèces de Grucii(;re& que 



CHAPITHE n. 



bx Canaries qu'en Espagne el en Grèce. 
Plus an 



ncore, dans la réf^ion 



equi- 



ratnt 



ni 



noxîale des deux contïnens , où la tempé- 
ratnre moyenne de l'air s'élève au-dessus 
de 2 3 degrés, les Crucifères disparoisseat 
iqoe entièrement. ■ 

On a agité de nos jours une question 
^i intéresse vivement l'Iiistoire du déve- 
loppement progressif de l'organisation sur 
globe, celle de savoir si les plantes poly- 
lorphes sont plus communes dans les îles 
volcaniques ? La végétation de Tcnériffe ne 
iTOrise point l'hypothèse d'après laquelle 
admet que lâ nature, dans des terres 
tuvelles, se montre moins asservie à des 
irmes constantes. M. Broussonet, qui a 
lidé si long-temps aux Canaries, assure 
ic les plantes variables n'y sont pas plus i 
tomntunes que dans l'Europe australe. Ne 
doit-un pas admettre que les espèces poly- j 
morphes qu'offre si fréquemment l'ile d6 J 
urbon, sont dues plutôt à la nature dal 

infermels Flore de Ténérifie, nous citerons ici :Che!«fl 
ranthuslongifolius, l'IIerit. ; CIi. frutescens, Vent,; 
Ch. scoparius, Brouss . Erj-simiun bicorne, Aitoa} I 
Crambe strigosa ï C. IxTi^ala, Brouss 



4iô LIvnE I. 

sol et au climat qu'à la nouveauté de la 

végétation ? 

Je viens d'esquisser le tableau physique 
de l'île de Ténérifîe; j'ai lâché de donner 
des notions précises sur la conslilution géo- 
logique des Canaries, sur la géograpliie des 
plantes propres à cet archipel, et sur leur 
agroupement à différentes hauteurs au-dessus 
du niveau de l'Océan. Quoique je me flatte 
d'avoir répandu quelque lumière sur des 
objets qui tant de fois ont été traités par 
d'autres voyageurs , je pense pourtant que 
l'histoire physique de cet archipel offre en- 
core un vaste champ à exploiter. Les chefs 
des expéditions scientifiques , dont l'Angle- 
terre, la France, l'Espagne, le Danemarck 
et la Russie ont donné des exemples si bril- 
Jans , se sont généralement trop bâtés de 
quitter les Canaries. Ils se sont imaginé que 
ces îles dévoient être exactemeul décrites, 
parce qu'elles sont très-rapprochées de l'Eu- 
rope : ils ont oublié que, sous le rapport 
de la géologie, l'intérieur de la Nouvelle- 
Hollande n'est pas plus inconnu que ne le 
sont les roches de Lancerole et de la Gû- 
nière, celles de Porto Santo et de Terçeir* 



CBkvmt ir. 

bnsvoyonsanniielIcraeDt un grand nombrff 

e Siivans parcourir, sans but déterminé, les 

prlies les plus fi-équentées de l'Europe. H 

put espérer qu'il s'en trouvera parmi eus 

guidés par un véritable amour poOr 

i science , et capables de poursuivre un 

bn de plusieurs anuées, voudront examiner 

Ma fois Tarcbipel d(;s Acores, Madère, les 

iannries, les îles dn cap Vert et la côte nord- 

Best de l'Alrique. C'est en réunissant des 

bservalions f'iiiles sous le même point de vue , 

^ns les îles Atlantiques et sur le continent 

!t>isin, que l'on parviendra à des connois- 

Rinces précises sur la gxiologie et sur la géo- 

Lopaphie des animaux et des plantes. 

l ^_ Avant de quitter l'ancien monde pour passer 

Isa nouveau, il me reste à parler d'un objet 

i offre un inlérêl plus jj^énéral , parce qu'il 

ptient à l'histoire de l'homme et à ces révolu- 

009 l'unestes qui ont Tait disparoître des peu- 

i^ades entières de la surface du globe. On se 

I tlemande , à l'ilc de Cuba^ à Saiut-Domingue 

let à la Jamaïque, où sont restés les babi- 

tans primitifs de ces contrées : on se demande 

à Ténéi'iffe que sont devenus les Guaucbes, 

dont les momies seules, enfouies dans des 



433 LIVRE l. 

cavernes, ont échappé à la destniction. An 
quinzième siècle, presque toutes les nations 
Commerçantes, surtout les Espagnols et les 
Portugais, cherchoient des esclaves aux îles 
Canaries, comme on en cherche aujourd'hui 
sur la côte de Guinée '. La religion chré- 
tienne qui, dans son origine, a favorisé si 
puissamment la liberté des hommes, servoit 
de prétexte à la cupidilé des Européens. Tout 
individu, fait prisonnier avant d'avoir reçu 
le baptême, étoit esclave. A celle époque on 
n'avoit pas encore essayé de prouver que 
les noirs sont une race intermédiaire entre 
l'homme et les animaux : le Guanche basané 
et le nègre africain étoienl vendus à la fois au 
marché de Séville , sans que l'on agitât la 
question de savoir si l'esclavage doit pesep 
seulement sur des hommes à peau noire et à 
cheveux crépus. 

L'archipel des Canaries éloit divisé en pla- 
sieurs pelils ctats ennemis les nns des atilres. 
Souvent une même île éloit sujette à deux 

' Les liistoriens espagnols citent des expéditions 
faites par les Huguenots di; la Bocbelle poi.r pnleïei- 
des esclaves guaaclies. Je doute de ces expéditions ijii 
auroieat éié {iQMéricures à l'année i53o, 



CnAl'lTRE II. 433 

pinces iadépeDdans , comme cela arrive daos 
es fies de la mer du Sud, et partout où la 
Ociété n'est point encore très-avancée. Les 
^atious commerçantes , guidées par cette poU- 
ique astucieuse qu'elles suivent encore au jour- 
l'iiui sur les cotes d'Afrique , enltctinrenl les 
guerres intestines. Un Guanche devint alors 
1 propriété d'un autre Guanche , qui le ven- 
loit aux Européens; plusieurs préiërèrent la 
Qorta la servitude, et se tuèrent eux et leurs 
infans. C'est ainsi que la population des Cana- 
îes avoit déjà considérablement souffert par 
s commerce des esclaves , par les enlèvemens 
les pirates, et surtout par on carnage pro- 
Dngé, lorsque Alonzo de Lugo en acheva la J 
enquête. Ce qui restoit des Guanches périt I 
m grande partie en i4<)''i > dans lu famease j 
(este appulée la Modona, que l'on attribuoit J 
à la quantité des cadavres que les Espagaol&fl 
avoient laissés exposés à l'air , après la batailla 
tie la Laguna. Lorsqu'un peuple, à fkmM 
sauvage el dépouillé de ses propriétésaj 
■forcé de vivre dans une même coni 
une nation policée, U cîierche à sIm 
les montagnes et dans les forais. 1 
p5t le seul que peuvent cbobîr des i 



5^4 LIVRE I. 

aussi celte belle natioa des Guanches éloît 
pour ainsi dire éteinte au commencemeat du 
dix-septième siècle; on n'en trouvoit plia 
que quelques vieillards à la Gandelaria et à 
Guiniar. 

n est consolant de penser que les blan(» 
n'ont pas toujours dédaigné de s'allier aux 
indigènes; mais les Canariens d'aujourd'hui, 
que les Espagnols désigne sur le simple nom 
d'/j/eSojj ont des nioliùlrès-puissans pour nier 
ce mélange. Le temps efface, daus une longue 
suite de générât! .ns, les marques caractéris' 
tiques des races; et, comme les desccndans 
des Andaloux établis à Ténériffe ont eux- 
mêmes le teint assez rembruni, on conçoit 
que le croisement des races ne peut pas avoir 
produit un changement sensible dans la coU' 
leur de la peau des blancs. li est bien prouvé 
qu'il n'existe aujourd'hui dans toute l'île au- 
cun indigène de race pure ; et quelques voya- 
geurs , d'ailleurs très - véridiques , se sonl 
Ironipéslorsqu'iisontcruavoireupourguides, 
au Pie , de ces Guanches à taille svelle et 
légers à la course. Il est vrai que quelques 
familles de C;iuyiiensse vantent de leur pa- 
reulé avec le dernier roi pasteur de Guiiuar ; 






CniPITRE II. 433 

lis cespréleotions ne reposent pas sur des- 
itidemens irès-solides : elles se renouvellent 
temps en temps, lorsqu'il prend envie à 
in Iiorame du peuple, plus basané que ses- - 
incitoyens, de solliciter un gr^ide d'ulEcier. . 
service du roi d'Espagç. 
Peu de temps après la découverte de l'Amc- 
îque, lorsque l'Espagne étoit parvenue aiv 
(lus haut degré de sa splendeur , on se pUù- 
lit à célébrer la douceur de caractère des 
oaiiches, comme on a célébré de nos jours 
innocence des habitans d'Otabiti. Dans l'un 
l'autre de ces tableaux, le coloris paroît 
loius vrai que brillant. Quaud les peuples, 
itîgués des jouissances de l'esprit, ne voient 
us dans ie raffinement des mœurs que !e 
germe de la dépravatioD, ils sont flattés de 
l'idée que, dans une région lointaine, à la-j 
première aurore de la civilisalion . des socic— j 
naissantes jouissent d'un bonheur pur et J 
nstant. C'est à ce sentimeul que Tacite dut J 
«ne partie do son succès lorsqu'il retraça aux. . 
Romains, sujets des Césars, le tableau des-, 
«nœurs germaniques ; ce même sentiment J 
lonne uu charme inevprimablc au récikj 
s voj-ciçeurs qui , depuis la fin du ûa-*' 



430 LlVItC 1. 

nier siècle, ont visilé les îles du Grand 
Océan. 

Les liabîtansde ces îles, trop vantés peut- 
ëlre, et jadis anthropophages, ressemblent, 
sous plus d'nn rapport , aux Guanclies de 
ïénéiiffe. Nous voyons gémir les uns et les 
antres sous le joug d'un gouvernement féo- 
dal. Chez les Guanclies , celle institution, 
«[ui facilite et perpétue les guerres, éloit 
sanctionnée par la religion. Les prêtres di- 
soient au peuple ; « Le Grand-Esprit, Acha- 
man, a créé d'abord les nobits, les Aclii- 
menceys, auxquels il a distribué toutes les 
chèvres qui existent sur la terre. Après les 
nobles, Achaman a créé les plébéiens, Achi- 
caxnas; celte race, plus jeune, eut le courage 
de demander aussi des chèvres; mais l'Ètre- 
Snprème répondit que le peuple éloit des- 
tiné à servir les nobles, et qu'il n'avoit besoin 
d'aucune propriété. » Celte tradition étoit 
faite sans doute pour plaire anx riches vas- 
saux des rois pasteurs. Aussi le Faycan ou 
grand-prêtre exerçoit le droit d'anoblir, et 
une loi des Guanclies porloit que tout Acbi- 
mencey , qui s'avills^oit à traire une chèvre 
de SCS mains, perdoit ses titres de noblesse. 



. <^ «SI «aiwiê 
■ méftis, dfes le <m»- 

utiles de ra^iiodtatv ef de b ne pastorale. 

lies Gusncfaes, c étebies ^paf- lear laSI» 
élaacèe, étoieiM ks PiMaigDns de t*An«:i 
monde, et les htstorieBsexagrruicnl \a fnn 
musculaire des Goancbes, comme, araot l 
voyages de BougainrOIe et de Cordobji , » 
allribuoit une stature colossale à b (UMipIa» 
qui habile l'extrémitc méritlionale de l'Aîné 
riqiie. Je n'ai va des mornics guanrhcs qtf 
daos les cabinets de l'Europe : à l'époque d 
mon voyage, elles étoient trés-rnres h Ti-iiéJ 
rifle; on en trouverait etîpendani on grudl 
nombre si, par le travail des mineur,' 
tâchoit d'ouvrir les cavernes sépulcrnle» ( 
sont taillées dans le rac sur la penli! orimU 
du Pic, entre Arico cl fînimar. Cn riior 
sont dans un état de deSMcenlioii %i rvlfi 



dioaire 



qui 



leles 



corps endent, tnimr* d" I 



intégamens, ne pèsent «oiiveotqtff »!« kn 



livres, 



c'est-à-dire un lirr» df limim '('«I 



squelette d'un iodividii t\* U wéiw HfiltiA 
dépouUé téctmwÊpt de U rMri n 



428 tITRi! I. 

Le crâne offre, dans sa conformation, quel- 
ques légers rapports avec relui de la race 
blanche des anciens Egyptiens, et les dents 
incisives sont éinoussées chez les Guanches 
comme dans les momies trouvées sur les 
bords (lu Nil, Mais cette forme des dents est 
due à l'artseul; et, en examinant plus soigneu- 
sement la physionomie des anciens Canariens , 
des analomisles habiles' ont reconnu, dans 
les oszy^omaliques et la mâchoire inférieure, 
des différences sensibles avec les momies 
«.■gjpticnnes. En ouvrant celles des Guanches 
on y trouve des restes de plantes aromatiques, 
])arnii lesquelles on distingue constamment le 
Chenopodium ambt'osioïdes ; souvent les 
cadiivres sont ornés de cordelettes auxquelles 
sont suspendus de petits disques de terre cuite 
qui paroissent avoir servi de signes numé- 
riques, et qui ressemblent aux quippos des 
Péruviens, des Mexicains et des Chinois. 

Comme en général la popnlalioD des îles 
est moins exposée aux changernens qui sont 
l'effet des migrations, que la population des 

' Siamenbach Decns quinta Collect. suce Cranio' 
riun divtnaruni geniium iiùtsir. ^ i8o8 , p. 7.. 



g; 



CBÂriJtat 'IL 
mlinens, on peut supposer fpic, «lu trrmpii 
lesCartbaginios f:t tics Grecs, l'urcliipcl dus 
lanaries étoît Labîté pur cctlc nii^iiic raca 
l'bommes qu')' trouvèrent les ruinfUcmiM 
noriuantU et cspugnols. Le seul niunuiiicat 
propre à répandre quclcjuc lumière sur l'ori- 
gine des Cii;iDcbes, e»t teur Ungtiet mai» 
latbeureusemenl il ne nous en e'it resli- j peu 
rès que cent ctnquanle mots, dont plnieort 
expriment les mêmes objets selon le dialecte 
des différentes îles. Outre ces moL«, qn'nn 
a recaeillis avec soin, il eiiste encore dei 
frag;mens précieux dans le:s dépo oû iialîo— 
«Ton grand nombre de bameaux, de colUac» 
et de Talloos. Les CoaadMa, otnae k* 
Baoqaes, les Hiodovx, les PêratieMCtlOM 
les penples primitif, 3Toiea< aoHMii le» fass 
d'sprês b qualité du sol qa% carluvoMaty 
^afris la fonne des rocfaéf», ioa* k» c»- 
vctaa IcBT serroiest d'abri, ^apfci la MIMB 
desatbroqoioaibraiçeoîmiloMMmifc^ 

Ob a petne lo ag l einy «fse b hmfÇKt dta 
Cjaiwhr^ ae prôeMoéi we—c j » i l» y e j««s 
le» iMfBe» n*a«ie»; nam, étfmn ^m l« ^ 
TByage<fcBorneinaiH>efl«»fecl>fTffcetiwy' 
»ae3ULXan4«» aVeiMi* oai lhM> J 



43(5 LlTttE I. 

l'aUention des savans sur les Berhers tfnt, 
comme les peuples slaves , occupent une im- 
mense étendue de terrain dans l'Afrique 
boréale, on a reconnu que plusieurs mois 
guanches ont des racines communes avec des 
mots des dialectes Cliilfaa et GebuU '. Nous en 
citerons comme exemples t 

Ciel, en guanche > Tigo^ en berbère , Ti^ot. 

Lait Jho Âclui. 

Orge Temasen ....... TbmzGen, 

Panier Carianas Carian. 

Eau Aenum Anan. 

Je doute que cette analogie prouve une 
communauté d'origine; mais elle indique des 
liaisons anciennes entre les Guanches et les 
Berbers, peuple montagnard, dans lequel se 
trouvent refondus les Numidicns , les Gétules 
et les Garamanles , et qui s'élcnd depuis l'ex- 
Ircmité orientale de l'Atlas , par le Harudjé 
et le Fezzan , et jusqu'aux Oasis de Syuah 
et d'Audjeluli. Les indigènes des îles Canaries 
s'appeloient Guanches, de guan, homme, 

' AdçlungimdFater, MithHdales.Tom.UI ,r,.Go- 



CBArraiB n. 
connne les Tongouses s'appellent fyv et 
donAt , mots qui ont la même signîfîcalion 
qae gium. D'ailleurs les Dations qui parlent 
la langue berbère ne sont pas toutes d une 
même race ; et la description que ScjrUx 
donne dans son Périple des liabitans de Cerne y 
peuple pasteur d'une taille élancée et à lun^e 
chevelure > rappelle les traits qui caracté- 
rtseut les Guanclies Ganarieus. 

Plus on étudie les langues sous on pobi de 
Tue pliilosopiiique , et plus ou observe* qu'aii- 
cooe d'elles n'est entièrement isolée ; la Unguc 
desGuaoches' le paroîtroil moins cneore si 
Ji'oD avoit quelques données «ir son i 



■ D'après les recherctic* de M. VaIct^ la [■■giin 

•he offre les aiMlogi» tainaiet arec it% langcu'* 

i-éloigoé* Inunadt^a autre*; rkUn,ihtt 

■ BnrOBs américain*, aguUnon; chet !«■ Omuctn, 

s .- homme, t^*t le» Pénmena, ttati i titra l'^ 

• , coron .- /M , ebei lea Haaimgoa êlrtninf, 

m; cWa lea G<uaid>e» , iHoi»t*y. Ijt »em de 

fSe de Gonnc «e ntrvwc iam eclaî 4t t^omrt «)•( i 
éé^igae one tr^m ie Kcrfen. ( KtMr Unuttuslt. hUr 
Amaika,^. 170.) Leti(*»p M >«cl « t»,«(fe»^g<-, Uirti, 
«t wfawg ar M , temfte . f ur o m t»* i^mmg«h^m wfâift , 
iM màmt daaa cette ieniite hmpit ! , atmtkarriim 




4Sa tivtiE I. 

uisme et sa structure (jramniiiticale , deux élé- 
mens plus înipurtans que la forme des mots 
et l'identité des sons. Il en est de certains 
idiutnes comme de ces êtres organisés qui 
semblent se refuser à toute classification dans 
la série des familles n;iturellcs. Leur isole- 
ment n'est qu'apparent ; il cesse dès qu'en 
embrassant un plus grand nombre d'objets, 
on parvient à découvrir les chaînons inter- 
médiaires. Lessavans qui voient des Egyptiens 
partout où il y a des momies , des hiéro^ 
glypbes ou des pyramides, penseront pent- 
ètre que la race de Typliun éttiit liée aux 
Guancbes par les Beibers, véritables Allantes, 
auxquels appartiennent les Tibbos et les Tua- 
rycks du désert '. Mais il suffît de faire 
observer ici que cette Iiypotbèse n'est appuyée 
par aucune analogie ^ entre la langue berbère 
et la langue copte , que l'on regarde avec 
raison comme un reste de l'ancien égyptien. 

Le peuple qui a remplacé les Guancbes, 
descend des Espagnols , et en très-pelite partie 

' Voyage de Hornemann du Caire à Moursoukf 
Tom. JI, p. 4o(;. 

■ Mic/iridates , Tom. IJI. p. 77. 



CHAPITRE Xt. 

S Normands. Quoique ces deux races aient 
teé exposées depuis trois siècles au même cli- 

iat, la dernière se distingue cependant par 
Aie plus grande blancheur de la peau. Les 
descendans des Normands habitent la vallée 
de Teganana , entre Punta de Naga et Punta 

: Hidalgo. Les noms de Grandville et de 
pampierre se trouvent encore assez fréquem- 
ment dans ces cantons. Les Canariens sont, un 

«up'e honnête, sobre et religieux; ils dé- 
ploient moins d'industrie chez eux que dans 

s pays étrangers. Un esprit inquiet et entre- 

ttenant conduit ces insulaires , de tr.ême que 

sBiscayens et lesCatalans, aux Philippines, ' 
t Marianes , en Amérique , partout où il j 
ides établissemens espagnols , depuis le Chili 

tLa Plata jusqu'au Nouveau-Mexique. C'est 

«ux que sont dus en grande partie les progrès 
TÉIé l'agriculture dans ces colonies, L'archipel 
entier ne renferme pas 160,000 habitans, et 
et les Islcnos sont peut-être beaucoup plus 

lombreux au nouveau continent que dans 
leur ancienne patrie. Le tableau suivant offre 

;out ce qui a rapport à la statistique 4e c« ' 
bays. 



î8 



43'i 











ARCaiPEL 


'^1: 




iiJf 






,C,j8. 


.74s. 


176S. 


1790. 


«il 


Tf.nèûïïe 


tS 


.ig,.,î 


60,318 


66,354 


70,000 


o-ss 


rurmrenlure. . 


15 




V.Mi 


8,863 


9,000 


i4i 


:3i,iDdtC»a^,rie. 


r.„ 


ia,458 


33,864 


41,081 


5o,oou 


853 


Palm. 


37 


13.S5Ï 


i7.5bo 


19,195 


îi,6oo 


■ 857 


r.nncerolc 


16 




7,110 


9,705 


10.000 


384 


lîoi»"» 


1-1 


4,3:5 


6,ï5i 


6,645 


7,4,.o 


526 




7 


3,197 


3.687 


4,01, 


S.oon 


7.4 




Total 


.Vo| 




i3r3,igi 


i55,SW 


174,000 


644 


L"dfDi,mbr£roensdeiG78.i74 


el 1768 ont élép 


abliéi 


par Vicra. L'éïuliialîon de i^qo est i 


eM. Ledm.Popi 


iBlîon 






elécalcnlceipQUrlH première fois, eiavtc on HimpBMiculier, 
par M. Ollmanns' . d'apri) Ui canes de Borita ci de Varcla. 
Bëcolte du vin k TénériB'e , 20 à i4,uoo piucs donl 5ooo de 








friëolei. La culiare de la canne à aacre el da colon «u pea 


imporlanlB, fllei grandi objeHdacommer ce «oDilenin, In 


eaui-de-vle , l'orieille el la londe. BeTena beat , 7 tompns 




' Ëleiiiluc de la larface des Canaries exprimée pins Ciac- 
ii î; For.avenmre.Ssîi Canarie,35^ Palraî, i54. Lan- 


crr.,11, |41( ei, enycoinprrnaniles(,.=iitestlei voisine.. 
■Si; Gomére.8, el Fer, 3 î : loial , i53i. On peui !ue 


surpris que M. Haisel , dans son excellent outrage sor la 


iiaimique d,^ l'Euiope, asMgne anx Canaries aoe populalioo 


phiqnes carrés, (S/D/. l'mriss. Hefi. 1, S. .7 ) 



Je n'entrerai pas dans des dîsônssîons d^éoG^ 
nomie politique sur Timportance des île^ 
Canaries pour les peuples commerçans de 
l'Europe. Livré long-temps à des recherches 
statistiques sur les colonies espagnoles , étroit 
tement lié avec des personnes qui avoient 
occupé des emplois importans à Ténériffe i 
j'avois eu occasion^ pendant mon séjour à 
Caracas et à la Havane, de recueillir beau-:* 
coup d'éclaircissemens sur le commerce de 
Sainte-Croix et de l'Orotava. Mais plusieurs 
savans ayant visité les Canaries après moi> 
ils oDt puisé aux mêmes sources , et je n'hésite 
pas de retrancher de mon journal ce qui a été 
exposé , avec beaucoup de précision , dans 
des ouvrages qui ont précédé le mien. Je me 
tornerai ici à un petit nombre de considé- 
rations qui termineront le tableau que je 
viens de tracer de l'archipel des Canaries. 

11 en est de ces îles comme de l'Egypte, 
de la Crimée et de tant d'autres pays que 
les voyageurs, qui désirent frapper par des 
contrastes , ont loués ou blâmés à l'excès. 
Les uns , débarquant à TOrotava , ont décrit 
TénérilTe comme le jardin des Hespérides ; 
}h ont vanté la douceur du climat , la fertilité 



456 tlVRB I. 

du sol et la richesse de la culture : d'antres^ 
forcés de séjourner à Sainte-Croix, n'ont th 
dans les îles Fortunées qn'un pnys nu , aride, 
habité par un peuple misérable et slupide. Il 
nous a paru q»e, dans cet archipel comme 
dans tous les pays montueux et volcaniques, 
la nature a distribué très-inégalement ses 
bienfaits. Les iles Canaries manquent géné- 
ralement d'eau ; mais partout où il y a des 
sources, des irrigations artificielles, ou des 
pluies abondantes , le sol y est de la plus 
grande ferlilité. Le bas peiiple est laborieux , 
mais son activité se développe plus dans des 
colonies lointaines qu'à Tcncriffe où elle 
trouve des obstacles qu'une administration 
sage pourroit éloigner progressivement. Les 
émigrations seront diminuées si l'on par- 
vient à répartir entre les particuliers les terres 
domaniales incultes , à vendre celles qui sont 
annexées aux majorais des grandes familles, 
et à abolir peu à peu les droits féodaux. 

La population actuelle des Canaries paroît 
sans doute peu considérable , si on !a com- 
pare à celle de plusieurs contrées de l'Eu- 
rope, L'île de Malte , dont les babitans indus- 
irieux cultivent yn roc presque déoué de 



CHAPirnE II. 

terreau, est sept fois plus petite que Téa 
riffè, et cependant elle est deux fois plusr 
peuplée : mais les écrivains qui se plaisent 
à peindre , avec de si vives couleurs , la dépo- 
pulution des colonies espagnoles, et qui 
attribuent la cause à la hiérarchie ecclésii 
tique , oublient que partout , depuis le règne 
de Pliilippe V, le nombre des habitans a pris 
un accroissement plus ou moins rapide. Déjà 
la population relative est plus grande dans 
les Canaries que dans les deux Gastilles , en 
Estraniadure et en Ecosse. Tout l'archipel 
(éuni présente un terrain montueux dont 
l'étendue est d'un septième plus petite qi 
la surface de l'île de Corse , et qui nouri 
cependant le miime nombre d'habîtans. 
Quoique les îles Fortaventure et Lî 
rote , qui sont les moins peuplées , expori 
des grains , tandis que TéiiériDe ne prodl 
ordinairement pas les deux tiers de sa ci 
sommation, il ne faudroit pas en concli 
que , dans celle dernière île , le nombre 
habitans ne puisse plus augmenter par dél 
(le subsistances. Les îles Canaries sont cm 
bien loin de sentir les maux qu'entraîne 
population trop coocentrée , et dont M. 



po- 



4î3 iivRE r. 

tîius a développé les causes avec tant de jus- 
tesse et de saf^iictié. La misère du peuple a 
diminué considérablement depuis qu on a 
introduit la culture de la pomme de terre ' 
et qu'on a commencé à semer plus de maïs 
que d'orD;e et de froment. 

Les liabitans des Canaries offrent les traits 
qui caractérisent un peuple à la fois monta- 
gnard et insulaire. Pour les bien apprécier, 
il ne suffît pas de les voir dans leur patrie où 
de puissantes entraves s'opposent au déve- 
loppement de l'industrie ; il faut les étudier 
dans les steppes de la province de Caracas, 
sur le dos des Andes , dans les plaines brû- 
lantes des ilesPliilippines , partout où, isolés 
dans des contrées inhabitées, ils ont eu occa- 
sion de déployer cette énergie et cette acti- 
vité qui sont les véritables richesses d'un 
colon. 

Les Canariens se plaisent à considérer leur 
pays comme faisant partie de l'Espagne euro-: 
péenne. Ilsont en effet augmenté les richesses 
de la littérature castillane. Le nom de Cla- 



' Tessier et Desautoy, sur l'agriculture des Cana- 
ries. ( Mé/n, de l'InslUuC^ Tom. T^ p. aâa et 37g. 



i 



CHAPITRE n. 45g I 

Mjo, auteur du Peiisador ^ ceux de Viera, 
d'Yriarte et de Bclancourt sOnt honorable- 
ment connus dans les sciences cl les lettres ; 
le peuple canarien est doué de cette vivacité 
•d'imagination qui distingue les babitans de 
l'Andalousie et de Grenade , et l'on peut 
espérer qu'un jour les îles Fortunées où 
l'homme éprouve , comme partout, les bien- 
faits et les rigueurs de la nature , seront 
^dignement célébrées par un poète indigène. 



FIN D-C PHEMIER VOLUME. 



TABLE DES MATIÈRES 



cnsTiKUEa DASï 1,1: rBEiiiËa voldme. 



Introduction. Pag 

LIVRE PREMIER. 

Chapitre pnEMir.R. Préparatifs, — InstTTJinetis. 
Déiiart d'Espagne. — Relàclie aux îles 
Canaries, i 

Chapitbe ]I. Séjour à Tênérifle. — Voyage 
(le Sainte-Croix à l'Orotava. — Escur- 
EÎou à la cime du pic de Te^de. 



ERRA TA. 

Page 1S7, ligne 9 de la première noie, tupprimrz la ligne 
tonimençant [.ar ces mois : Dans ces mêmes paraf;es , etc., 
pour la meltre, même page, ù i.i fin àe la seconde note. 

Fagei^^. Ladmiirme nuteopparlicnl à la page aî4, «( vUt 



1 




THE NEW 

This book ig 
tok 


YORK PUBLIC 
EHENCE DEPARTI 


LIERA RY 
ENT 


unileT no ciroumstonoei to be 
en from the Biûldintf 




























































































'""- 







unox liiBR-wJ